Utilitaires électriques : Stellantis joue-t-il la carte du coup de pression sur Bruxelles pour sauver ses usines françaises ?

En bref:

  • Stellantis menace de fermer ses usines françaises, notamment à Hordain, si Bruxelles maintient des quotas stricts d’utilitaires électriques sous peine de lourdes pénalités.
  • Le secteur des utilitaires souffre de freins structurels spécifiques (coût, autonomie, infrastructures) limitant l’électrification malgré une forte pression réglementaire.
  • Stellantis explore des solutions comme le rétrofit, les partenariats et le lobbying pour adapter la réglementation, soulignant l’urgence d’un cadre européen plus réaliste.

Alors que l’Europe accélère sur la régulation des émissions de CO₂, Stellantis s’en remet publiquement à la clémence de Bruxelles sous peine de sacrifices industriels majeurs. Menace réelle sur les usines françaises, posture stratégique ou cri d’alerte collectif du secteur des utilitaires ? Analyse rigoureuse d’un bras de fer qui dépasse la seule survie de l’ex-usine PSA d’Hordain.

🚨 Coup de semonce à Hordain : que dit vraiment Stellantis ?

Ce mercredi 2 juillet 2025 à Hordain, dans le Nord, la visite du patron Europe de Stellantis, Jean-Philippe Imparato, n’avait rien de cérémoniel. Son message : si la Commission européenne ne revoit pas sans délai sa réglementation CO₂ pour les utilitaires, des fermetures d’usines surviendront « très vite ». En chiffres, la menace est limpide : une part de 20 % d’utilitaires électriques imposée dans les ventes d’ici fin 2025 contre seulement… 9 % aujourd’hui sur le marché européen. Stellantis estime à 2,6 milliards d’euros sur trois ans le risque de pénalités, un fardeau jugé insoutenable et pouvant conduire à « crasher des usines », selon les propres mots du dirigeant.

📌 À retenir

La filière utilitaire, colonne vertébrale de Stellantis en Europe

  • Hordain : 2 600 salariés, 650 utilitaires/jour, 40 % des résultats du groupe
  • Des modèles thermiques… mais aussi électriques, malgré une demande encore anémique

Un effet d’annonce… ou une rupture industrielle prévisible ?

Face à la violence annoncée des pénalités, faut-il prendre au sérieux la menace de Stellantis ? Le groupe n’est pas seul à alerter sur l’impossibilité d’atteindre ces objectifs sans conséquences sociales majeures. Pourtant, quelques éléments appellent à la nuance :

Argument StellantisAnalyse critique
Amende potentielle de 2,6 milliards €Mécanisme confirmé – mais calculé sur trois ans, avec une part d’aléa selon marché
Fermetures massives de sites en FranceRéalité possible, mais outil de pression testé lors de précédentes négociations
Demande d’une fusion des quotas VP/VUPragmatisme industriel, mais complexité réglementaire et refus politique probable
Dialogue avec la Commission déjà engagéDes assouplissements ont déjà été obtenus sur le calcul triennal depuis 2025

💡 Conseil d’expert : Les annonces de risques industriels sont aussi pensées pour peser sur la négociation réglementaire. Cependant, la courbe de l’électrification reste en deçà des prévisions, donnant à Stellantis des arguments tangibles et, objectivement, peu d’alternatives à court terme en l’absence d’un rebond brutal du marché.


Les vraies causes du blocage : utilitaire, ce marché sous-estimé

L’enjeu dépasse la stratégie de communication : le secteur des utilitaires fait face à des défis structurels spécifiques rarement évoqués pour les particuliers.

Les freins majeurs à la décarbonation des utilitaires :

  • TCO (coût global d’usage) surévalué pour l’électrique, bon nombre de professionnels n’étant pas éligibles aux mêmes niveaux de subventions que le grand public.
  • Polyvalence insuffisante : autonomie parfois trop faible pour les usages intensifs, offres limitées en fourgons électriques (ex : charge utile, options d’aménagement).
  • Infrastructure de recharge défaillante : l’accès à la recharge rapide sur site ou sur chantier reste un obstacle criant.
  • Réticence des flottes : effet d’attente face aux évolutions technologiques, pression sur leur propre rentabilité.

Face à ces réalités :

📊 Stellantis domine le marché, mais…

  • 3 ventes d’utilitaires sur 10 en Europe sont estampillées Stellantis.
  • Le mix électrique plafonne à 9 %, malgré des offres élargies.

Alternatives et marges de manœuvre : Stellantis, le pari du rétrofit et des alliances

Si le groupe évoque l’exil industriel en cas d’impasse, il multiplie aussi les pistes d’ajustement :

  • Rétrofit : conversion de fourgons thermiques existants en électriques, en partenariat avec Qinomic. Solution crédible pour répondre à court terme à la contrainte CO₂, notamment pour les flottes.
  • Ristournes massives sur l’électrique à destination des pros, quitte à rogner sur la marge, pour tenter de doper le volume.
  • Partenariats stratégiques (dont Tesla pour la technologie batterie ou les crédits CO₂).
  • Lobbying pour une évolution réglementaire permettant de compenser entre véhicules particuliers et utilitaires.

ℹ️

Bon à savoir :
Depuis 2025, la réglementation européenne s’est légèrement assouplie – passage à un calcul sur trois ans des émissions, non plus annuel. Mais pas de fusion entre véhicules particuliers/utilitaires, ni de moratoire sur les paliers successifs.


Quelles conséquences concrètes pour la France ?

  • Site d’Hordain en ligne de mire : suppression d’équipes voire arrêt complet si la production est réduite pour éviter les pénalités.
  • 1er domino ou exception ? Une fermeture toucherait le tissu industriel régional (2 600 emplois directs, de nombreux sous-traitants), mais aussi la souveraineté du secteur ordinaire des VU.
  • Danger systémique pour l’écosystème fournisseur, déjà fragilisé par les incertitudes sur la demande d’utilitaires électriques.

📢 Citation à méditer

« Nous sommes à quelques mois d’un drame. Si je paye ce malus, je crashe des usines. C’est écrit. »
— Jean-Philippe Imparato, Directeur Europe de Stellantis


Transition énergétique : le marché des pros, l’angle mort du Green Deal ?

La pression règlementaire européenne a accéléré la transition des véhicules particuliers, mais l’utilitaire léger reste le maillon faible de la chaîne. Professionnels et collectivités rechignent à opter pour le 100 % électrique tant que le coût, l’autonomie et la polyvalence n’y sont pas. Sans incitation ou ajustement du calendrier, ce « Green Deal » pourrait menacer de sacrifier une industrie clé… tout en freinant paradoxalement la décarbonation effective faute d’alternative crédible pour le transport professionnel.


Face à la réalité du terrain, la menace brandie par Stellantis n’est malheureusement pas qu’un coup de bluff. Elle révèle l’urgence d’un cadre plus réaliste pour industrialiser, à grande échelle, la mobilité professionnelle électrique sans briser l’outil industriel français.

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