E-car à 15 000 €: l’ambition européenne à l’épreuve de la très concrète Honda N‑ONE e

En bref:

  • L’UE veut relancer une "E‑car" européenne (<15 000 €) — petite électrique simple, légère et produite localement — et la Honda N‑ONE e (Japon) montre que la philosophie est faisable mais nécessite adaptations (sécurité, largeur, équipement).
  • Pour atteindre 15 k€ il faudra standardisation, batteries européennes, volumes/plates‑formes partagées et assouplissements réglementaires : sans ces leviers, le prix de lancement sera plutôt 16–18 k€ et la concurrence chinoise restera vive.

L’Europe veut réinventer la mini-citadine électrique. Deux jours après l’annonce d’Ursula von der Leyen d’une catégorie “E-car” pour des électriques simples, légères et fabriquées en Europe à moins de 15 000 €, Honda déploie au Japon une N‑ONE e très proche de cette philosophie. Un miroir utile pour jauger la faisabilité, les compromis réglementaires… et l’intérêt stratégique face aux électriques chinoises à bas coût.

Au-delà du symbole, que peut réellement livrer l’E-car européenne, et à quelles conditions peut-elle devenir une arme industrielle et climatique crédible ?

Ce que l’UE met sur la table (et pourquoi maintenant)

  • Objectif affiché: créer une nouvelle catégorie entre les quadricycles (L6e/L7e) et les voitures particulières (M1), pour permettre des électriques ultra-compactes, essentielles et abordables.
  • Cadre en gestation: étude EY, premières bornes techniques évoquées par des travaux de recherche (longueur ≤ 3,8 m, masse ≤ 1 000 kg, puissance contenue).
  • Cap politique: “Nous proposerons de travailler avec l’industrie sur une nouvelle initiative relative aux voitures abordables et de petite taille”, a déclaré Ursula von der Leyen le 10 septembre.
  • Impératif industriel: reconquérir un segment A sinistré par le surcoût réglementaire (GSR2, ADAS obligatoires) et le coût des batteries. Jean‑Philippe Imparato (Stellantis) rappelait: “Avant les règles d’homologation de 2018, un million de mini‑citadines étaient vendues en Europe à moins de 15 000 €. Maintenant, nous sommes à 90 000.”

📌 À retenir

  • Cible prix: < 15 000 € TTC
  • Production: en Europe, avec chaînes d’approvisionnement européennes
  • Esprit: “E” pour environnementale, économique, européenne
  • Agenda: réunion stratégique Commission/constructeurs à Bruxelles le 12 septembre pour esquisser le cadre réglementaire

Pourquoi regarder le modèle japonais des kei cars

Les kei cars ont façonné la mobilité urbaine nippone depuis les années 1950:

  • Encombrement limité (env. 3,40 m x 1,48 m), puissance plafonnée (64 ch), fiscalité et usage urbain favorisés.
  • Énorme popularité locale grâce à des coûts d’achat/usage bas, une maniabilité exemplaire et une offre pléthorique.

Mais l’Europe part d’un autre contexte:

  • Réseaux routiers plus rapides, attentes de sécurité et de confort plus élevées, réglementation M1 plus exigeante.
  • Pas (encore) de fiscalité avantageuse spécifique aux très petites voitures, ni d’avantages de stationnement comparables.

ℹ️ Bon à savoir (classes L6e/L7e vs M1)

  • L6e: 45 km/h, 6 kW max, permis AM dès 14 ans (quadricycles légers).
  • L7e: au‑delà de 45 km/h, puissance > 6 kW, permis B1/B (quadricycles lourds).
  • M1: voitures particulières, cadre sécurité le plus strict (crash-tests, ADAS, etc.).
    L’E‑car viserait une “inter‑catégorie” allégée par rapport à M1, mais bien plus protectrice qu’un quadricycle.

Honda N‑ONE e: la preuve par l’objet

Présentée au Japon en juillet, la Honda N‑ONE e incarne la “petite électrique utilitaire du quotidien”:

  • Format kei (≈ 3,40 m), design rétro épuré, bandeau noir intégrant les prises.
  • Autonomie annoncée: 270 km sur cycle japonais WLTC.
  • Technologie V2H (Vehicle‑to‑Home): possibilité d’alimenter une habitation.
  • Choix frugal assumé: intérieur minimaliste, pas d’écran central tactile.

Honda a même montré à Goodwood un prototype “Super EV” adapté à des standards européens: élargisseurs d’ailes (largeur portée à ~1,60 m), 64 ch et 162 Nm. Une démonstration intéressante des ajustements nécessaires dès qu’on renforce sécurité et tenue de route.

Points forts observés

  • Simplicité, efficience, compacité: tout ce que l’E‑car vise.
  • V2H: valeur d’usage énergétique concrète.
  • Design rationnel qui facilite la fabrication.

Points d’attention européens

  • Autonomie WLTC japonaise ≠ WLTP: conversion probable à la baisse.
  • Mise à niveau sécurité/ADAS et élargissement: poids et coût en hausse.
  • Rien n’est officialisé pour l’Europe: adapter la voiture et le modèle économique reste non trivial.

Les verrous européens: réglementaires, culturels, industriels

  • Sécurité/équipements: GSR2 (freinage d’urgence, maintien de voie, ISA, etc.) a renchéri les petites voitures. Une E‑car devra définir un “socle de sécurité essentiel” sans refaire grimper la facture.
  • Usages et attentes: roulages périurbains rapides, autoroute occasionnelle, protections perçues face aux SUV, habitabilité à 4… L’Europe tolère moins le “strict essentiel” que le Japon.
  • Coûts fixes et supply chain: batteries (même LFP), électronique de puissance, réseaux de fournisseurs européens encore en montée en cadence.
  • Concurrence chinoise: effets de volume, intégration verticale et subventions ont comprimé les prix. Des droits correctifs aident, mais ne remplacent pas la compétitivité intrinsèque.

Peut‑on vraiment faire 15 000 € ?

Le prix plancher se joue sur quelques curseurs clés:

  • Batterie contenue (20–28 kWh), chimie LFP locale, pack simplifié.
  • Plateforme standard commune (multi‑marques) pour volumes et dépréciation R&D.
  • Intérieur frugal (écran réduit ou instrumentation simple), ADAS limités mais conformes au “socle E‑car”.
  • AC 7–11 kW de série, DC modeste en option (40–60 kW), architecture 400 V “simple”.
  • Assemblage dans des sites compétitifs en Europe, logistique courte.

🎯 Leviers déterminants

  • Normalisation européenne: pièces communes, process partagés.
  • Allègements ciblés de contraintes M1 tout en garantissant l’essentiel (crash, structure, AEB).
  • Incitations d’usage: stationnement résident, zones apaisées, fiscalité locale.
  • Socle de services: car‑sharing, flottes publiques, TPE/collectivités pour amorcer le volume.

Analyse réaliste: atteindre 14 990 € TTC dès le lancement sera difficile sans volumes et sans arbitrages clairs sur l’équipement. Un atterrissage à 16–18 000 € paraît plus probable au départ, avant baisse par l’effet série.

Une vraie riposte aux petites électriques chinoises ?

Partiellement, si:

  • la catégorie E‑car autorise de vraies économies d’ingénierie,
  • l’Europe accélère batteries et composants “made in EU”,
  • et si l’on obtient rapidement des volumes via commandes publiques et flottes.

Sinon, la compétitivité prix restera sous pression. L’E‑car est d’abord un “droit à la simplicité” redonné aux constructeurs européens. Sans ce cadre, ils restent condamnés à sur‑spécifier de petites autos… donc à les rendre trop chères.

💡 Conseil d’expert

  • Ne pas surdimensionner la recharge rapide: privilégier l’AC 7–11 kW de qualité, et un DC d’appoint. L’économie réalisée est majeure.
  • Résister à la “SUVisation” et à l’inflation d’écrans: chaque kilo et chaque watt‑heure compte.

Ce qu’il faut trancher à Bruxelles (dès aujourd’hui)

  • Définition du “socle sécurité” E‑car: structure/crash minimum, AEB, ISA, etc.
  • Plafonds de masse, puissance et vitesse adaptés aux usages réels européens.
  • Exigences batterie (sécurité thermique) et réparabilité.
  • Équipements de base obligatoires vs options (clim, multimédia, DC).
  • Règles d’homologation simplifiées et délais raccourcis.
  • Cadre d’incitation: TVA réduite locale, avantages stationnement, marchés publics.
  • Contenu local: cellules, modules, électronique de puissance.
  • Calendrier et clause de revoyure pour ajuster sans tuer le modèle.

N‑ONE e vs E‑car: convergence et divergences utiles

Convergences

  • Philosophie: petite, efficiente, accessible, pensée pour la ville.
  • Puissance modérée (≈ 64 ch), format court, batterie raisonnable, V2H.

Divergences à anticiper en Europe

  • Sécurité/largeur: l’élargissement à ~1,60 m du proto Goodwood illustre l’impact des normes.
  • Coûts: ADAS, crashworthiness, post‑traitement logiciel.
  • Culture d’usage: plus d’exigences en périphérie/autoroute, confort et insonorisation.

La N‑ONE e montre la voie: la frugalité peut séduire si elle s’accompagne d’une valeur d’usage claire (facilité de ville, coûts contenus, V2H). À l’Europe de créer le cadre qui autorise cette frugalité, sans compromis inacceptables sur la sécurité.

En somme, l’E‑car peut réallumer le segment A si l’on accepte des choix tranchés: limiter l’appétit en équipements, standardiser à grande échelle et accompagner par des politiques locales pro‑petites voitures. Face à la Chine, c’est moins une question de slogans que de vitesse d’exécution et de discipline technique.

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