Alerte au “crash” et promos à 95 €/mois : l’auto française prise en étau

En bref:

  • Le Sénat alerte sur le risque de désindustrialisation et propose protections commerciales, aides ciblées sur des petites BEV abordables et accélération des batteries en Europe.
  • Les constructeurs répondent par des remises massives (leasing à ~95 €/mois, rabais en concession) sous la pression des acteurs chinois, ce qui relance la demande mais érode les marges.
  • L’enjeu : concilier prix bas et production locale (gigafactories, contenu européen) et stabiliser les règles d’ici 2026 pour éviter un choc durable.

Face à un rapport sénatorial qui évoque un risque de “disparition” de la filière et un déficit commercial sans précédent, les constructeurs multiplient remises et loyers canon sur l’électrique. Paradoxe apparent ou virage stratégique assumé pour survivre à la transition et à la concurrence asiatique ?

Dans ce grand écart entre panique industrielle et prix cassés en concession, se joue plus qu’une opération déstockage : l’avenir d’un pilier industriel français, sa capacité à fabriquer des véhicules utiles, abordables… et désirables.

Un diagnostic brutal du Sénat

Le rapport sénatorial rendu mi-octobre dresse un état des lieux sans fard :

  • Chute durable du marché depuis le Covid et sous-capacité de demande en Europe par rapport à l’avant-crise.
  • Désindustrialisation rampante et perte de poids de la France dans la production européenne.
  • Un déficit extérieur automobile cumulé qui atteint des records depuis 2019.
  • 800 000 emplois potentiellement exposés au choc de transition si rien n’est fait.

Les pistes avancées sont offensives :

  • Rehausser les protections commerciales et exiger un haut niveau de contenu local pour les véhicules vendus en Europe.
  • Réorienter les soutiens publics vers de petites voitures électriques réellement abordables.
  • Revoir le calendrier et la trajectoire réglementaire pour éviter une “double peine” coûts de transition + contraction de marché.
  • Accélérer la base industrielle des batteries en Europe.

📌 À retenir : le Sénat n’appelle pas à freiner la décarbonation, mais à sécuriser l’atterrissage industriel et social, en ciblant l’accessibilité des véhicules et la souveraineté sur les composants clés.

Sur le terrain, une guerre des prix qui s’intensifie

Pendant que les alertes s’empilent, les étiquettes dégringolent, surtout sur l’électrique :

  • Leasing social relancé avec des offres vitrines : citadines électriques autour de 95 €/mois sur 36 mois, premier loyer ramené à 0 grâce aux aides publiques. La nouvelle citadine de Renault débute à 120 €/mois dans certaines configurations.
  • Remises immédiates en ligne et en show-room sur une large palette de citadines et compacts, thermiques, hybrides et électriques confondus, avec des “décotes” affichées de plusieurs milliers d’euros dès le configurateur.
  • Pression concurrentielle chinoise accrue : BYD et consorts imposent des tarifs et des remises agressifs, tirant les prix européens vers le bas. Dans plusieurs pays, le niveau moyen de remise sur les VE a désormais rattrapé, voire dépassé, celui des thermiques.

L’Europe tente de répliquer avec des droits additionnels sur les VE importés de Chine (jusqu’à près de 50% selon les modèles et situations), mais à court terme, l’effet dominant reste celui d’une compétition prix qui s’internationalise, de Pékin à Détroit en passant par Wolfsburg.

Pourquoi ces baisses maintenant ?

  • Stocks et surcapacités : après les pénuries, l’industrie a relancé trop fort face à une demande atone. La facture se paie en remises et en chômage partiel.
  • Fin du “pricing power” post-Covid : la montée en gamme et les hausses tarifaires ne passent plus. Le client arbitre son budget, surtout dans un contexte de pouvoir d’achat contraint.
  • Contrainte CO2 flottes : pousser les volumes électriques, même peu marginaux, reste un levier pour respecter les cibles d’émissions et éviter des pénalités.
  • Offensive asiatique intégrée verticalement : maîtrise batteries (LFP notamment), effets d’échelle et coûts plus bas permettent d’attaquer les segments cœur de marché.
  • Aides publiques réorientées : bonus conditionné à un score environnemental, leasing social ciblé, incitations locales… les dispositifs poussent les petites BEV fabriquées (ou assemblées) en Europe.

Dernier soubresaut ou stratégie durable ?

  • Hypothèse “soubresaut” : une déflation des prix accélère la destruction de valeur, abîme les résiduels et fragilise le réseau. À terme, elle pourrait amputer les capacités d’investissement dont l’Europe a besoin pour les batteries, l’électronique de puissance et les logiciels.
  • Hypothèse “stratégie” : un repositionnement agressif prix/produit, recentré sur des petites BEV sobres et accessibles, peut rouvrir le marché de masse. Couplé à des règles de contenu local et à la montée en cadence des gigafactories, il recrée un cercle vertueux demande-industrie.

La vérité est sans doute entre les deux : oui, la guerre des prix érode les marges à court terme. Mais non, on ne relancera pas la filière sans véhicules abordables et produits près des clients. L’enjeu est d’aligner calendrier industriel, capteurs de demande et cap réglementaire.

Le point réglementaire (2025–2026)

  • Fin des ventes thermiques neuves en 2035 au niveau UE, avec clause de revoyure en 2026.
  • Droits additionnels européens sur les VE chinois, pendant que plusieurs marques chinoises explorent assemblage local pour contourner tout ou partie de la barrière tarifaire.
  • En France, bonus écologique conditionné à un score environnemental (batterie, chaîne logistique), ciblage sur les modèles légers et accessibles, et leasing social relancé avec des volumes accrus.

💡 Astuce politique industrielle : flécher les aides vers des BEV de segment A/B, <1,6 t, fabriqués en Europe, est le moyen le plus efficace de “tenir” à la fois le pouvoir d’achat, la décarbonation réelle et l’ancrage industriel.

Ce que ça change pour l’acheteur

  • Des loyers et remises inédits sur les petites électriques : fenêtre d’opportunité pour qui roule surtout au quotidien et recharge à domicile.
  • Vérifier les conditions exactes des offres : kilométrage, premier loyer, entretien, disponibilité réelle (stock vs commande).
  • Surveiller la chimie de batterie : LFP = coût moindre et longévité, NMC = densité énergétique supérieure. Le choix dépend des usages.
  • Attention à la valeur résiduelle : dans un contexte de baisse des prix neufs, les décotes à 3–4 ans peuvent surprendre. Un loyer bien calibré “assure” ce risque.
  • Penser TCO plutôt que prix d’achat : électricité vs carburant, entretien réduit, fiscalité douce, péages et stationnement parfois avantageux.

Scénarios 12–24 mois

  • Atterrissage contrôlé
    • Remises encore élevées sur 2026, puis normalisation progressive si la demande repart sur les segments A/B électriques.
    • Industrialisation accélérée des petites plateformes BEV en Europe, montée en cadence batteries locales.
  • Choc de marge
    • Guerre des prix généralisée, consolidation accélérée chez certains équipementiers, retards d’investissement.
    • Plus de pression pour ajuster le calendrier 2030–2035 au niveau européen.
  • “Europe qui gagne”
    • Tarification plus lisible, offre frugale et désirable, appuyée par des règles de contenu local efficaces.
    • Réouverture de la demande de masse et réduction du déficit commercial automobile.

Repères chiffrés

  • En France, le marché reste en retrait par rapport à l’avant-Covid, avec environ 5 millions d’immatriculations annuelles manquantes au niveau UE.
  • Déficit extérieur auto cumulé depuis 2019 : niveau record, poids lourd de la balance commerciale nationale.
  • Emploi direct + indirect de la filière : de l’ordre de plusieurs centaines de milliers de postes en France, très exposés à la trajectoire de transition.
  • Remises moyennes sur VE supérieures ou comparables à celles des thermiques dans plusieurs pays européens, signe d’une pression concurrentielle installée.

“Le match” des stratégies, en clair

  • Constructeurs européens
      • Atouts : marque, réseau, sécurité, ancrage local, raffinage produit.
    • – Faiblesses : coûts, dépendance batteries/logiciels, délais d’industrialisation.
  • Nouveaux acteurs chinois
      • Atouts : coûts, intégration batteries, rapidité d’exécution.
    • – Faiblesses : réputation, barrières tarifaires, adaptation aux normes locales.
  • Pouvoirs publics
    • Rôle pivot : calibrer aides et règles de contenu, sécuriser l’investissement dans batteries et électronique de puissance, accélérer la recharge.

✅ À retenir

  • La “panique” industrielle et la “promo” commerciale ne se contredisent pas : elles sont deux faces d’un même ajustement douloureux.
  • Sans petites électriques européennes bon marché, pas de relance de la demande ni de souveraineté industrielle.
  • Le cap 2035 restera tenable si l’on stabilise les règles en 2026, que l’on protège sans s’enfermer, et que l’on fabrique enfin là où l’on vend.

En clair, la filière n’est pas condamnée : elle joue simplement à quitte ou double. Le prix peut faire revenir le client, à condition que l’industrie sache, vite, produire local, sobre et intelligemment.

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