2035 en sursis ? Berlin défie Bruxelles pour sauver son auto

En bref:

  • Berlin pousse pour des assouplissements de l’interdiction des moteurs thermiques en 2035 (PHEV, EREV, e‑fuels, crédits CO₂) pour protéger emplois et industriels face à la concurrence chinoise, ouvrant un bras de fer à Bruxelles.
  • L’UE peut concéder des "soupapes" techniques mais tout recul large fragiliserait la crédibilité climatique et les investissements VE — pour la France, un maintien lisible de 2035 avec ajustements ciblés reste préférable.

Le ton est monté à Berlin. En pleine tourmente industrielle, le chancelier Friedrich Merz a réuni en urgence l’écosystème automobile allemand pour arracher un assouplissement — voire une remise à plat — de l’interdiction des moteurs thermiques neufs en 2035. En toile de fond, une angoisse: l’offensive des marques chinoises sur l’électrique et un modèle industriel germanique bousculé.

Derrière la posture politique, un bras de fer très concret s’ouvre à Bruxelles. Que veut vraiment l’Allemagne, quelles marges de manœuvre l’UE a-t‑elle, et qu’est-ce que cela change pour la transition européenne… et pour les constructeurs français ?

Ce qui s’est passé à Berlin

  • Réunion de crise le 9 octobre autour de Friedrich Merz avec constructeurs (VW, BMW, Mercedes), équipementiers (Bosch, ZF), syndicats et régions autos.
  • Message du chancelier: « pas de coupure brutale en 2035 » et volonté de « faire tout » pour lever l’interdiction en l’état, tout en réaffirmant que l’électrique reste « la voie principale ».
  • Coalition allemande divisée: des sociaux‑démocrates (SPD) favorables au maintien de 2035, des conservateurs plaidant l’assouplissement; les Verts dénoncent un « pas en arrière ».
  • L’UE a promis de « se prononcer prochainement »; un Conseil européen est programmé le 23 octobre.

📌 À Berlin, la ligne s’éclaircit: obtenir des flexibilités (PHEV, EREV, e‑fuels) pour desserrer l’étau de 2035, plus que renverser la table.

Pourquoi maintenant: une industrie en zone de turbulences

  • Choc de compétitivité: qualité/prix des VE chinois, cadence industrielle et avance batteries.
  • Demande plus molle que prévu en Europe: reports de lancements (Porsche), volumes VE en deçà des projections.
  • Coûts énergétiques élevés depuis 2022, demande mondiale en baisse, droits de douane américains de 15% sur les voitures européennes.
  • Hémorragie sociale: plus de 50 000 emplois perdus en un an sur environ 800 000 (données EY). Des plans de réduction d’effectifs chez ZF, Bosch, etc.
  • Pourtant, le différentiel de prix VE/thermique n’a « jamais été aussi faible » selon le CAR de Bochum — ce qui alimente la riposte des ONG contre tout relâchement.

Ce que Berlin demande vraiment

  • Prolonger après 2035 certaines motorisations non zéro-émission:
    • Hybrides rechargeables (PHEV) et électriques à prolongateur d’autonomie (EREV).
    • Comptabilisation de carburants alternatifs (e‑fuels, biocarburants) dans les objectifs CO₂.
  • Garder une porte entrouverte au diesel dans le transport lourd (sujet distinct mais agité politiquement).
  • Soutiens domestiques: enveloppe de 3 Md€ annoncée pour « la mobilité neutre » et prolongation d’avantages fiscaux VE au-delà de 2026.

Côté lobbying, l’ACEA pousse des « échappatoires » réglementaires qui, selon Transport & Environment (T&E), pourraient diviser par deux les ventes de VE en 2035 si elles étaient toutes retenues.

Ce que Bruxelles peut (vraiment) changer

  • Le cadre 2035 découle des normes CO₂, avec une clause de révision prévue initialement en 2026. La Commission a promis de « réexaminer au plus tôt ».
  • Toute inflexion suppose une proposition de la Commission puis un accord des États (Conseil) et du Parlement. L’Allemagne ne peut pas décider seule mais peut bâtir une coalition (Italie déjà sur ligne proche).
  • Compromis sur la table selon la presse allemande: assouplir sans supprimer — tolérances pour PHEV/EREV au‑delà de 2035, comptage de carburants alternatifs, crédits spécifiques pour petits VE.

⚠️ Risque clé: la crédibilité du cadre. Plus les règles bougent, plus les investissements (usines de batteries, bornes, gigafactories) se renchérissent par la prime à l’incertitude.

Impact climatique et industriel: les deux faces du dilemme

  • Climat: toute dérogation aux 100% zéro émission en 2035 pèse sur les budgets CO₂ du transport. Les EREV consomment en pratique ~6,7 l/100 km batterie vide (T&E), et les PHEV émettent plus en usage réel que sur banc.
  • Industrie: gagner du temps peut préserver des emplois à court terme et étaler l’amortissement des outils thermiques; mais prolonger le thermique retarde l’alignement sur la courbe d’apprentissage VE/batteries, au bénéfice… des concurrents chinois.
  • Marché: le resserrement prix VE/thermique (étude CAR) laisse penser que le virage devient économiquement moins douloureux — un argument contre l’assouplissement.

Et pour les constructeurs français ?

  • Renault/Nissan/Ampere:
    • Pari BEV assumé (Scenic, Mégane, R5, R4 à venir), logiciels et efficacité énergétique en vitrine.
    • Un relâchement de 2035 pourrait diluer la demande VE et pénaliser un alignement industriel centré sur l’électrique. En revanche, la montée de Dacia hybride/thermique y trouverait un sas.
  • Stellantis:
    • Forces en PHEV multi‑marques (Peugeot, DS, Jeep) et plan BEV modulaire (STLA Small/Medium/Large).
    • Des tolérances PHEV/EREV au‑delà de 2035 offriraient un répit et des marges immédiates, mais risquent d’étirer la bascule BEV et de fragmenter les gammes entre normes.
  • Écosystème français:
    • Batteries et matériaux: projets ACC (Stellantis‑TotalEnergies‑Mercedes), Verkor, écosystème recyclage. Ils ont besoin d’un cap stable et de volumes VE garantis.
    • Infrastructures: un signal flou à 2035 pourrait ralentir les investissements de recharge, alors que la densité de bornes reste un irritant de la demande.

💬 En bref, Paris a plus à perdre qu’à gagner à un détricotage large: la chaîne de valeur VE française est engagée; des « flexibilités ciblées » (utilitaires, niches e‑fuels) sont politiquement plus tenables qu’un recul généralisé.

Trois scénarios à court terme

  1. Maintien de 2035, assoupli à la marge
  • Petites fenêtres pour PHEV/EREV sur segments ou usages précis, prise en compte limitée des e‑fuels.
  • Effet: signal stratégique global intact, apaisement politique minimal.
  • Gagnants probables: acteurs déjà avancés en BEV; perdants: industriels très exposés au thermique.
  1. Compromis large « à l’allemande »
  • Prolongation plus généreuse des PHEV/EREV, crédits CO₂ supplémentaires, phase‑in des pénalités.
  • Effet: soulagement court terme des marges, mais EV share 2035 sous pression (risque de 50–60% au lieu de 100% selon ONG).
  • Gagnants: groupes multi‑technos avec portefeuille PHEV solide; risque systémique pour la filière batteries européenne.
  1. Recalage du calendrier (report partiel)
  • Décalage de 2035 ou exceptions nationales plus faciles.
  • Effet: forte incertitude, renchérissement du coût du capital pour les projets VE, délégitimation des objectifs climats.
  • Peu probable politiquement à court terme, mais Berlin teste les lignes.

Chiffres-clés

  • −50 000 emplois auto en Allemagne en un an (sur ~800 000), selon EY.
  • Droits de douane américains: 15% sur voitures européennes.
  • Prix: l’écart VE/thermique « au plus bas » (CAR Bochum).
  • T&E: plan de l’ACEA pourrait diviser par deux les ventes VE en 2035; EREV ≈6,7 l/100 batterie vide.

À surveiller dans les jours à venir

  • Le Conseil européen du 23 octobre: mandat politique à la Commission pour un assouplissement? et son périmètre.
  • La position finale de la coalition allemande (SPD/Verts vs CDU/CSU).
  • La réponse de la Commission: « micro‑assouplissements » techniques ou réécriture plus large.
  • Les réactions des capitales clés (Paris, Rome, Madrid) et du Parlement européen post‑élections.
  • Les annonces d’investissements ou de reports dans les gigafactories et réseaux de recharge en fonction du signal politique.


Au‑delà du coup de chaud berlinois, l’enjeu est simple: préserver l’emploi et la compétitivité sans diluer la clarté du cap. L’Europe peut admettre quelques soupapes; elle ne peut pas se payer l’incertitude stratégique. Pour les Français, garder 2035 lisible — avec des ajustements précis — reste la meilleure garantie d’aligner industrie, climat et pouvoir d’achat.

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