Freinages fantômes: l’alerte qui secoue les ADAS — et la confiance dans l’auto électrique

En bref:

  • Des centaines de "freinages fantômes" affectent des véhicules récents équipés d’ADAS (AEB) et motivent une enquête du ministère/SSMVM ; causes multifactorielles (capteurs, calibration, logiciel, environnement) et phénomène non limité aux électriques.
  • Exigence urgente: renforcer tests/homologation, journalisation, calibrage et stratégies logicielles, plus pédagogie utilisateur, pour réduire les faux positifs à haute vitesse et restaurer la confiance — condition clé pour l’acceptation des VE.

Dans les témoignages, le scénario se répète: sur autoroute, en dépassement ou à l’approche d’une sortie, la voiture ralentit brutalement, parfois jusqu’à l’arrêt, sans action du conducteur. Le « freinage fantôme », imputé aux aides à la conduite (ADAS) et en premier lieu à l’AEB (freinage automatique d’urgence), est désormais suffisamment fréquent pour que le ministère des Transports ouvre une enquête via le SSMVM.

Au-delà de l’émotion légitime, une question de fond s’impose: s’agit‑il d’un défaut de jeunesse corrigible ou du symptôme d’une course à l’innovation mal pilotée, au risque d’entamer durablement la confiance dans ces technologies — et donc dans l’adoption de l’automobile électrique, qui en a fait un argument central?

Ce que l’on sait à date (19 août 2025)

  • Des centaines de témoignages ont été recensés ces dernières semaines en France, tous constructeurs confondus, majoritairement sur des véhicules récents (2017-2025).
  • Les situations récurrentes: dépassement de poids lourds, panneaux/sorties d’autoroute, tunnels, trafic opposé séparé par une glissière, soleil rasant, pluie/neige/brouillard…
  • Le ministère des Transports a saisi le SSMVM: auditions, collecte de cas, essais avec les constructeurs et évaluation du risque sont annoncés.
  • Les constructeurs communiquent avec prudence. Certains rappellent l’absence de cas d’arrêt complet dans leurs bases nationales; d’autres disent « analyser ». Tous soulignent la vocation sécuritaire de l’AEB.
  • Côté réglementation, l’AEB est obligatoire pour les nouveaux types depuis 2022 et pour tous les véhicules neufs immatriculés depuis juillet 2024 (GSR2). Beaucoup de modèles en étaient déjà équipés.

📌 À retenir

  • Le phénomène n’est pas cantonné à une marque ni à l’électrique, mais touche l’ensemble des véhicules récents dotés d’ADAS.
  • Les causes sont multifactorielles (capteurs, environnement, calibration, logiciel, stratégie d’alerte).
  • Les ADAS sauvent des vies; l’enjeu est de réduire drastiquement les faux positifs dangereux à vitesse élevée.
  • L’État ouvre une enquête: transparence des données et nouveaux protocoles d’essai seront déterminants.

« Pourquoi ma voiture freine alors qu’il n’y a rien ? » Les mécanismes en cause

Les ADAS combinent capteurs et algorithmes pour percevoir et décider en millisecondes.

  • Capteurs et perception:

    • Caméras frontales (sensibles aux éblouissements, ombres, gouttes, salissures).
    • Radars (évaluent distance/vitesse relative, mais peuvent « accrocher » un véhicule dans une bretelle).
    • Lidar sur quelques modèles (plus rare en Europe grand public).
    • Calibration critique après remplacement de pare-brise ou choc; un décalage d’1° suffit à dégrader la perception.
  • Fusion et décision:

    • Alerte collision puis AEB si non‑réaction du conducteur.
    • À haute vitesse, la logique doit arbitrer entre « faux positif » et « faux négatif ». Un excès de prudence peut déclencher un freinage intempestif.
    • Interactions piégeuses: lecture de panneaux (ISA) + régulateur adaptatif + maintien de voie = ralentissement subi si le système se verrouille sur un véhicule quittant la voie principale.
  • Scénarios typiques de faux positifs:

    • Camion croisé/voisin perçu comme intrus sur la voie.
    • Ombres, portiques, éléments saillants (pare-chocs/débris) interprétés comme obstacles.
    • Sortie d’autoroute: suivi d’un véhicule qui décélère vers 70/90 km/h, l’ACC peut tarder à se « déverrouiller ».
    • Tunnels/sous-terrains: contraste et géométrie perturbent la vision.

💡 Astuce

  • Après remplacement de pare-brise ou d’un capteur, exigez le rapport de calibration caméra/radar. Un calibrage « approximatif » est une source classique d’alertes intempestives.

Défaut de jeunesse… ou défaut de méthode ?

  • Le pour: les ADAS (AEB, ACC, maintien de voie) réduisent les collisions par l’arrière et protègent piétons/cyclistes, surtout en urbain et à moyenne vitesse.
  • Le contre: à 110-130 km/h, un freinage « faux positif » devient dangereux. Les protocoles d’homologation ont longtemps priorisé la détection/efficacité plus que la robustesse aux faux positifs en scénarios complexes.
  • L’enjeu logiciel: l’ADAS est défini par du code qui évolue (mises à jour). Une excellente notation Euro NCAP 2023 n’implique pas une immunité aux cas limites 2025.
  • Standardisation insuffisante: ergonomie inégale, réglages de sensibilité hétérogènes, logs d’événements peu accessibles aux experts indépendants.

🎯 Ce qu’il faut tester davantage

  • Scénarios d’autoroute multi‑voies avec trafic complexe (sorties, rétrécissements, tunnels).
  • « Faux obstacles » réalistes: ombres, panneaux, balises, objets plats.
  • Interaction entre ISA, ACC, maintien de voie et AEB à haute vitesse.
  • Capteurs en condition dégradée (salissures, pluie fine, soleil rasant).

Pourquoi l’électrique est au premier rang

  • Équipement de série: les VE popularisent les ADAS avancées (marketing + efficience via conduite anticipative).
  • Usage: régulateur adaptatif et maintien de voie sont plus fréquemment activés sur longs trajets (où roulent beaucoup de VE).
  • Perception publique: confusions entre « conduite assistée » et « autopilotage » nourrissent une confiance mal placée. Un incident visible peut jeter la suspicion sur l’ensemble de la filière électrique.

ℹ️ Bon à savoir

  • Le « freinage fantôme » n’a rien à voir avec la régénération de freinage (one‑pedal) des VE. La régénération est commandée par le conducteur; l’AEB déclenche une décélération autonome en évaluant un danger.

Où en sont l’État et les constructeurs ?

  • Le SSMVM (ministère des Transports) a ouvert des travaux: collecte des témoignages, échanges avec les marques, essais ciblés pour qualifier l’anomalie.
  • Les dossiers d’accidents récents (dont celui sur l’A40) ont catalysé l’attention publique. Un groupe de victimes regroupe plusieurs centaines de cas rapportés.
  • Les marques: communication mesurée, promesse d’examens au cas par cas, mais peu de détails techniques publiés à ce stade.
  • Prochain cap: si un défaut récurrent est démontré, des campagnes correctives (logiciel/calibration), voire des rappels, devront suivre.

Que faire si vous êtes concerné(e) ?

  • Au volant
    • Restez vigilant, mains sur le volant, regard loin. Respectez scrupuleusement les distances de sécurité.
    • Sur autoroute, anticipez les sorties des autres; ne suivez pas « verrouillé » un véhicule qui s’engage dans une bretelle.
    • Si un freinage automatique débute sans raison:
      • Tentez une manœuvre d’évitement douce en conservant le contrôle.
      • Sur certains modèles, une sollicitation franche de l’accélérateur peut annuler l’intervention automatique; ce n’est pas universel pour l’AEB. Privilégiez la maîtrise de la trajectoire et évitez les gestes brusques.
  • Prévenir les déclenchements
    • Nettoyez régulièrement caméra/radar; évitez les caches/dashcams devant le module caméra.
    • Après pare-brise ou choc avant: calibration dynamique/statique obligatoire, conservez l’attestation.
    • Réglez la sensibilité d’alerte collision si disponible; désactivez temporairement certaines aides en conditions perturbées (pluie battante, tunnel très sombre), puis réactivez-les.
  • Après un incident
    • Notez date/heure/GPS, conditions météo, vitesse, aides actives, messages au tableau de bord.
    • Déclarez au constructeur et à votre assurance; demandez l’extraction des données événementielles (journaux/boîte noire si disponible).
    • Signalez votre cas au SSMVM via les canaux officiels; rejoignez un collectif si vous le souhaitez.

✅ Check‑list livraison/entretien

  • Démonstration des aides (AEB/ACC/ISA/maintien), réglages et limites.
  • Procédure d’annulation/override et de réactivation.
  • Preuve de calibration après intervention pare-brise/capteurs.

Cinq chantiers pour restaurer la confiance

  1. Protocoles d’homologation renforcés
  • Introduire des tests « faux positifs » à 110/130 km/h, scénarios de sorties, tunnels, trafic dense, météo dégradée.
  1. Journalisation et transparence
  • Enregistreurs d’événements ADAS standardisés, accessibles aux experts, avec conservation légale minimale.
  1. Stratégies logicielles « sûres par conception »
  • Limiter la décélération maximale automatique à haute vitesse en l’absence d’obstacle confirmé multi‑capteurs; privilégier alerte + freinage progressif.
  1. Calibration et maintenance
  • Traçabilité obligatoire des calibrations capteurs; contrôle renforcé après pare-brise. Réseau formé et outillé.
  1. Pédagogie utilisateur
  • Livraison avec briefing structuré; manuel et HMI clairs; réglages par défaut prudents. Messages non ambigus sur ce que le système sait/ne sait pas faire.

📢 Point d’attention réglementaire

  • L’obligation (GSR2) ne doit pas rimer avec « boîte noire » industrielle. La réduction des faux positifs est un objectif de sécurité à part entière, au même titre que l’efficacité de détection.

En quelques semaines, le « freinage fantôme » est passé du fait divers au sujet de sécurité publique. Les ADAS restent un progrès majeur, mais ils exigent rigueur logicielle, maintenance irréprochable et transparence. C’est à ce prix que l’automobile — électrique en tête — conservera la confiance des conducteurs.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *