En bref:
- BYD a commencé à exporter depuis son usine de Rayong (Thaïlande) vers l’Europe pour tester la logistique et, si l’origine “Thaïlande” est reconnue, réduire les surtaxes appliquées aux VE d’origine Chine (droits ≈10% vs ≈27–47,6% pour import Chine).
- Cette stratégie reste soumise aux règles d’origine (transformation substantielle), au risque d’enquêtes anticontournement de l’UE, et sera complétée par une usine en Hongrie visant à neutraliser définitivement les droits d’importation.
L’information est tombée fin août: BYD a expédié depuis sa nouvelle usine de Rayong (Thaïlande) un premier lot de plus de 900 Dolphin vers l’Europe, à destination du Royaume‑Uni, de l’Allemagne et de la Belgique. Une première traversée assurée par le roulier “BYD Zhengzhou”, et un signal clair: la Thaïlande devient un pivot industriel et logistique pour l’offensive mondiale de BYD.
Faut‑il y voir un “cheval de Troie” pour contourner les surtaxes européennes visant les voitures électriques chinoises, ou un mouvement rationnel d’optimisation industrielle dans un contexte de tensions commerciales accrues ? Décryptage, chiffres à l’appui.
Ce qui change concrètement avec le “hub” thaïlandais
- Production locale en Asie du Sud‑Est: l’usine BYD de Rayong (ouverte en 2024) affiche 150 000 véhicules/an de capacité. Elle a déjà dépassé 90 000 livraisons cumulées à l’été 2025, et produit désormais aussi des modèles à conduite à gauche pour l’export hors ASEAN.
- Première exportation vers l’Europe: plus de 900 BYD Dolphin embarquées fin août 2025, cap sur l’UE et le Royaume‑Uni. Objectif: tester à échelle réelle la chaîne logistique et commerciale Thaïlande → Europe.
- Stratégie multi‑sources: au-delà de la Thaïlande, BYD accélère en Europe avec une usine en Hongrie (mise en service à partir de fin 2025‑début 2026 selon le phasage), afin de neutraliser à terme tout droit d’importation intra‑UE.
📌 À retenir
- Courte portée: un lot de 900 voitures ne bouleverse pas immédiatement les prix en concession.
- Long terme: si le “made in Thailand” est reconnu en douane, la voie thaïlandaise peut durablement réduire les droits à payer par rapport à des véhicules d’origine Chine.
Taxes: la Thaïlande protège‑t‑elle vraiment de la riposte européenne ?
Le cœur du sujet n’est pas la géographie, mais l’origine douanière du produit.
- Si l’auto est d’origine Chine, elle est soumise au droit européen de base (10 %) + aux droits antisubventions spécifiques décidés par l’UE contre les BEV chinois. À ce stade, BYD est associé à un taux d’environ 17 %, quand SAIC/MG est visé à ~37,6 %. Ces montants s’ajoutent au 10 % de base.
- Si l’auto est d’origine Thaïlande (reconnue comme telle par l’UE), elle est soumise au seul droit commun de 10 % (en l’absence d’accord de libre‑échange en vigueur). Les droits antisubventions ciblant l’origine Chine ne s’appliquent pas.
Important: l’origine “Thaïlande” n’est pas une simple étiquette. Elle découle des règles d’origine non préférentielles de l’UE: il faut une “dernière transformation substantielle” sur place. Un simple vissage de kits (CKD/SKD) ne suffit pas; un processus industriel complet (emboutissage, soudure, peinture, assemblage, etc.) avec une base de fournisseurs locaux croissante, oui. Il n’existe pas un seuil universel “40 %” pour l’origine non préférentielle; c’est la nature et l’ampleur de la transformation qui priment.
Par ailleurs:
- Un accord de libre‑échange UE‑Thaïlande est en négociation. S’il aboutit (objectif affiché: fin 2025), certains droits pourraient baisser à terme pour les véhicules “originaires Thaïlande”.
- L’UE peut ouvrir des enquêtes “anticontournement” si elle suspecte que des flux sont déplacés pour échapper aux mesures. C’est un risque réel si la part de valeur ajoutée locale reste faible ou si l’on constate une simple relocalisation “de façade”.
✅ En synthèse tarifaire (ordre de grandeur)
- Origine Chine: ~10 % (droit commun) + ~17 % (BYD) à ~37,6 % (MG/SAIC) d’antisubventions.
- Origine Thaïlande (sans ALE): ~10 %.
- Production UE (ex. Hongrie): 0 % intracommunautaire.
Quel impact potentiel sur les prix en Europe ?
Exercice simplifié, à but illustratif:
- Hypothèse: valeur en douane (CIF) d’une compacte électrique autour de 20 000 €.
- Origine Chine (BYD, +17 %): droits ≈ 10 % + 17 % = 27 % → 5 400 € de droits.
- Origine Thaïlande: droits ≈ 10 % → 2 000 € de droits.
L’écart sur les seuls droits peut donc atteindre environ 3 400 € par véhicule dans cet exemple. Sur prix client TTC, l’impact est atténué mais reste significatif une fois la TVA appliquée sur une base différente, les coûts logistiques, commerciaux et marges pris en compte. En clair: le “made in Thailand” a un potentiel levier prix non négligeable, surtout sur les segments sensibles au ticket d’entrée.
💡 Conseil d’expert
Les constructeurs n’arbitrent pas uniquement sur les droits de douane: stabilité logistique, délais navire → port, coûts d’assurance, stocks, change euro/baht, exigences réglementaires (batterie, traçabilité), etc., pèsent aussi lourd dans l’équation finale.
Pourquoi la Thaïlande, et pourquoi maintenant ?
- Un écosystème auto déjà mûr: Rayong et la zone de Laem Chabang forment un cluster industriel et portuaire de rang mondial, avec une main‑d’œuvre formée et un réseau de sous‑traitants en expansion rapide sur l’électrique.
- Des incitations publiques fortes en ASEAN: l’essor des VE y est alimenté par des aides, des baisses de taxes et une stratégie nationale de “vitrine EV”.
- Un effet domino régional: d’autres marques chinoises suivent (SAIC/MG assemble la MG4 en Thaïlande depuis fin 2024), tandis que les acteurs japonais renforcent les hybrides pour rester compétitifs. La concurrence locale tire vers le bas les coûts d’assemblage et accélère l’amorçage de la supply chain.
Les limites et risques de la manœuvre
- Anticontournement européen: si Bruxelles estime que la création de valeur est insuffisante, des mesures pourraient être étendues à des véhicules fabriqués hors de Chine. Les précédents existent… dans d’autres secteurs.
- Règles et conformité batterie: l’UE renforce la transparence et l’empreinte carbone des batteries (passeport batterie, due diligence). Ces exigences s’appliqueront quels que soient le pays d’assemblage et peuvent rehausser les coûts de conformité.
- Logistique maritime: même avec une flotte dédiée, multiplier les liaisons Asie → Europe allonge les délais, rigidifie les flux et crée une dépendance aux taux de fret et aux aléas géopolitiques.
- Effet réciprocité commerciale: durcir encore le cadre contre des véhicules “made in Thailand” risquerait des contre‑mesures dans d’autres secteurs (agro, vins & spiritueux, luxe), ce que l’UE devra intégrer politiquement.
📢 Point de vigilance
La clé sera la montée en puissance du contenu local: plus BYD localise en Thaïlande (pièces, modules, pack batterie, peinture, emboutissage), plus l’origine “Thaïlande” devient juridiquement robuste, moins la stratégie est exposée à une requalification.
Et la Hongrie dans tout ça ?
L’usine BYD en Hongrie constitue l’autre pilier du plan: produire au sein du marché unique pour s’affranchir totalement des droits d’importation, rapprocher la production des consommateurs et accélérer les délais. À horizon 2026, ce site pourrait absorber une large part des modèles “volumiques” pour l’UE, laissant au “hub thaïlandais” un rôle d’appoint sur certains modèles/versions ou de flexibilité industrielle.
Concurrence: MG presque sur la même ligne
SAIC/MG a déjà une usine en Thaïlande (≈100 000/an). Son intérêt à basculer des flux Chine → Thaïlande est encore plus évident compte tenu d’un taux antisubventions nettement plus élevé que celui de BYD. Si l’UE valide durablement l’origine thaïlandaise pour des volumes significatifs, attendez‑vous à une vague plus large “Made in Thailand” chez plusieurs marques chinoises.
Environnement: quel bilan pour la transition ?
- Mix électrique vs hybride: face au ralentissement européen du 100 % électrique, BYD a ajouté des hybrides (non touchés par les surtaxes BEV) pour tenir ses volumes, tout en maintenant l’effort EV.
- Transport maritime: allonger la chaîne logistique alourdit l’empreinte transport. Le bilan complet dépendra du mix énergétique des usines thaïlandaises, du contenu des batteries (origine matériaux) et des gains d’échelle industriels.
- Europe, cap sur la relocalisation: l’UE pousse à la fabrication sur son sol (batteries, cathodes, véhicules), ce qui rend d’autant plus stratégique l’usine BYD en Hongrie à moyen terme.
📊 À retenir en un coup d’œil
- Thai‑made reconnu par l’UE: droit de 10 % (vs jusqu’à 27–47,6 % pour des véhicules d’origine Chine selon les marques).
- Accord UE‑Thaïlande: en négociation, potentiellement favorable à moyen terme.
- Risque anticontournement: réel si la valeur ajoutée locale reste faible.
- BYD multiplie les ancrages: Thaïlande (flexibilité coût/logistique) + Hongrie (accès direct UE).
En filigrane, la question n’est pas tant “contourner” que “redessiner” la carte industrielle: BYD cherche des bases compétitives hors Chine pour sécuriser l’accès à l’UE tout en gardant ses coûts sous contrôle. Si Bruxelles reconnaît l’origine thaïlandaise et si l’usine hongroise tient le calendrier, l’Europe devra composer avec une offre BYD plus résiliente aux barrières commerciales… mais sous la surveillance étroite des autorités douanières, prêtes à refermer toute brèche jugée artificielle.