En bref:
- Dès juillet 2026, Hanoï interdit les deux-roues thermiques dans son centre, amorçant une transition électrique censée améliorer la qualité de l’air mais posant un lourd défi économique et social aux usagers.
- Le coût élevé des scooters électriques, l’insuffisance des infrastructures de recharge et l’absence d’alternatives de mobilité massives créent une fracture sociale importante.
- L’expérience vietnamienne illustre pour l’Europe l’importance d’une transition anticipée, progressive et équitable, avec aides ciblées et déploiement d’infrastructures adaptées.
L’annonce, passée presque inaperçue en France, a pourtant des allures de laboratoire géant pour la transition écologique mondiale. Dès le 1er juillet 2026, Hanoï, capitale du Vietnam et cité emblématique du deux-roues, bannira tous les scooters et motos à essence de son cœur urbain. Un bouleversement total, imposé à marche forcée à des millions d’usagers dont la vie rime avec la mobilité abordable. Cette expérience radicale, portée par des arguments environnementaux, soulève déjà la contestation populaire. Mais elle offre aussi, pour l’Europe et la France en particulier, un « cas d’école » fascinant pour anticiper les défis — et les solutions — d’une sortie du thermique.
🚦 Un décret fulgurant : vers la fin des scooters thermiques dans le centre d’Hanoï
Le Vietnam n’a pas opté pour la demi-mesure. Le décret, publié mi-juillet 2025, impose l’interdiction des deux-roues à carburant fossile sur plus de 30 km², autour du célèbre lac Hoan Kiem et des principaux points historiques, soit une zone où vivent près de 600 000 personnes. Mais la mesure est surtout le point de départ d’une extension progressive qui visera toute la ville d’ici 2030, avant d’envisager l’interdiction des voitures à essence dès 2028, puis sur l’ensemble du territoire à l’horizon 2045.
« Comme si l’on avait coupé l’électricité sur Paris en plein hiver », confie un mototaxiste sidéré, résumant le choc social.
Avec près de 7 millions de deux-roues dans la seule capitale, et 72 millions dans tout le pays, le scooter est davantage un outil vital qu’un accessoire de loisir.
📌 À retenir
- Date clé : 1er juillet 2026, interdiction des scooters thermiques dans le centre de Hanoï
- Population touchée : 600 000 habitants directement, des millions impactés indirectement
- Objectif affiché : lutte contre la pollution (70 000 décès par an liés à la qualité de l’air selon l’OMS)
💰 L’équation économique : entre virtuosité écologique et fracture sociale
Mauvaise passe pour les ménages
Le coût de la transition est le grand point d’achoppement. Un scooter électrique neuf s’affiche entre 25 et 40 millions de dongs (1 150 à 1 900 $), une somme astronomique pour un Hanoïen dont le revenu annuel moyen plafonne à 6 250 $. Malgré l’annonce d’une aide de 3 millions de dongs (environ 100 €) par véhicule, le reste à charge reste difficilement soutenable, en particulier pour les familles modestes ou les travailleurs dont le deux-roues est l’outil de subsistance (livreurs, taxis, marchands, etc.).
Industrie nationale au cœur de la stratégie
Le gouvernement mise sur la contrainte pour transformer le marché et donner un avantage concurrentiel aux industriels locaux du véhicule électrique, à commencer par VinFast ou Selex Motors. Déjà, le déstockage massif des modèles thermiques commence, tandis que la filière électrique tente de séduire avec des promesses de subventions, primes et incitations fiscales.
📊 Tableau comparatif — Transition électrique à Hanoï (2025-2026)
Critère | Situation actuelle | Objectif/Transition |
---|---|---|
Motos/scooters électriques | ~1,3 million sur 7 millions | 100 % à partir de 2030 |
Coût d’un scooter neuf | ~500-700 € (thermique) | 1 150-1 900 € (électrique) |
Aide publique annoncée | Nulle (sauf nouveaux dispositifs) | 100 € par véhicule |
Bornes de recharge | Faible densité | Maillage accéléré (objectif Selex) |
Impact social | Élevé dans les classes populaires | Risque de déséquilibre social accru |
🔌 Un défi d’infrastructure et d’équité
Si la transition électrifiée fait rêver les élites urbaines et le gouvernement, le terrain montre la limite de l’utopie. Les réseaux de recharge sont jugés « très insuffisants » : ruelles, immeubles vétustes, absence de parkings dédiés, difficulté d’installation dans les zones périphériques. Selex Motors teste les stations d’échange de batteries, portées comme solution miracle pour l’autonomie et l’efficacité… Mais le déploiement massif prendra du temps.
Bon à savoir
Le réseau de transports en commun, accentué par seulement deux lignes de métro principalement en banlieue, n’offre pas de véritable alternative de masse dans l’immédiat.
🎤 Opinion publique : l’espoir d’un air pur… et la peur du déclassement
L’opinion vietnamienne est profondément partagée :
- Soutien à la transition : la pollution de l’air à Hanoï est une réalité dramatique, avec des conséquences sanitaires documentées. De nombreux habitants accueillent favorablement l’idée d’un air plus respirable.
- Réticence massive : l’incapacité financière, l’absence d’infrastructures, la crainte pour l’emploi et la mobilité inquiètent, en particulier chez les classes populaires et les travailleurs indépendants.
« Tout le monde veut un environnement plus propre, mais pourquoi nous imposer ce fardeau sans préparation ? », témoigne Dang Thuy Hanh, mère de famille.
📎 Alternatives de mobilité : la panoplie vietnamienne (et ses limites)
Alternative envisagée | Points forts | Freins actuels |
---|---|---|
Scooters/motos électriques | Silencieux, moins polluants | Prix, autonomie, recharge |
Taxis/VTC (Grab, Gojek…) | Pratique, individuel | Prix, disponibilité |
Bus | Très abordable, réseau vaste | Fréquentation, fiabilité |
Vélo/vélo électrique | Écologique, agile | Infrastructure limitée, sécurité |
Métro | Des extensions prévues | Pas d’alternative de masse |
ℹ️ Note : L’usage accru des transports collectifs est recommandé par la Banque mondiale, mais l’offre de mobilité ne suit pas le rythme de la contrainte réglementaire.
🇪🇺 France-Europe : ce que nous enseigne l’exemple vietnamien
À l’heure où l’Europe prépare l’interdiction des voitures thermiques à l’horizon 2035, l’expérience vietnamienne propose une précieuse leçon de réalisme :
Ce que Hanoï révèle des défis à venir
- Anticipation vs. Subi : la réussite d’une telle rupture nécessite anticipation et accompagnement solide. Bannir le thermique sans filet de sécurité, c’est exposer le plus fragile à la régression sociale.
- Infrastructures, le nerf de la guerre : sans réseau de recharge robuste et transports attractifs, la contrainte technique tourne vite à la crise sociale.
- Aide ciblée et progressivité : des politiques d’aides substantielles, différenciées selon les publics, et une période de transition plus longue s’imposent.
- Économie circulaire et recyclage : que faire des millions de véhicules interdits ? La filière du recyclage et la reprise des véhicules anciens doivent faire partie de la solution doivent faire partie de la solution.
💡 Conseil d’expert
Pour l’Europe, et singulièrement pour la France, il est impératif d’anticiper bien en amont le virage réglementaire : diagnostics précis des besoins, dialogue avec la population, planification du maillage de recharge, prime à la conversion amplifiée et accompagnement renforcé des précaires sont la clé d’une transition juste.
C’est là le paradoxe vietnamien : la rupture peut accélérer la mutation industrielle, stimuler l’innovation et améliorer la qualité de l’air… Mais sans égards pour la équité et sans transition pragmatique, la révolution verte se mue vite en bombe sociale. L’Europe ne pourra pas dire qu’elle n’était pas prévenue.