En bref:
- Foxconn abandonne sa mega-usine automobile de Lordstown pour se recentrer sur la production de matériel destiné aux data centers et à l’IA, révélant un arbitrage industriel entre électromobilité et infrastructures numériques.
- La demande énergétique colossale des data centers IA concurrence directement celle des véhicules électriques, fragilisant les investissements et capacités de recharge pour la transition automobile.
- Ce basculement stratégique illustre une lutte mondiale pour les ressources énergétiques et industrielles, posant un risque pour la souveraineté européenne et l’avenir du véhicule électrique.
Le géant taïwanais Foxconn, connu pour ses ambitions dans l’électromobilité, vient de céder son emblématique usine de Lordstown… pour réorienter massivement ses activités vers les data centers et l’intelligence artificielle. Derrière ce mouvement stratégique, c’est un véritable arbitrage mondial des investissements industriels qui se dessine, et qui interroge sur l’avenir de la transition automobile face à la voracité énergétique de l’IA.
Un tournant inattendu : du pick-up électrique au serveur pour Nvidia
La nouvelle, tombée début août 2025, a de quoi surprendre jusqu’aux observateurs les plus aguerris du secteur. Acquise il y a seulement trois ans auprès du défunt Lordstown Motors pour 230 millions de dollars, la gigantesque usine d’Ohio (6,2 millions de pieds carrés !) devait incarner les ambitions américaines de Foxconn dans l’électrique. Mais voilà que le groupe revend ses murs et équipements pour 375 millions de dollars à un partenaire industriel… tout en continuant d’occuper les locaux.
À première vue, Foxconn ne quitte pas Lordstown : il conserve ses opérations sur place, reste prêt à relancer la production de véhicules électriques à la demande, et promet d’y maintenir des capacités d’assemblage automobile. Mais le vrai virage est ailleurs.
Pourquoi ce revirement ?
- Pression sur la rentabilité des voitures électriques.
- Échec de la joint-venture initiale avec Lordstown Motors, aujourd’hui en faillite.
- Explosion de la demande pour l’infrastructure numérique et les serveurs d’IA, au cœur de l’activité de Foxconn (fournisseur d’Apple, Nvidia…).
En coulisse, l’usine pivote déjà vers l’assemblage de matériels pour data centers, au service de l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle.
📌 À retenir : Les data centers, nouvel eldorado industriel
- Foxconn acte un arbitrage stratégique : Moins de capital immobilisé dans l’automobile, plus de ressources vers des activités en pleine rentabilité (datacenters, cloud, IA).
- Un signal fort pour l’industrie : Même les mastodontes de l’électronique rechignent désormais à miser à pleine capacité sur l’électromobilité, face à la soudaine attractivité des infrastructures technologiques.
Data centers et IA : des besoins énergétiques colossaux, une compétition féroce pour les ressources
L’appétit des nouveaux data centers, dopés par l’essor de l’IA, a de quoi donner le vertige. Selon les prévisions, la consommation mondiale d’électricité des data centers grimpera de 165% d’ici 2030, pour atteindre près de 90 TWh/an dès 2026. À titre de comparaison, cela équivaut à la demande cumulée de plusieurs millions de véhicules électriques.
Pourquoi ce boom ?
- Les “fermes” de serveurs dédiées à l’IA requièrent des centaines de mégawatts par site.
- Une grande partie de cette énergie part dans le refroidissement, mais la majorité est absorbée par la puissance de calcul (GPU intensifs).
💬 “La part prise par les data centers dans la consommation électrique américaine pourrait plus que doubler d’ici 2035 pour atteindre 8,6% du total national, grignotant la capacité du réseau à absorber une électrification massive des transports.”
(Source : BloombergNEF)
Nouvelle donne : la concurrence IA contre véhicule électrique
L’affirmation selon laquelle la montée en puissance de l’IA et du cloud menacerait le développement des véhicules électriques semblait, il y a peu, relever du fantasme. Mais la décision de Foxconn cristallise une réalité nouvelle : les ressources (capital, composants, énergie…) sont limitées, et les industriels arbitrent désormais entre différents secteurs de l’avenir.
⚡ Concurrence pour l’accès à l’énergie :
- Les besoins des data centers freinent la disponibilité et les investissements dans des infrastructures de recharge VE à grande échelle.
- En Europe comme aux États-Unis, les délais pour raccorder de nouveaux sites énergivores au réseau s’allongent — nuisant à l’implantation de gigafactories automobiles.
🏭 Compétition industrielle :
- L’appétit des acteurs de l’IA pour les semi-conducteurs, la logistique et les batteries détourne l’innovation et les approvisionnements clés du secteur automobile.
- La performance financière immédiate des projets IA attire capitaux et talents, au détriment parfois du temps long industriel de l’auto.
💡 Astuce d’expert : Recycler les batteries EV pour soutenir l’IA, une solution temporaire ?
Face à cette confrontation des usages, des initiatives hybrides émergent. General Motors, Redwood Materials ou encore Tesla développent l’usage de batteries usagées ou neuves de véhicules électriques comme “réservoirs intermédiaires” pour le stockage d’énergie solaire, puis l’alimentation de data centers. De quoi limiter (partiellement) la pression sur le réseau et donner une seconde vie précieuse à ces batteries.
Tableau : Comparatif de l’impact énergétique
Usage | Consommation électrique | Compétition pour les ressources |
---|---|---|
Data centers IA (1 grand site) | Jusqu’à 500 MW | Élevée (énergie, semi-conducteurs) |
Usine de batteries / Gigafactory VE | 50-100 MW | Très élevée (lithium, terre rares) |
Infrastructure de recharge rapide VE | 5-25 MW (par station) | Moyenne |
L’Europe sous pression : un risque pour la souveraineté industrielle ?
Si Foxconn maintient une présence industrielle automobile sous forme “modulaire” et orientée sur la flexibilité, l’exemple Lordstown envoie un avertissement très clair : face à la rentabilité immédiate des infrastructures AI/Cloud, les champions du secteur automobile courent le risque d’être relégués au second plan pour les investissements, en particulier en Europe où la filière VE tente encore de s’organiser. L’accélération de la digitalisation mondiale impose donc une réflexion d’ampleur sur le partage de la ressource énergétique et la priorisation des soutiens publics.
La décision de Foxconn signale un rééquilibrage stratégique profond : entre transition énergétique et révolution numérique, les prochains arbitrages mondiaux se joueront autant sur les lignes de production que sur l’équilibre du réseau électrique. L’avenir du véhicule électrique, loin d’être assuré, se trouve désormais en concurrence frontale avec le boom silencieux – mais vorace – des data centers de l’intelligence artificielle.