En bref:
- Une plainte en Californie affirme qu’une passagère est morte piégée dans un Cybertruck dont les portes 100% électroniques n’ont pas fonctionné après un choc — le secours mécanique existait mais était dissimulé; la NHTSA et d’autres autorités enquêtent sur des cas similaires.
- Au‑delà de Tesla, le dossier met en lumière le risque des poignées affleurantes et appelle à des règles européennes et industrielles pour des commandes mécaniques d’évacuation visibles, standardisées et faciles d’accès; en attendant, repérez les issues manuelles et gardez un brise‑vitre à portée.
Une plainte déposée en Californie accuse Tesla d’un défaut de défaut de conception sur le Cybertruck: des portes 100% électroniques qui auraient piégé une passagère dans un véhicule en feu. Au-delà de ce drame, c’est toute une tendance de design — poignées affleurantes et ouvertures électriques — qui se retrouve sous les projecteurs. Avec, en filigrane, une question simple pour l’Europe: jusqu’où peut-on “électrifier” une porte sans compromettre l’évacuation d’urgence?
Ce que l’on sait du dossier américain
- Jeudi, les parents de Krysta Tsukahara, 19 ans, ont poursuivi Tesla en justice en Alameda County (Californie). Ils affirment que leur fille, assise à l’arrière d’un Cybertruck en novembre 2024, a survécu au choc mais est morte de brûlures et d’inhalation de fumées faute d’avoir pu sortir.
- Les portes extérieures du Cybertruck s’ouvrent via des boutons électriques sur les montants; à l’intérieur, un secours mécanique existe, mais l’actionneur arrière est dissimulé sous un tapis de poche de porte. Des témoins disent avoir tenté les boutons sans succès, puis brisé une vitre pour extraire le passager avant; la passagère arrière n’a pas pu être sortie.
- Les circonstances du crash sont graves: vitesse élevée et conducteur sous l’emprise d’alcool et de stupéfiants, selon les rapports cités par la presse locale et l’AP. Les familles estiment cependant qu’un “accident survivable” est devenu fatal par impossibilité d’évacuation.
- Contexte réglementaire: la NHTSA enquête depuis septembre sur des portes Tesla (notamment Model Y 2021) devenues inopérantes, avec plus de 140 plaintes de consommateurs recensées par Bloomberg depuis 2018 sur des portes bloquées ou inactives. L’agence cible d’abord l’impossibilité d’ouverture de l’extérieur lorsqu’il n’existe pas de commande manuelle.
- Réponse du constructeur: Tesla n’a pas commenté ces plaintes précises au moment d’écrire ces lignes. Son designer en chef, Franz von Holzhausen, a toutefois indiqué mi-septembre sur un podcast travailler à une commande “plus intuitive en situation de panique”, combinant électronique et secours mécanique. Un procès dans l’affaire Tsukahara est d’ores et déjà programmé pour février 2027, selon Bloomberg.
📌 À retenir
- Les griefs visent moins l’électronique en soi que l’accessibilité du secours mécanique, jugé trop caché pour un usage en urgence, surtout aux places arrière.
- Le sujet dépasse Tesla: l’industrie entière pousse des poignées affleurantes et des ouvertures à bouton, au nom de l’aérodynamique et du style.
Portes électroniques, poignées affleurantes: comment ça marche (et où ça peut coincer)
- Extérieur: plus de poignée saillante, mais un bouton tactile/électrique (Cybertruck) ou une poignée affleurante motorisée (autres marques). Sans alimentation 12 V, ces dispositifs peuvent rester inertes.
- Intérieur: la réglementation impose une ouverture depuis l’habitacle. Les constructeurs ajoutent donc un câble mécanique. Problème: la facilité d’identification et d’accès varie beaucoup.
- Sur Cybertruck: à l’avant, une tirette proche des commandes de vitre; à l’arrière, une languette/câble derrière un revêtement de poche de porte (il faut ôter un insert).
- Post‑choc: un crash peut sectionner ou isoler l’alimentation 12 V; la haute tension est coupée par pyrofusibles. Si le 12 V chute, les commandes électriques peuvent cesser de répondre. La seule issue devient le secours mécanique, qui doit être évident à trouver… et c’est précisément là que le bât blesse.
💡 Bon à savoir
- Les portes “dures” (acier/inox) et vitrages renforcés améliorent la sécurité… mais compliquent l’accès des secours quand les ouvrants ne répondent plus. Le compromis doit être anticipé dès la conception.
Que disent les régulateurs — et où se situe l’Europe ?
- États‑Unis: la NHTSA a lancé une évaluation préliminaire sur l’opérabilité des ouvertures électroniques, notamment depuis l’extérieur. C’est la première marche vers une éventuelle action corrective.
- Canada: Transport Canada a ouvert sa propre collecte d’informations en 2025 sur l’évacuation quand le système 12 V est compromis.
- Chine: des autorités ont évoqué un encadrement renforcé des poignées affleurantes après des données inquiétantes de “pop‑out” en choc latéral, selon la presse spécialisée.
- Europe: les règles de type‑approbation (règlement UNECE R11 sur loquets/charnières) exigent une ouverture depuis l’intérieur sans outil ni connaissance spéciale. Beaucoup de véhicules à poignées affleurantes sont conformes… mais la norme ne détaille pas toujours l’ergonomie, la signalétique et l’accessibilité “en panique”, notamment pour les places arrière. Euro NCAP évalue déjà l’“aide au sauvetage”, mais pourrait durcir ses protocoles sur l’identification des sorties d’urgence.
📊 Le point réglementaire (propositions qui montent)
- Rendre obligatoire un dispositif mécanique visible, unique et clairement signalé à chaque place, y compris à l’arrière.
- Standardiser le pictogramme et l’emplacement (ex. proximité poignée/accoudoir).
- Exiger un accès de secours extérieur mécanique simple pour intervenants (cache‑rupture sur montant).
- Éclairage/photoluminescence des commandes d’évacuation.
- Fiches de secours ISO 17840 enrichies (localisation exacte des trappes/cordons).
Le débat de fond: style vs. sécurité d’évacuation
Pourquoi ces poignées affleurantes? Pour l’aérodynamique (moins de traînée), la propreté de ligne et, parfois, la gestuelle “tech”. Elles ne sont pas intrinsèquement dangereuses. Mais un design “tout‑électronique” qui relègue l’issue mécanique à une languette dissimulée est problématique:
- En stress aigu, la mémoire procédurale domine: on cherche un levier, pas une astuce sous un tapis.
- Les passagers arrière connaissent rarement les spécificités du véhicule.
- Les secours extérieurs perdent des secondes précieuses quand il n’existe pas de voie mécanique d’ouverture facilement repérable.
Comme le résume l’un des avocats de familles plaignantes: on peut être responsable du crash et reprocher au constructeur d’avoir rendu l’évacuation trop difficile. Les deux réalités coexistent.
Fréquence et risque: garder la mesure, agir vite
- Les incendies post‑crash sur VE demeurent rares à l’échelle du parc, et l’immense majorité des accidents n’implique pas d’embrasement. Mais lorsque survient une perte d’alimentation et/ou un départ de feu, toute seconde compte.
- L’“entrapment” post‑choc n’est pas propre aux VE: des systèmes électriques abondent désormais sur toutes motorisations. L’exigence doit donc être universelle: un secours mécanique simple, évident et standardisé.
Implications pour les constructeurs européens
- Raccourcir la “chaîne cognitive” en urgence: un seul geste, un seul endroit, un marquage clair.
- Revoir les ouvrants arrière: bannir les cordons cachés, généraliser une tirette dédiée, visible et rétro‑éclairée.
- Prévoir une ouverture mécanique externe normalisée (cache à arracher/poussoir) pour premiers intervenants.
- Logiciel: préserver une réserve 12 V sur les circuits d’ouverture en cas de choc, avec temporisation d’alimentation, tout en respectant l’isolement HV.
- Communication: pictos sur portes, chapitre “issue de secours” simplifié dans l’appli/écran, tutoriels à la livraison.
✅ Conseils pratiques pour les automobilistes (VE et thermiques)
- Repérez à froid les commandes d’ouverture manuelle à toutes les places, surtout à l’arrière.
- Conservez la fiche de secours (ISO 17840) du véhicule, accessible aux secours (porte‑soleil, QR code).
- En cas de choc avec portes inertes: tentez les manuels intérieurs; à l’extérieur, viser les vitres latérales trempées (pas le pare‑brise feuilleté) en frappant près des bords.
- Équipez‑vous d’un petit brise‑vitre homologué, rangé à portée immédiate.
- Parents: testez la réouverture des portes arrière depuis l’extérieur véhicule coupé, pour identifier les limites de votre modèle.
Et maintenant ?
Le dossier californien ne préjuge pas du jugement final. Mais il révèle une faiblesse évitable: des issues de secours trop peu accessibles. Entre enquêtes des régulateurs et promesses d’évolution de design, l’industrie a l’occasion de corriger le tir rapidement. En attendant, mieux vaut connaître — et savoir montrer — par où sortir.