Revel lâche le VTC pour brancher Uber : le signal faible que l’Europe ne doit pas ignorer

En bref:

  • Revel ferme son service de VTC (11/08/2025), revend/retourne sa flotte et transforme son modèle en réseau de superhubs de recharge urbains (≈100 bornes actives, 100 en construction, >400 visées fin 2026, 2 000 d’ici 2030), alimenté par un partenariat avec Uber pour capter les chauffeurs.
  • Le message stratégique : la valeur passe du kilomètre au kilowattheure — les hubs « flottes d’abord » (contrats volume/SLA, stockage, effacement, optimisation réseau) sont plus rentables ; l’Europe doit industrialiser ce modèle (sites ciblés, contractualisation, dimensionnement réseau) pour ne pas rater le virage.

Le new-yorkais Revel vient d’éteindre ses VTC pour allumer ses chargeurs. L’acteur, connu pour ses Tesla bleues, met fin à son service de ride-hailing à New York pour se concentrer sur un réseau de recharge rapide urbain, utilisé en priorité par… les chauffeurs Uber et Lyft. Derrière ce pivot se dessine une réalité crue de l’électromobilité: la création de valeur glisse de la vente de voitures vers la gestion de l’énergie et l’optimisation de l’infrastructure. L’Europe regarde-t-elle passer le train ?

Ce qui s’est passé à New York

  • Fin des VTC le 11 août 2025, après quatre ans d’activité.
  • Revente/retour de la flotte (environ 500 Tesla et Kia) et cession de 165 plaques FHV (TLC) à 20 000–25 000 $ l’unité, selon Bloomberg.
  • Maintien et accélération de l’activité recharge: environ 100 chargeurs rapides opérationnels (5 sites à NYC, 1 à San Francisco), 100 en construction, une expansion prévue à Los Angeles.
  • Cap: plus de 400 bornes d’ici fin 2026 et 2 000 “stalls” visés d’ici 2030.
  • Partenariat structurant: accord avec Uber depuis 2024, qui oriente ses chauffeurs vers les hubs Revel en échange de tarifs négociés. Résultat: la fréquentation a bondi.

“À la fin de la journée, le VTC est très concurrentiel, capitalistique et à faibles marges”, résume le CEO Frank Reig, cité par plusieurs médias américains (Bloomberg, TechCrunch). Le message est limpide: mieux vaut vendre des kWh assurés que des trajets subventionnés.

L’économie derrière le pivot: du kilomètre au kilowattheure

Revel n’a jamais boxé dans la même catégorie qu’Uber/Lyft (environ 100 000 courses/mois contre plus de 20 millions pour les deux géants). En revanche, ses hubs de recharge ont trouvé leur marché: celui des flottes qui roulent beaucoup et n’ont pas accès à la recharge domicile.

  • Utilisation réseau: ~21% début 2023 (dont 19% par la flotte Revel), ~45% début 2025 (dont ~12% par Revel), d’après TechCrunch. Autrement dit, même sans son propre service, Revel a désormais une base de clients… chez ses ex-rivaux.
  • Mix de revenus: vente de kWh, mais aussi services au réseau (effacement/DR). En juin 2025, le Superhub de Williamsburg a pu délester jusqu’à 250 kW en période de canicule, générant des revenus d’ajustement et améliorant l’acceptabilité locale.
  • Financement: prêt de 60 M$ de NY Green Bank pour accélérer l’ouverture de sites à New York, dont des hubs à proximité d’aéroports et nœuds logistiques.

📌 À retenir

  • Date: 11/08/2025 — fin du ride-hailing Revel à NYC
  • Actifs cédés: 165 plaques TLC (20–25 k$/unité)
  • Réseau actuel: ~100 chargeurs (NYC + SF), 100 en construction
  • Ambition: >400 bornes fin 2026, 2 000 d’ici 2030
  • Clientèle clé: chauffeurs Uber/Lyft et autres flottes à forte rotation

Pourquoi la recharge “flottes d’abord” tient la route

  • Débit garanti: taxis/VTC/livraison convergent vers quelques têtes de réseau urbaines, créant des îlots de forte utilisation.
  • Prédictibilité: les pics sont plus lisibles (aéroports, gares, quartiers d’affaires), ce qui facilite la planification électrique, la tarification dynamique et les accords de volume.
  • Effet de réseau côté énergie: agrégation de sites = pouvoir de négociation sur l’électricité, optimisation de la puissance appelée, monétisation de services système (effacement, réserve), stockage sur site pour lisser la facture.

💡 Encadré “ordre de grandeur” (illustratif, non contractuel)

  • Hypothèse: 1 borne 150 kW, 45% d’occupation, puissance moyenne session 70 kW.
  • Énergie délivrée/jour: 0,45 × 24 × 70 ≈ 756 kWh.
  • Si marge brute moyenne 0,12–0,18 €/kWh après énergie et “demand charges”: 90–136 €/jour, soit 33–50 k€/an par point.
  • CapEx urbain HPC: typiquement 100–250 k€ par stall selon raccordement et foncier.
  • Payback indicatif: 2–6 ans selon site, fiscalité et financement.
    Ces ratios varient fortement selon les marchés, tarifs régulés, et lissage via batteries.

Une activité d’énergie, pas d’automobile

Le point clé est là: Revel ne devient pas un “CPO de plus”, mais un agrégateur d’énergie urbaine orienté B2B flottes. La valeur vient:

  • de la puissance disponible là où elle manque (zones denses),
  • de la fiabilité et du nombre de points (réduction des files d’attente),
  • de l’intelligence de pilotage (répartition des charges, tarification temps réel),
  • des services réseau (effacement, stockage, arbitrage tarifaire).

C’est une chaîne de valeur que les acteurs de la tech US et de l’énergie connaissent bien. Et c’est précisément ce que les constructeurs, historiquement centrés produit, ont du mal à internaliser.

Europe: retard, différence de modèle… ou angle mort stratégique ?

L’UE pousse fort via le règlement AFIR (densification des recharges, obligations le long du réseau TEN-T, objectifs sur les nœuds urbains). Le marché européen n’est donc pas “en retard” sur la quantité. Mais sur la qualité de l’offre pour flottes urbaines, la pièce est encore en train de se jouer.

  • Qui occupe le terrain ? Les énergéticiens et pétroliers (TotalEnergies, bp pulse, Shell Recharge), des CPO spécialisés (Electra, Fastned, Allego, Mer, Ionity sur les corridors), et des solutions de dépôt pour flottes (mobilité professionnelle par EDF/Izivia, Engie, opérateurs locaux).
  • Ce que fait moins l’Europe: des hubs urbains explicitement conçus pour les plateformes (VTC, livraison) avec engagement de volume, SLA élevés et services réseau intégrés. Des initiatives émergent à Paris, Londres ou Madrid, mais pas encore au niveau d’un “réseau flottes” paneuropéen.
  • Les constructeurs? Ils avancent via des JV (Ionity), des hubs maison (ex. Mercedes Charging Hubs), et des offres énergie (VW/Elli, Renault Mobilize), mais restent rarement “opérateurs urbains pour flottes” avec contrats d’usage garantis.

En clair, l’Europe n’ignore pas le sujet, mais la stratégie “flottes d’abord” — qui sécurise l’utilisation et accélère l’amortissement — n’est pas encore systémique.

Trois leçons très concrètes pour les villes et industriels européens

  1. Cibler les bons sites et contractualiser l’usage
  • Aéroports, gares, zones à forte demande de mobilité professionnelle.
  • Accords pluriannuels avec plateformes VTC, logisticiens, taxis — volumes, tarifs, priorités d’accès.
  1. Traiter la recharge comme un actif énergétique
  • Dimensionner la puissance raccordée et anticiper le renforcement réseau.
  • Déployer stockage/batteries pour amortir les “demand charges” et participer à l’effacement.
  • Négocier des cadres tarifaires et des incitations avec régulateurs/DSO/TSO.
  1. Simplifier et fiabiliser
  • Permis et raccordements accélérés, standardisation technique, maintenance pro-active.
  • UX robuste: disponibilité en temps réel, réservation, file d’attente intelligente, moyens de paiement unifiés.

✅ Bon à savoir

  • Les subventions CAPEX sans visibilité sur l’OPEX (énergie, puissance) créent de fausses bonnes idées. Les modèles flottes, eux, financent l’OPEX par l’usage récurrent.

Les écueils à anticiper

  • Capacité réseau urbaine et délais de raccordement: principal point dur.
  • “Demand charges” mal gérés: tueur de marge sans pilotage/batteries.
  • Concurrence accrue des majors énergie et du retail (sites attractifs, loyers).
  • Régulation locale (tarifs, droit du travail plateformes, ZFE) pouvant déplacer la demande.
  • Évolutions rapides (robotaxis, électriques à très grande autonomie, mégawatt-charging pour VUL/poids lourds) qui rebattent les cartes d’implantation.

“Financer des bornes” ne suffit pas: il faut maîtriser l’arbitrage énergétique et sécuriser le débit par les flottes. C’est ce que révèle le cas new-yorkais.

En mettant fin au VTC pour devenir un opérateur d’énergie au service des flottes, Revel pointe une direction: la rentabilité de l’électrique se jouera là où passent les kilowattheures — au bon endroit, à la bonne heure, pour des clients captifs. À l’Europe d’en faire une opportunité avant que d’autres n’en fassent un standard.

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