En bref:
- La Commission propose d’assouplir l’interdiction pure du thermique pour les particuliers en 2035 mais d’imposer, dès 2030, des objectifs nationaux contraignants de verdissement des grandes flottes (zéro/« faibles émissions »), avec incitations ciblées vers du « fabriqué en Europe ».
- Ce ciblage des flottes pourrait accélérer rapidement l’électrification réelle (volume d’EV neufs et afflux d’occasion), à condition d’encadrer les PHEV, d’électrifier les VUL, de déployer les infrastructures et de simplifier la mise en œuvre.
La Commission européenne a présenté le 16 décembre un « paquet automobile » qui desserre l’étau sur la fin du thermique en 2035 pour les particuliers… tout en lançant une offensive inédite sur les flottes d’entreprise. Une stratégie à deux vitesses qui pourrait, paradoxalement, accélérer l’électrification réelle du parc dès cette décennie.
Derrière les débats très politiques sur 2035, l’obligation de verdissement des grandes flottes, pays par pays, est peut‑être le levier le plus puissant et le plus rapide pour changer la donne sur le terrain. Décryptage, chiffres et impacts.
Ce que prévoit le « paquet automobile » pour les flottes
- Des objectifs nationaux contraignants, dès 2030, sur la part minimale de nouvelles immatriculations de voitures et utilitaires légers d’entreprise qui doivent être:
- à émissions nulles (100 % électriques, hydrogène), et
- à faibles émissions (catégorie incluant notamment des hybrides rechargeables, selon définitions UE/nationales à préciser).
- Des cibles différenciées par État membre, selon le PIB/habitant et les conditions de marché, avec deux horizons: 2030 et 2035.
- Les obligations visent les grandes entreprises; les PME sont exemptées.
- Un reporting annuel obligatoire des immatriculations de flottes par les États membres à la Commission.
- Encadrement des aides publiques: incitations possibles uniquement pour des véhicules d’entreprise à zéro/faibles émissions fabriqués dans l’Union. La France met en avant une mise en œuvre à compter de 2028 pour l’orientation des financements publics vers le « fabriqué en Europe ».
- Statut: proposition législative initiale. Le texte doit encore être négocié et adopté par le Parlement européen et le Conseil et peut évoluer (y compris sur un éventuel label « Made in EU » attendu en discussion d’ici fin janvier).
📌 À retenir (objectifs 2035, niveau indicatif par pays)
- Pays à objectifs élevés: France, Allemagne, Pays‑Bas jusqu’à 95 % (part combinée zéro + faibles émissions).
- Pays au plancher le plus bas: Portugal, Roumanie, Slovaquie autour de 56 %.
- Les cibles 2030 varient selon les États; les seuils exacts par pays seront précisés au fil de la procédure législative.
Pourquoi les flottes peuvent tout changer
Les véhicules d’entreprise pèsent lourd dans les immatriculations neuves européennes et irriguent ensuite le marché de l’occasion, clé pour la démocratisation de l’électrique chez les particuliers. Une contrainte sur ce canal produit un effet domino:
- Volume immédiat: des analyses sectorielles estiment que la trajectoire de verdissement pourrait générer plus de 2,1 millions de véhicules électriques en 2030 rien que sur les grandes flottes, à l’échelle européenne.
- Marché d’occasion: un afflux d’EV de 2e main (retours de LLD/LOA à 36–48 mois) entre 2027 et 2035, crucial pour l’accessibilité prix.
- TCO sous contrôle: les grands comptes peuvent internaliser le coût de la recharge, optimiser les profils de roulage et bénéficier de LLD massifiées.
- Effet industriel: en orientant les volumes vers des modèles « made in Europe », la Commission veut stabiliser l’investissement et l’emploi local dans batteries, VE et recharge.
💡 Conseil d’expert
Pour capter tout le bénéfice TCO, les entreprises doivent coupler politique d’acquisition (mix BEV/PHEV pertinent) et plan de recharge (dépôts, domicile, sites clients), avec pilotage énergétique et négociation d’achats d’électricité.
Ce que ça change pour les acteurs
- Grandes entreprises et loueurs
- Stratégie d’achats à formaliser dès 2026–2027 pour respecter les paliers 2030/2035; mise à jour de la car policy (segmentations, autonomie minimale, équipements).
- Infrastructures: plan de déploiement sur sites et inter‑sites, articulation avec la recharge à domicile (subvention, remboursement, supervision).
- Reporting: collecte des données d’immatriculations et de typologie de motorisations; préparation aux audits.
- Constructeurs et réseaux
- Montée en cadence sur les compactes abordables (la nouvelle catégorie de « petits véhicules électriques < 4,2 m » saluée par Renault et Stellantis va dans ce sens).
- Tension sur les VUL: seulement ~9 % électrifiés aujourd’hui dans les grandes flottes; priorité R&D sur efficacité, charge rapide et charge utile.
- Localisation: la « préférence européenne » réoriente les incitations vers le contenu local; ajustements industriels à prévoir.
- Salariés utilisateurs
- Généralisation des VE de fonction, adaptation des politiques d’avantages (prise en charge des recharges domicile/pro, cartes interopérables, formation à l’éco‑conduite).
- Marché de l’occasion
- Arrivée massive d’EV de 2e main à partir de 2027–2028; stabilisation attendue des valeurs résiduelles si la demande suit (leasing d’occasion, garanties batterie, historique de SOH).
Les angles morts à surveiller
- La définition de « faibles émissions »
- Le périmètre est déterminant: inclure largement les PHEV sans garde‑fous peut diluer l’impact climatique si l’usage électrique réel est faible.
- Pistes de robustesse: exiger une autonomie électrique minimale, suivre la part de kilomètres effectués en électrique (télématique), privilégier les usages compatibles (urbains/banlieue).
- VUL, le maillon faible
- Les utilitaires légers restent difficiles à électrifier (poids, charge utile, cycles multi‑arrêts). Il faudra des soutiens ciblés (infrastructures sur dépôts, bornes rapides en itinérance, optimisation de tournées).
- Infrastructures et réseau
- Le verdissement des grands parcs suppose des milliers de points de charge gérés (programmation, V2G à terme), des raccordements renforcés et des délais d’urbanisme raccourcis.
- Coûts et LLD
- Les loyers de certains segments restent élevés; l’équation TCO dépend du prix d’achat, de la valeur résiduelle et du coût de l’énergie. La visibilité réglementaire et l’offre de petits modèles seront décisives.
- Complexité administrative
- L’Allemagne met en garde contre la « bureaucratie »; l’efficacité du dispositif passera par des règles simples, des données normalisées et une mise en œuvre homogène.
Climat, industrie, politique: un équilibre contesté
- Côté exécutif français, l’Élysée salue un « équilibre » entre flexibilités et préférence européenne; Bercy met en avant la trajectoire pour les flottes et l’orientation des aides vers le « fabriqué en Europe » dès 2028.
- La ministre française de la Transition écologique regrette la « flexibilité » ouverte aux thermiques post‑2035; à l’inverse, Berlin applaudit la « neutralité technologique » et la flexibilité.
- En Espagne, la décision est jugée « une erreur historique » car affaiblissant le signal climatique.
- L’industrie est partagée: PFA et Volkswagen y voient un pragmatisme bienvenu; la VDA dénonce un plan « funeste » truffé d’obstacles; Renault/Stellantis saluent la nouvelle catégorie de petits EV mais pointent l’absence de trajectoire crédible pour les VUL.
- Les ONG du VE et du climat (Avere, Greenpeace, DUH) alertent sur l’affaiblissement du cap et l’incertitude introduite, au mauvais moment pour l’investissement dans l’électrique.
Calendrier clé et points d’attention
- 2026–2027: travail de transposition et de calibration nationale (seuils par pays, définitions précises, modalités de reporting, éventuelles sanctions).
- 2028: orientation des aides publiques vers des véhicules propres fabriqués en Europe pour les flottes (mise en musique nationale à confirmer).
- 2030: entrée en vigueur des parts minimales de nouvelles immatriculations zéro/faibles émissions pour les grandes entreprises.
- 2035: paliers élevés pour les pays moteurs (jusqu’à 95 % combinés); flexibilité maintenue sur le thermique côté particuliers, sous conditions.
✅ Chiffres à suivre
- Part EV dans les immatriculations d’entreprises, par pays et par segment (voitures, VUL).
- Déploiement des bornes sur sites professionnels et en itinérance.
- Volume d’EV d’occasion en retour de LLD à partir de 2027.
- Part de kilomètres réellement effectués en électrique par les PHEV de flotte.
La vraie question: levier principal de la transition ?
Au regard des volumes, de l’effet « marché de l’occasion » et de la capacité d’investissement des grands comptes, l’obligation de verdissement des flottes ressemble bien au moteur discret de l’électrification européenne dans les années 2027–2035. Si la définition des « faibles émissions » est robuste, si les VUL bénéficient d’un traitement spécifique et si la préférence européenne n’entrave pas la compétitivité‑prix, ce pilier pourrait compenser, en grande partie, l’assouplissement du cap 2035 côté particuliers. Reste à transformer l’essai lors des négociations au Parlement et au Conseil, avec un mot d’ordre simple: ambition claire, règles lisibles, exécution rapide.
