En bref:
- Ferrari a dévoilé l’âme technologique de la Elettrica : architecture 800–880 V, batterie 122 kWh, 4 moteurs >1 000 ch, focalisation sur l’ingénierie et le positionnement ultra‑luxe à faible volume.
- BMW abaisse ses objectifs 2025 à cause d’un recul en Chine et de tensions de trésorerie; la « Neue Klasse » 2026 doit industrialiser l’électrique/logiciel pour rétablir marges et volumes — deux stratégies européennes divergentes face à la transition.
L’Europe de l’auto de luxe vit un moment de vérité. D’un côté, BMW abaisse ses prévisions et subit la pression d’un marché chinois devenu brutal. De l’autre, Ferrari dévoile, à Maranello, le cœur technologique de sa première voiture 100% électrique, un manifeste d’ingénierie à quatre moteurs et 122 kWh. Deux actualités, deux philosophies. Et une même question: la fuite vers l’ultra-luxe et la très haute performance est-elle la voie de survie d’une automobile européenne d’exception en pleine transition ?
Ce que Ferrari a vraiment dévoilé à Maranello
Ferrari n’a pas montré la carrosserie. Mais l’essentiel y était: châssis, architecture, moteurs, onduleurs, batteries et logistique industrielle. La Elettrica (nom provisoire) sera un modèle à quatre portes et quatre places, « de grande série » à l’échelle de Ferrari. Le design final et les prix arriveront en 2026, via un dévoilement en trois temps. Le PDG Benedetto Vigna, physicien de formation, assume une stratégie: posséder la technologie clé, de la batterie aux moteurs, pour imprimer la signature Ferrari à l’ère électrique.
📌 À retenir – Ferrari Elettrica (premiers éléments officiels)
- Plateforme 800–880 V, batterie NMC en pochettes (fournisseur SK), 122 kWh brut
- Autonomie annoncée: >530 km
- 4 moteurs (deux par essieu), puissance cumulée >1 000 ch en mode boost
- 0 à 100 km/h: 2,5 s; Vmax: 310 km/h
- Masse cible: ~2 300 kg; répartition 47/53
- Recharge DC: jusqu’à 350 kW
- Direction arrière indépendante (jusqu’à 2,15°) et suspensions actives de 3e génération
- Essieu avant débrayable: bascule RWD/AWD en 0,5 s
L’ingénierie, pas le simple assemblage
- Batterie et pack: cellules NMC SK achetées, modules et pack conçus et industrialisés en interne. Packaging pensé pour la sécurité et l’inertie (85% du poids des modules sous plancher, le reste sous la banquette), modules remplaçables pour prolonger la durée de vie du véhicule — une approche de « VE pour longtemps ».
- Machines électriques: rotors à aimants permanents en configuration type Halbach (héritage compétition) pour maximiser la densité de couple; stators en tôles 0,2 mm et bobinages Litz pour réduire les pertes à haute fréquence. Vitesse de rotation jusqu’à 30 000 tr/min à l’avant et 25 500 tr/min à l’arrière.
- Inverseurs SiC maison: 93% d’efficacité à charge max, 9 kg seulement, fréquence de découpage pilotée (10 à 42 kHz) pour concilier rendement, acoustique et thermique.
- Châssis et liaisons: suspensions actives (capteurs à 1 ms, action à 5 ms), sous-châssis arrière isolé pour filtrer vibrations, direction arrière indépendante. Un cerveau central orchestre couple, direction et amortissement roue par roue.
💡 Astuce d’ingénierie
Entre des moteurs indépendants, une direction aux quatre roues et une suspension pilotée, Ferrari se donne les moyens d’un contrôle « 6D » de la dynamique: propulsion/freinage, braquage et débattement, à chaque roue. Si l’intégration logicielle est au niveau, l’expérience de conduite pourrait être une référence, électrique ou pas.
Côté expérience, Ferrari préserve des codes maison: manettino évolué, modes de conduite du feutré au radical, et un travail assumé sur le son et le « rétrogradage » simulé, ici utilisés comme retours d’information au conducteur plus que comme gadget nostalgique.
🛠️ Industriellement, la Elettrica sortira du nouvel « E-Building » de Maranello. Le design a été mené avec LoveFrom (Marc Newson et Jony Ive). Un pari esthétique audacieux, attendu en 2026.
Pendant ce temps, BMW sonne l’alarme
Mercredi 8 octobre, BMW a abaissé ses objectifs 2025:
- Marge opérationnelle automobile révisée à 5–6% (contre 5–7%)
- ROCE groupe ramené à 8–10% (9–13% auparavant)
- Résultat opérationnel attendu en légère baisse (vs stabilité visée)
- Cash-flow libre annuel divisé par deux: 2,5 Md€ (décalage des remboursements de surtaxes douanières et dégradation opérationnelle >1,5 Md€ pointée par des analystes)
Deux causes majeures:
- Volumes inférieurs aux attentes en Chine; concurrence locale féroce sur l’électrique, marché immobilier en difficulté et pression sur le financement. BMW prévoit d’achever le redimensionnement de son réseau de concessionnaires locaux d’ici fin S1 2026.
- Hypothèses douanières non concrétisées, repoussant à 2026 des remboursements attendus en 2025.
Réaction de marché: l’action a cédé ~7% à Francfort, entrainant les pairs. Les analystes restent partagés: prudents à court terme (Chine), mais confiants sur l’enjeu stratégique de la « Neue Klasse », nouvelle architecture logicielle et électrique dont les premières livraisons (iX3 nouvelle génération notamment) sont attendues au T1 2026.
📢 Ce qu’en disent les brokers
- Oddo BHF: message prudent déjà perceptible à l’IAA; surprise sur l’ampleur du trou de cash, au-delà du seul timing douanier.
- UBS: point noir durable, la Chine; stabilisation via réseau attendue d’ici mi-2026, mais volumes sous pression.
- Bernstein: l’implémentation douanière échappe à BMW; « Neue Klasse » jugée clé pour briser la pression sur les valorisations des constructeurs traditionnels.
Deux Europe du luxe auto, deux tempos de l’électrique
- Ferrari choisit la rareté maîtrisée et la haute technicité. La marque vise un mix 2030 équilibré (thermique/hybride/100% électrique) et positionne sa première EV comme un objet d’ingénierie total, au prix de « plusieurs centaines de milliers d’euros ». Son modèle économique — faible volume, forte marge, carnet rempli — la met à l’abri des guerres de prix et des cycles régionaux.
- BMW incarne le « premium de volume » global confronté à la normalisation des marges, au prix de l’électrification de masse, à la compétition chinoise sur le VE connecté et à la contrainte logicielle. Sa réponse est systémique: plateforme, logiciel, batteries de nouvelle génération, industrialisation à coûts cibles. Le passage 2025–2026 sera la zone de turbulence.
📊 Éclairage express
Sujet | Ferrari Elettrica | BMW 2025 |
---|---|---|
Cœur de news | Tech reveal châssis/groupe motopropulseur | Avertissement sur résultats |
Capex/Tech | Moteurs et inverseurs maison, pack batterie interne, 800–880 V | Plateforme Neue Klasse SDV/BEV (lancement 2026) |
Marché | Ultra-luxe, faible volume, pricing power | Premium global, volumes en Chine sous pression |
Risques | Poids/complexité, design à confirmer, fenêtre 2026 | Transition 2025–2026, exécution Chine/logiciel, cash-flow |
La fuite vers l’ultra-luxe: plan de survie ou impasse polie ?
- Atouts
- Pricing power et files d’attente soutiennent les marges malgré la hausse des coûts des packs hautes capacités.
- Vitrine technologique: contrôle logiciel fin (couple/roue, 4WS, suspension active) et 800+ V deviennent des standards du haut de gamme, avec retombées potentielles sur des VE plus accessibles.
- Image: le fait que Ferrari assume une EV halo crédibilise l’électrique jusque chez les passionnés.
- Limites
- Non-scalable par définition: l’ultra-luxe ne résout pas l’équation de l’électrification de masse ni la bataille des coûts.
- Empreinte matérielle: 122 kWh et quatre moteurs, c’est performant mais matériellement intensif; le « mieux avec moins » restera le juge de paix environnemental.
- Risque d’exécution: intégration logicielle multi-axes, gestion thermique et répétabilité des performances sont des défis de production, pas seulement de R&D.
Pour les « premiums » allemands, la vraie alternative durable passe par:
- Des plateformes BEV efficientes et mutualisées (dense en logiciel, sobres en coûts)
- Une localisation/coopération renforcée en Chine (logiciel et UX au niveau des attentes locales)
- Une discipline prix/valeur pour éviter la spirale des remises sur VE
- Des revenus logiciels/services crédibles, pas accessoires
Contexte: une crise qui ne touche pas tout le monde pareil
- 2024–2025: fortes baisses de bénéfices chez Mercedes et Porsche, volumes et marges sous pression, notamment en Chine; recul du marché BEV européen en 2025 (-11%) et environnement réglementaire incertain.
- Ferrari fait figure d’exception résiliente, avec un mix produit/marge qui amortit les chocs conjoncturels.
🎯 À retenir
- Ferrari montre une EV d’ingénieurs: 4 moteurs, SiC, pack maison, contrôle dynamique total — une proposition de conduite qui peut marquer l’ère électrique.
- BMW paie la note de 2025 avant son reboot « Neue Klasse » en 2026; la Chine reste la variable critique.
- L’ultra-luxe n’est pas une stratégie de secteur, mais une niche à très forte valeur qui peut tracter l’image du VE sans résoudre l’équation de coûts du marché de masse.
En creux, cette double actualité dit la même chose: l’électrique n’est plus un label, c’est une architecture industrielle et logicielle. Ferrari la pousse au sommet pour séduire, BMW doit l’industrialiser pour survivre. La décennie décidera lesquels y parviennent vraiment.