En bref:
- Bruxelles envisage d’imposer aux flottes un passage massif aux VE (quota possible 75 % en 2027, 100 % en 2030), ce qui risque d’entraîner une vague de VE d’occasion dès 2032-2035.
- Fort risque de compression des valeurs résiduelles (‑10 à ‑20 % sur certains segments) ; loyers et business models des loueurs dépendront des garanties constructeurs (buy‑back, garanties batterie, packs service).
- Tout dépendra des infrastructures et de la confiance (transparence SOH, recharge, offres packagées) : scénarios possibles vont de l’atterrissage maîtrisé au choc de sur‑offre.
L’Europe prépare un coup d’accélérateur qui pourrait redessiner le marché auto plus vite que prévu : forcer loueurs et grandes flottes à n’acheter que des véhicules 100 % électriques dès 2030, soit cinq ans avant l’interdiction des ventes thermiques pour le grand public. Au-delà du débat politique, les conséquences en chaîne sont majeures: déferlante de véhicules électriques sur le marché de l’occasion, choc sur les valeurs résiduelles, et dilemme stratégique pour des constructeurs pris entre volumes flottes et confiance des particuliers.
Voici ce que cela changerait, concrètement, pour l’écosystème automobile européen.
Où en est vraiment le projet européen
- Ce n’est pas (encore) un texte officiel. La Commission européenne a confirmé travailler sur une proposition visant les flottes, avec analyse d’impact en cours et présentation attendue à la fin de l’été 2025.
- L’hypothèse la plus citée par les acteurs: un quota à 75 % de VE pour les flottes en 2027, puis 100 % en 2030. Reste à voir si le texte final proposera une obligation totale ou des paliers par segments d’usage.
- Le processus sera politique: Parlement et Conseil devront valider. L’Allemagne a déjà exprimé son opposition, au nom du réalisme industriel et des infrastructures.
📌 À retenir
- Environ 60 % des immatriculations neuves en Europe sont faites par des flottes (entreprises, leasing, location).
- Les voitures de location pèsent à elles seules près d’un cinquième des immatriculations dans certains pays.
- Cycle de détention moyen en flotte: 3 à 5 ans. Ce rythme alimentera massivement le marché de l’occasion.
Pourquoi cibler les flottes: le multiplicateur VO
- Les flottes renouvellent vite, achètent en volume, et irriguent le marché de l’occasion 24 à 48 mois plus tard.
- Objectif de Bruxelles: créer un « effet d’entraînement » où les VE seront rapidement disponibles en seconde main, plus abordables, et donc adoptés par le grand public sans choc fiscal direct.
Effet attendu sur l’offre de VO électriques:
- Si, en 2030, 5 à 6 millions de véhicules flottes deviennent électriques, le reflux sur le VO pourrait atteindre 3 à 4 millions de VE par an dès 2032-2034 (ordre de grandeur, selon taux de renouvellement et parts exactes de location longue durée vs courte durée).
- Cet afflux tirera les prix du VO à la baisse… à condition que la demande suive (infrastructures, confiance batterie, coût d’usage).
Valeurs résiduelles: le risque qui inquiète tout le monde
- Déjà aujourd’hui, la décote des VE est plus rapide que celle des thermiques dans plusieurs marchés européens, en particulier depuis la vague de baisses tarifaires 2023-2024 et l’augmentation de l’offre.
- Un afflux massif de VO entre 2032 et 2035 pourrait compresser encore les valeurs résiduelles de 10 à 20 % supplémentaires sur certains segments si l’infrastructure et la demande ne progressent pas au même rythme.
- Pour les loueurs et le leasing, c’est un casse-tête: des VR plus basses signifient des loyers plus élevés à l’entrée… sauf si les constructeurs garantissent des reprises ou subventionnent les VR.
💡 Conseil d’expert
- Attendez-vous à voir se généraliser: garanties de reprise constructeur, extensions de garantie batterie (8 à 10 ans/160 à 200 000 km), offres de location de batterie séparée, contrats d’entretien « tout inclus » et services de recharge négociés. Tout cela sert un but: sécuriser la valeur future et rassurer l’acheteur… donc soutenir le loyer.
Infrastructures: le talon d’Achille à court terme
- Le réseau public progresse, mais reste très concentré: plus de 60 % des points de recharge se situent en Allemagne, France et Pays-Bas.
- Les pics saisonniers (tourisme) et les zones rurales/méditerranéennes sont les plus sensibles.
- Le règlement européen AFIR accélère la densification sur les axes, mais l’écart à combler d’ici 2030 reste important pour absorber une flotte pro massivement électrifiée.
Ce que devront faire les loueurs et gestionnaires de flotte:
- Installer du AC au dépôt et dimensionner le DC sur sites stratégiques.
- Contractualiser des tarifs de recharge interopérables pour simplifier l’expérience utilisateur.
- Outiller le suivi d’usage (data énergie, disponibilité bornes, itinéraires) et former massivement les utilisateurs occasionnels.
Constructeurs: l’aubaine des volumes… et le piège canal flottes
Opportunités:
- Des volumes flottes sécurisés dès 2027-2030, utiles pour amortir les plateformes BEV, remplir les usines et aligner les objectifs CO₂.
- Une visibilité industrielle qui soutient l’écosystème batteries et composants en Europe.
Risques:
- Cannibalisation de la demande particuliers si l’écart de loyers et de VR se creuse.
- Image dégradée en VO si les prix chutent trop vite, avec des propriétaires particuliers qui se sentent « piégés » par la dépréciation.
- Concurrence prix exacerbée (arrivée de modèles chinois malgré droits compensateurs, montée en cadence de marques historiques sur l’entrée/mid-range).
Stratégies probables des marques:
- Piloter finement le mix canaux (flottes vs retail) pour ne pas inonder le VO.
- Multiplier les « buy-back » et packs de services, garantir la santé batterie (SOH certifié), proposer des mises à jour logicielles qui soutiennent la valeur.
- Développer des versions métiers (breaks, utilitaires légers, taxis/VTC) avec TCO optimisés.
Ce que cela changera pour l’acheteur particulier
Gagnant à moyen terme si:
- L’offre de VO récents (2-4 ans) explose à partir de 2032, avec des prix plus accessibles, des garanties longues et une meilleure transparence batterie.
- Les réseaux de recharge s’uniformisent et les tarifs se stabilisent (contrats domestiques + itinérance raisonnable).
Points de vigilance:
- Risque de décote rapide sur le VO acheté en 2026-2029 si la vague d’offre arrive trop vite après 2030.
- Privilégier les modèles à forte liquidité (segment C/D, charge rapide robuste, efficacité autobr).
- Exiger: historique de SOH batterie, certificats d’entretien, essais de charge DC, état thermique de la batterie (si disponible).
✅ Check-list rapide à l’achat d’un VE d’occasion
- État de santé batterie (SOH) certifié et garanti.
- Capacité de charge rapide stable (> 100-150 kW sur autoroute selon modèle).
- Efficacité réelle (kWh/100 km) mesurée ou testée.
- Réseau après-vente compétent et pièces disponibles.
- Mises à jour logicielles actives et suivies.
Scénarios 2027-2035: trois trajectoires possibles
- Atterrissage maîtrisé
Adoption flottes progressive (75 % en 2027, 100 % en 2030), infrastructures en rattrapage, soutien public ciblé (fiscalité, AFIR, copropriétés). Résultat: baisse contrôlée des VR, VO très liquide, loyers stables. - Sur-offre et décote
Volumes flottes très élevés, infrastructures en retard, demande particuliers encore hésitante: pression forte sur les VR, loyers en hausse pour compenser, retail en souffrance jusqu’en 2033. - Rééquilibrage par le service
Constructeurs et loueurs « packagent » garanties, rachat, énergie et entretien; les VR se stabilisent car le risque est mutualisé. Le VO devient attractif via labels « batterie garantie ».
Que contiendra (peut-être) le texte final
- Définition des « véhicules zéro émission »: BEV et hydrogène (FCEV).
- Paliers par segment et exemptions ciblées (missions spéciales, zones insulaires, véhicules spécifiques).
- Mesures d’accompagnement: incitations à la recharge privée en entreprise, mécanismes fiscaux sur les VR, soutien aux PME, calendrier d’AFIR renforcé.
- Obligation d’information batterie (SOH) pour la transparence du VO.
En filigrane, la réussite reposera moins sur la contrainte que sur la confiance: valeur de revente crédible, expérience de recharge simple, et coûts d’usage lisibles. Sans cela, le pari du « tout flottes » en 2030 pourrait saturer l’offre d’occasion… et fragiliser la demande qu’il est censé stimuler.