En bref:
- Le Royaume‑Uni instaure dès avril 2028 une taxe au mile pour les VE (3p/mile) et PHEV (1,5p), visant à compenser la perte de recettes carburant (≈1,1→1,9 Md£) sans supprimer l’avantage économique de l’électrique, mais avec risque de baisse des ventes et problèmes de fraude/acceptabilité.
- En France, une mesure similaire est probable à terme ; elle devra être progressive et sociale (franchises, modulation territoriale), techniquement anti‑fraude et respectueuse de la vie privée pour ne pas freiner la transition.
Le Royaume‑Uni vient de dévoiler une fiscalité inédite pour les voitures électriques (VE) et hybrides rechargeables (PHEV) à partir d’avril 2028: une taxation “à l’usage”, facturée au mile parcouru. Un tournant majeur qui vise à compenser l’effondrement programmé des recettes issues des carburants. Faut‑il y voir la fin de l’avantage économique de l’électrique… et le modèle que la France adoptera demain ?
Ce que Londres a décidé, concrètement
- 3 pence par mile pour les voitures 100% électriques (soit environ 2,2 centimes d’euro par km).
- 1,5 pence par mile pour les PHEV.
- Indexation annuelle sur l’inflation.
- Contrôle du kilométrage lors du MOT (contrôle technique) annuel ou aux anniversaires d’immatriculation pour les véhicules récents; paiement intégré à la VED (road tax).
- Exemptions: les utilitaires électriques, bus et poids lourds ne sont pas concernés au démarrage.
- Particularité: les VE immatriculés au Royaume‑Uni seront taxés quel que soit l’endroit où ils roulent; à l’inverse, un VE étranger circulant au Royaume‑Uni ne paiera pas cette taxe.
En parallèle, le gouvernement maintient le gel de la taxe sur les carburants jusqu’en septembre 2026, puis remontera graduellement la “ristourne” de 5 p/litre afin de préserver un différentiel de coût d’usage en faveur de l’électrique. En ordre de grandeur, 3p/mile côté VE, c’est environ la moitié du niveau de taxation que supporte un conducteur essence/diesel via la fuel duty, estimée proche de 6p/mile.
📌 À retenir
- Pour un conducteur électrique “moyen” au Royaume‑Uni (8 500 miles/an), la facture attendue est d’environ 255 £ en 2028‑2029.
- Le Trésor anticipe 1,1 Md£ de recettes en 2028‑2029, 1,9 Md£ à l’horizon 2030‑2031.
- L’OBR (le gendarme budgétaire britannique) estime que la mesure réduira la demande en VE en augmentant leur coût total de possession: jusqu’à 440 000 ventes de VE en moins sur cinq ans, partiellement compensées par d’autres aides (subvention achat prolongée et gonflée à 1,3 Md£), pour un impact net d’environ −24 000 unités par an.
💬 Le débat outre‑Manche
- Constructeurs (dont Ford), SMMT (filière) et opérateurs de recharge jugent la mesure “mal calée dans le temps” et craignent un frein à la bascule électrique, notamment pour les ménages sans borne à domicile qui payent déjà plus (TVA à 20% sur la recharge publique non abaissée).
- Le gouvernement défend un principe “d’utilisateur-payeur”: toutes les voitures usent la route; l’impôt doit refléter l’usage, pas seulement la motorisation.
- Enjeux techniques déjà sur la table: fraude au compteur (clocking) et garanties d’intégrité/traçabilité des relevés.
Pourquoi cette taxe arrive maintenant
L’électrification érode mécaniquement l’assiette des taxes sur les carburants. Au Royaume‑Uni comme en France, ces prélèvements sont une colonne porteuse du budget. Londres arbitre donc entre deux nécessités: préserver les recettes d’infrastructures routières et ne pas casser l’attractivité de l’électrique. D’où un tarif au mile fixé “à mi-chemin” et des contre‑mesures pro‑VE (subventions, infrastructures).
Et la France dans tout ça ?
La question est loin d’être théorique. En France:
- Les taxes sur carburants (TICPE) rapportent encore des montants considérables: environ 30 Md€ en comptabilité nationale en 2024, dont une part nette autour de 16 Md€ pour le budget de l’État. À mesure que l’électrique progresse, ce socle se délite.
- Le cadre fiscal s’est déjà durci pour les véhicules neufs (malus CO₂ et au poids), tandis que le bonus écologique est désormais plus ciblé. Mais rien, à ce stade, qui ressemble à une “taxe à l’usage” pour les VE.
La tentation de “copier” le modèle britannique existera pour trois raisons:
- Prévisibilité budgétaire: une recette corrélée à l’usage est plus stable que des taxes sur l’énergie en recul structurel.
- Équité perçue: un conducteur qui roule beaucoup contribuerait plus, quel que soit son carburant.
- Signal-prix: conserver un avantage de coût d’usage pour l’électrique tout en finançant les routes.
… et les obstacles ne manquent pas:
- Cadre pratique: en France, le contrôle technique intervient moins fréquemment qu’au Royaume‑Uni (tous les deux ans après 4 ans). Relever un kilométrage fiable chaque année imposerait soit d’adapter le CT, soit d’autres canaux (assurances, télématique embarquée, relevé lors de la révision…), avec des garde‑fous anti‑fraude.
- Vie privée et acceptabilité: la CNIL serait très attentive à tout dispositif connecté. Un simple relevé de compteur au garage est plus acceptable qu’un suivi GPS, mais moins robuste contre la fraude.
- Justice sociale et territoriale: comment traiter les “captifs de la voiture” (ruraux, périurbains) ou les ménages sans recharge domestique déjà pénalisés par le coût de la recharge publique ?
Combien cela représenterait en France ?
Ordre de grandeur si Paris copiait Londres (3p/mile ≈ 2,2 c€/km pour un VE):
- 10 000 km/an: ≈ 220 €.
- 12 000 km/an: ≈ 260 €.
- 20 000 km/an: ≈ 440 €.
À comparer à la taxation “carburants” d’un thermique, qui représente plusieurs centimes d’euro par km (via TICPE + TVA), nettement supérieure au barème britannique pour VE. Le différentiel resterait favorable à l’électrique — mais l’écart se refermerait.
Trois pistes de fiscalité “à la française” (sans casser la transition)
- Une taxe au kilomètre “light” sur les VE
- Barème bas, progressif, et différencié selon l’usage (km parcourus), avec franchise annuelle (ex: premiers 3 000 km non taxés) pour préserver les petits rouleurs.
- Bonus territorial possible (rabais rural) et demi‑tarif pour véhicules partagés/autopartage.
- Une micro‑accise dédiée sur la recharge publique
- Quelques centimes par kWh sur la recharge rapide uniquement, fléchés vers l’entretien des voiries et le maillage des bornes. Avantage: pas d’atteinte au compteur, pas de télématique. Inconvénient: pénalise les ménages sans borne à domicile; à compenser par un alignement de TVA (public ≈ domicile) ou un chèque recharge social.
- Un mix “forfait + usage”
- Modeste redevance annuelle de circulation (intégrée à la carte grise) + une composante au km relevée au contrôle technique, avec un taux inférieur en Île‑de‑France (forte alternative modale) et un taux plancher en zones peu denses.
💡 Conseil d’expert
Si la France s’y met, deux conditions sont clés pour ne pas enrayer la bascule électrique:
- Verrouiller un écart de coût d’usage minimal VE vs thermique (par exemple, un ratio de 1 pour 2 comme au Royaume‑Uni).
- Neutraliser les effets régressifs: franchises, modulation territoriale, et alignement de TVA entre recharge publique et domestique.
Les angles morts à surveiller
- Fraude au kilométrage: une explosion du “débridage” des compteurs serait un risque réel. Des scellés électroniques, des journaux d’événements du combiné, voire un croisement avec les historiques de maintenance seront indispensables.
- Flottes et VUL: la trajectoire française de décarbonation des utilitaires ne doit pas être torpillée. Le Royaume‑Uni épargne utilitaires, bus et poids lourds au lancement: un phasage similaire ferait sens chez nous.
- Signal industriel: un durcissement mal calibré pourrait refroidir l’investissement et l’offre VE abordable, au moment où le marché a besoin de modèles à 20‑25 000 € et d’un réseau de recharge plus dense et plus fiable.
📊 L’essentiel en 6 points
- Londres crée, dès 2028, une taxe à l’usage pour VE: 3p/mile (≈2,2 c€/km).
- Objectif: remplacer une part des recettes “carburants” sans annihiler l’avantage VE.
- Impact attendu: recettes 1,1→1,9 Md£; ventes de VE freinées (OBR), d’où des contre‑mesures (subventions, infrastructures).
- Défis: fraude au compteur, équité pour les usagers sans recharge domestique, protection des données.
- En France, la question devient budgétairement inévitable à mesure que la TICPE s’érode (poids encore massif aujourd’hui).
- Un modèle “à la française” devra rester progressif, socialement juste, et garantir un net avantage de coût d’usage pour l’électrique.
En filigrane, le Royaume‑Uni trace une voie qui répond à une réalité budgétaire sans renier — en théorie — l’avantage d’usage de l’électrique. La France y viendra sans doute, mais le diable se nichera dans les détails: barèmes, protections sociales, lutte anti‑fraude et respect de la vie privée feront la différence entre un outil de financement acceptable… et un coup de frein malheureux à la transition.
