Abandon de l’hydrogène par Stellantis : Virage pragmatique ou aveu d’échec pour l’Europe de la mobilité propre ?

En bref:

  • Stellantis abandonne brutalement ses projets de véhicules à hydrogène, citant un coût trop élevé, une infrastructure quasi absente et une demande insuffisante face à la montée des véhicules électriques.
  • Cette décision fragile la filière française de l’hydrogène, notamment la coentreprise Symbio, et remet en cause la viabilité de l’hydrogène pour la mobilité individuelle en Europe à moyen terme.
  • L’électrique à batterie s’impose comme la solution dominante pour la décarbonation automobile européenne, tandis que l’hydrogène reste cantonné à des usages très spécifiques.

Stellantis a pris tout le monde de court. Le groupe franco-italo-américain, jusque-là pionnier affiché de la mobilité hydrogène en Europe, met brutalement fin à ses projets de véhicules à pile à combustible. Derrière cette décision, qui secoue la filière française, une interrogation centrale : l’abandon de l’hydrogène par Stellantis relève-t-il d’un simple arbitrage économique face à l’offensive des véhicules électriques et de la Chine, ou signe-t-il un aveu cinglant sur la viabilité de cette technologie dans le contexte européen actuel ? Penchons-nous avec rigueur sur ce qui motive ce revirement, ses conséquences industrielles… et ce que cela dit du futur de la mobilité zéro émission en Europe.


🚦 Un arrêt aussi soudain que symbolique

« Le marché de l’hydrogène demeure un segment de niche, sans perspectives de rentabilité économique à moyen terme », tranche le communiqué du constructeur, daté du 16 juillet. Une déclaration qui survient alors que la production en série des utilitaires à hydrogène Pro One devait débuter cet été dans les usines d’Hordain (France) et Gliwice (Pologne). Résultat immédiat : la fabrication de ces modèles, à destination notamment des professionnels et collectivités, est tout simplement annulée.

Quelques repères chiffrés :

  • 🚐 300 utilitaires hydrogène seulement vendus dans la précédente génération.
  • 📊 Part de marché résiduelle : en 2024, les ventes de voitures à hydrogène représentaient à peine 0,03% des immatriculations en France.
  • 💶 Surcoût d’achat : les modèles hydrogène affichaient un prix 25 % supérieur, en moyenne, à un utilitaire électrique équivalent.

Les raisons de l’abandon : analyse point par point

📉 1. Une équation économique impossible à boucler

À court et moyen terme, l’hydrogène souffre d’un coût de revient très élevé, en raison du prix des piles à combustible, du faible volume de production, et surtout de stations de recharge quasi-inexistantes (moins d’une centaine en France). Résultat : une lourde facture pour chaque véhicule, aussi bien pour Stellantis que pour ses clients.

⚠️ 2. Une infrastructure… quasi absente

Le groupe pointe un fait incontestable : la France et l’Europe n’offrent pas aujourd’hui le maillage nécessaire à la mobilité hydrogène. Installer une station coûte cher (plus d’1 million d’euros l’unité), freinant logiquement toute adoption large.

📊 Tableau comparatif : Recharge hydrogène vs. électrique

CritèreHydrogèneÉlectrique à batterie
Nombre de stations FR~100120 000+ points
Temps de recharge3-5 minutes30 min à plusieurs h
Coût d’installation>1 M€ / station~50 k€ / borne rapide
Couverture du paysTrès partielleEn nette croissance

🔋 3. Rendement et impact environnemental : des limites tenaces

L’hydrogène reste, au global, moins efficient énergétiquement : fortes pertes lors de la production, du stockage et de la conversion dans le véhicule, là où la batterie affiche de meilleures performances pour la mobilité individuelle. De plus, l’essentiel de l’hydrogène produit en Europe est encore « gris » (issu de gaz fossiles), limitant son intérêt climatique immédiat.

💰 4. Clients (et États) pas vraiment au rendez-vous

Ni les professionnels, ni les particuliers n’ont, jusqu’ici, manifesté une appétence décisive pour le passage à l’hydrogène au volant. En l’absence d’une demande solide, Stellantis juge déraisonnable de poursuivre une filière qui impose “des besoins d’incitations très élevés” selon ses propres mots. Les aides publiques, y compris européennes, n’ont pas permis d’enclencher un cercle vertueux.


📌 Info Box : Zoom sur Symbio, victime collatérale

Symbio, coentreprise née entre Stellantis, Michelin et Forvia, incarnait l’ambition industrielle française en matière de pile à combustible. Stellantis représentait 80 % de sa charge d’activité. Le retrait du groupe laisse planer une ombre sur l’avenir de la gigafactory de Saint-Fons (près de Lyon) et sur les centaines d’emplois induits. Michelin et Forvia se disent "stupéfaits" et redoutent un choc industriel majeur pour la filière.


Les conséquences pour la filière hydrogène et la transition énergétique

✔️ Coup d’arrêt… ou simple pause ?

Pour la France, la décision de Stellantis est vécue comme une véritable onde de choc après la liquidation récente d’Hyvia (filiale hydrogène Renault). C’est la crédibilité de l’axe industriel national sur la mobilité hydrogène qui vacille, alors même que les fonds publics engagés dans Symbio ou HyMotive se chiffrent en centaines de millions d’euros.

👥 Conséquences sociales, industrielles et stratégiques

  • Réorientation des salariés : 176 personnes affectées chez Stellantis sont promises à des redéploiements, mais l’inquiétude demeure, notamment à Hordain et dans la filière amont.
  • Ralentissement de la R&D : Moins de débouchés, c’est aussi des compétences et des investissements à risque.
  • Effet d’entraînement négatif : Moins de véhicules sur la route = pression amoindrie pour développer le réseau de bornes hydrogène, accélérant le décrochage par rapport à l’électrique à batterie.

🧐 Conseil d’expert : L’hydrogène, une fausse promesse pour la voiture particulière ?

De nombreux analystes l’affirment : la voiture à hydrogène pour particuliers, en Europe, relève d’une impasse technico-économique à moyen terme :

La technologie conserve cependant des avantages de niche : transport lourd longue distance, flottes captives urbaines, mobilité industrielle… À l’échelle du particulier, la messe semble dite pour la prochaine décennie.


🔎 Que font les autres grands constructeurs ?

ConstructeurCap sur l’hydrogène ?Modèles & stratégie
ToyotaOuiMirai, protos utilitaires, déploiement progressif, pari sur la Chine/Europe
HyundaiOuiNexo (SUV), focus sur la technologie et l’autonomie
BMWOui, à l’essaiiX5 Hydrogen, production limitée, perspective 2030
RenaultNonArrêt d’Hyvia début 2025
StellantisNonAbandon total annoncé été 2025

Seules quelques marques asiatiques et allemandes poursuivent l’investigation, mais à très faible échelle. La lutte avec l’électrique semble perdue d’avance, sauf sur des segments ultra-spécifiques.


🎯 Pourquoi ce recentrage ? Stellantis et le défi chinois

Impossible d’ignorer le contexte mondial : la Chine inonde l’Europe de véhicules électriques abordables et monte en puissance sur l’intégralité de la chaîne de valeur (batteries, plateformes…). Dans cette bataille, chaque euro investi doit générer un retour rapide et tangible. La technologie batterie, mature, standardisée, bénéficiant d’infrastructures et de volumes, offre à Stellantis la meilleure chance de rester compétitif et conforme aux régulations CO₂.

« Il fallait mettre nos œufs dans le bon panier. »

— Un cadre Stellantis, sous couvert d’anonymat


📢 À retenir

  • L’abandon de l’hydrogène par Stellantis n’est pas un désaveu « scientifique », mais bien une décision économique, dictée par la maturité insuffisante d’une filière chroniquement déficitaire pour les usages particuliers.
  • Ce geste acte l’électrique à batterie comme solution quasi unique de la décennie pour l’automobile européenne, tandis que l’hydrogène devra prouver ailleurs, et autrement, ses mérites.

Le virage de Stellantis, sans emphase, s’impose comme celui du réalisme économique et industriel. Si la page de la voiture à hydrogène se tourne (provisoirement ?), c’est aussi à l’Europe et à ses filières de redéfinir leurs priorités stratégiques face à la révolution automobile en cours.

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