En bref:
- Ferrari présente l’Elettrica : pack 122 kWh (880 V, recharge 350 kW), 4 moteurs >1 000 ch, intégration verticale (batterie/moteurs/onduleurs) pour préserver l’ADN dynamique malgré ~2,3 t.
- La Bourse punit la prudence stratégique : mix VE limité à 20% en 2030, prix/volumes et endurance inconnus — message d’exclusivité et CAPEX élevé pèse sur les perspectives financières.
Ferrari a levé le voile sur les entrailles de sa première 100% électrique, l’Elettrica. Un concentré d’ingénierie maison qui veut traduire l’ADN de Maranello à l’ère des électrons. Et pourtant, l’action RACE a décroché. Pourquoi les marchés ont-ils sanctionné ce qui ressemble, sur le papier, à une démonstration technologique ?
Plongeons dans la technique, puis dans la finance. Car c’est bien l’écart entre les deux qui raconte l’instant Ferrari.
Ce que Ferrari a réellement montré
Pas de carrosserie, pas de prix. Ferrari a choisi une « présentation en 3 temps »: le cœur techno aujourd’hui, davantage de détails et la grille tarifaire en 2026, le dévoilement complet juste avant les premières livraisons (attendues en 2026). En revanche, le fond est là.
📌 À retenir (spécifications-clés communiquées)
- Batterie: 122 kWh, architecture 880 V, recharge DC jusqu’à 350 kW
- Autonomie visée: > 530 km
- Chaîne de traction: 4 moteurs (un par roue), > 1 000 ch en mode boost
- 0 à 100 km/h: 2,5 s • Vitesse max: 310 km/h
- Masse: ~2 300 kg • Répartition: 47/53
- Transmission: désaccouplement de l’essieu avant pour passer AWD → RWD en 0,5 s
- Dimensions: empattement 2 960 mm • 4 portes (Ferrari confirme: ce n’est pas une supercar)
Une électrification « made in Maranello »
Ferrari internalise l’essentiel:
- Pack et modules batterie conçus et assemblés en interne (cellules NMC SK fournies par un partenaire). Modules pensés pour être remplaçables et réparables: l’idée d’un « EV pour durer ».
- E-axles compacts et très denses, avec rotors à aimants permanents en configuration Halbach (gain de densité de couple, masse réduite), tôles de stator ultra-minces et bobinages Litz pour limiter les pertes à haute fréquence.
- Onduleurs en carbure de silicium (SiC), rendement annoncé jusqu’à 93% à pleine charge, fréquence de découpage pilotée (10 à 42 kHz) pour arbitrer rendement, acoustique et thermique.
- Contrôle-commande centralisé: gestion synchronisée du couple (4 moteurs), de la suspension active et des roues arrière directrices (jusqu’à 2,15°).
🔧 Suspension: troisième génération d’amortissement actif (vue sur Purosangue et F80), capteurs à 1 ms de latence et action en 5 ms. Sous-cadre arrière séparé pour filtrer vibrations et bruits non masqués par un moteur thermique.
💡 Conseil d’expert
À ce niveau de performance, la clé ne tient pas au « chiffre de puissance » mais à la capacité à la répéter, gérer la chaleur et maintenir la précision du châssis. L’intégration verticale (moteurs/ondulateurs/gestion thermique) est plus déterminante que la course aux chevaux.
Batterie: pack, packaging et promesse dynamique
- 210 cellules (15 modules de 14), densité pack annoncée à 195 Wh/kg (cellule à 305 Wh/kg).
- Placement des masses optimisé: 85% du poids des modules sous le plancher, le reste à l’arrière afin de raccourcir l’empattement et réduire l’inertie de lacet.
- Objectif déclaré: maximiser l’agilité et la « sensation Ferrari » malgré plus de 2,3 t.
✅ En bref
- Architecture 880 V et 350 kW: compatible avec des courbes de charge rapides, sous réserve du maintien de la puissance sur la durée (refroidissement pack/prises/inverters).
- Quadri-moteur + roues arrière directrices + suspension active: potentiel de vectorisation « total » (longitudinal, latéral, vertical) pour une finesse de contrôle rarement vue en grande série.
Ce qui manque encore (et ce qui inquiète)
- Design et aérodynamique: invisibles à ce stade. On sait que l’auto aura 4 portes et sera « produite en volume… à l’échelle Ferrari ».
- Prix: absent. Étant donné le positionnement, on peut raisonnablement viser très au-delà de 300 000 €, mais rien d’officiel.
- Données d’endurance et de piste: maintien des performances après plusieurs tours, gestion thermique, « repeatability » des launches… tout reste à vérifier.
- Sonorité: Ferrari travaille un « langage sonore » spécifique à l’EV. Prometteur pour l’émotion, mais non détaillé.
ℹ️ Bon à savoir
Ferrari a inauguré son « e-building » à Maranello: batteries HV, e-axles et onduleurs y sont produits. L’industriel investit aussi pour réduire ses émissions directes (solaire, fermeture d’une centrale gaz), ce qui compte dans la trajectoire climat sans tout miser sur la part de VE.
Pourquoi l’action a décroché malgré la vitrine techno
La sanction boursière ne vise pas la techno en tant que telle, mais le plan 2030 et la trajectoire produits/finances.
📉 Ce que disent les marchés
- Objectifs 2030 jugés timides: 9 Md€ de revenus (sous le consensus), révision de la part de VE à 20% en 2030 (contre 40% visés en 2022), le reste se partageant entre thermiques (40%) et hybrides (40%).
- Réaction: jusqu’à -16/-17% en séance à Milan; autour de -10% côté US en pré-marché selon les premières cotations.
- Message de la direction: privilégier l’exécution et l’exclusivité plutôt que courir après le volume. « Nous ne pouvons pas nous engager sur quelque chose que nous ne pouvons pas atteindre », a rappelé Benedetto Vigna.
En clair, Ferrari rassure le puriste (ADN, rareté, hybrides performants) mais refroidit l’investisseur qui espérait une accélération électrique génératrice de nouveaux relais de croissance. La très probable addition CAPEX + R&D EV, face à des volumes volontairement contraints, comprime l’upside à court/moyen terme, surtout si le deuxième EV n’arrive pas avant 2028.
🧭 À lire entre les lignes
- Ferrari protège sa marge via les séries limitées et la personnalisation; la montée en VE sera mesurée pour ne pas diluer l’exclusivité.
- L’Elettrica est un « statement » technologique plus qu’un pivot de mix à court terme.
- Le marché doute de la profondeur de la demande pour des EV ultra-haut de gamme, là où d’autres (Porsche, Lamborghini) ont déjà ajusté le tempo.
Elettrica face au segment: prouesse technique, pari émotionnel
- Performance: les chiffres sont dans la cible des GT électriques extrêmes, mais Ferrari met l’accent sur l’agilité et la sensation de conduite plutôt que sur la seule cavalerie.
- Intégration verticale: le choix de tout faire ou presque en interne (moteurs, onduleurs, pack) est cohérent avec l’obsession de la réponse châssis et de l’agrément. C’est coûteux, mais différenciant.
- Expérience: vectorisation fine, roues AR directrices et suspensions actives augurent d’une signature dynamique très lisible… si la calibration est au niveau.
- Image/ADN: le son, la direction, la pédale de frein, la progressivité du couple seront déterminants pour convaincre la base historique.
📢 Citation
« Je pense que les gens attendaient un chiffre d’affaires plus élevé — mais il est important d’exécuter ce que nous disons; nous ne pouvons pas nous engager sur quelque chose que nous ne pouvons pas atteindre », a insisté Benedetto Vigna durant la présentation à Maranello.
Les zones de risque à surveiller d’ici 2026
- Courbe de charge réelle et préconditionnement: les 350 kW annoncés seront-ils maintenus sur une large plage de SOC et par température élevée ?
- Gestion thermique piste: puissance répétable, fade des freins, stabilité du pack après plusieurs cycles intenses.
- Calibration du « torque vectoring »: promesse de précision vs ressenti naturel au volant.
- Masse et pneus: usure, coût d’usage, compromis confort/bruit, en particulier avec 4 moteurs.
- Prix et allocations: positionnement tarifaire et rareté réelle, qui conditionneront l’élasticité de la demande.
- Mix produit Ferrari: l’effet d’éviction potentiel sur des V12/V8 emblématiques et sur la marge unitaire.
Bilan provisoire
- Techniquement, l’Elettrica coche les cases d’un EV d’exception et assume des choix coûteux mais cohérents avec l’ADN Ferrari: contrôle fin des mouvements, vectorisation exhaustive, composants maison, pack réparable.
- Stratégiquement, Ferrari temporise: 20% d’EV en 2030, priorité aux hybrides et à l’exclusivité. Le message plaît aux clients historiques, moins aux analystes en quête d’un catalyseur de croissance plus visible.
- Marché du luxe électrique: validation que même une icône avance « à pas comptés ». Le signal envoyé à la concurrence est clair: l’innovation doit coexister avec l’expérience traditionnelle — quitte à décevoir la Bourse à court terme.
Au fond, Ferrari n’a pas raté sa copie technique; elle a simplement choisi de ne pas promettre un futur qu’elle ne contrôle pas. Les investisseurs ont entendu la prudence plus que la performance. Reste à voir si, volant en mains en 2026, l’Elettrica saura faire taire le marché par ce que Ferrari sait encore le mieux faire: l’émotion.