Électriques en plein vol, marché en panne: la France auto à deux vitesses

En bref:

  • Les VE explosent en octobre (24–24,4 % de Pdm, +~63 % an/an) grâce aux aides renforcées (leasing social, bonus, prime européenne) et au retour massif des particuliers.
  • Le marché global reste en retrait (-5,4 % YTD) et dépend fortement des subventions : sans baisse des prix catalogue et maillage de recharge, risque d’atterrissage brutal en 2026–2027.

L’actualité d’octobre 2025 offre un paradoxe saisissant. Les voitures électriques signent un record historique en France, portées par des aides publiques renforcées, tandis que le marché global de l’auto reste orienté à la baisse depuis le début de l’année. Fracture conjoncturelle ou mutation structurelle? Décryptage, chiffres à l’appui.

À retenir (en 30 secondes)

  • 24 à 24,4 % de parts de marché pour l’électrique en octobre, un record, avec des immatriculations en envol (+63 % environ sur un an).
  • Le marché global reste en retrait: -5,4 % sur les dix premiers mois de 2025 malgré un mois d’octobre légèrement positif.
  • Accélération due aux aides (leasing social, bonus, prime européenne), retour massif des particuliers et repositionnement des constructeurs.
  • Thermique en reflux: essence en fort recul, diesel à un plus bas historique (<9 %).
  • Une dynamique puissante mais sous perfusion: sans soutien public durable, le risque d’atterrissage brutal existe à l’horizon 2026-2027.

Les chiffres clés d’octobre 2025

  • Immatriculations totales VP:
    • 139 513 véhicules selon AAA Data (+2,9 % vs octobre 2024)
    • 135 529 selon la PFA (+2,9 % également)
  • Voitures 100 % électriques:
    • 24 à 24,4 % de part de marché (record)
    • +63 % à +65 % sur un an (source: AAA Data/échos sectoriels)
    • Environ 34 000 immatriculations sur le mois (AAA Data)
  • Depuis janvier: marché global -5,4 % (≈1,33 million de VP), avec deux jours ouvrés de moins qu’en 2024
  • Bénéficiaires du leasing social relancé: 41 500 annoncés au 29/10 (objectif 50 000)

📌 Bon à savoir
Les écarts de volumes d’octobre entre AAA Data et la PFA tiennent à des périmètres et méthodes de collecte différents. La tendance, elle, est identique: petit rebond mensuel, année toujours négative.


Pourquoi l’électrique explose maintenant

Trois leviers se combinent et changent l’équation:

  1. Aides publiques plus puissantes
  • Leasing social réactivé avec des loyers de 100–200 €/mois selon profils, ciblant 50 000 ménages.
  • Bonus écologique recentré et « prime européenne » de 1 000 € depuis octobre pour les VE assemblés en Europe: signal prix favorable aux modèles locaux.
  • « Coup de pouce » estival et dispositifs CEE qui irriguent le financement.
  1. Retour des particuliers
  • Les particuliers progressent nettement (+75 % d’EV vs octobre 2024 dans certaines estimations), comblant le retard sur les flottes.
  • Message clé: l’électrique n’est plus une niche de B2B; l’usage perso décolle.
  1. Offre et production « made in Europe »
  • Renault tire le marché (R5, Scénic, Mégane E-Tech), Stellantis aligne e-208/e-2008 et la nouvelle ë‑C3 à prix d’appel.
  • Tesla reste « dans le match » (Model Y podium), mais sa domination se normalise face à une concurrence européenne armée et éligible aux nouveaux critères d’aides.

Qui gagne, qui décroche?

  • Renault et Stellantis se partagent près de la moitié du marché en octobre (≈24,5 % vs 25,4 %), avec une meilleure dynamique chez Renault sur les 10 mois.
  • Hybrides non rechargeables stables autour de 28 %; PHEV en soutien; prolongateurs d’autonomie en hausse marginale.
  • L’essence dévisse, le diesel tombe sous 9 %: un point bas historique.
  • Top EV janvier–octobre (volumes cumulés): Renault 5 en tête, suivie de Tesla Model Y et Citroën ë‑C3; Scénic E‑Tech et Mégane E‑Tech bien placés.

📊 Encadré – Le trio qui fait la course en tête (Jan–Oct 2025)

  • Renault 5: ≈26 300 unités
  • Tesla Model Y: ≈17 300
  • Citroën ë‑C3: ≈13 000
    Signal fort: l’ancrage des modèles compacts et des B‑SUV dans le cœur de marché.

Une croissance sous perfusion publique

Soyons lucides: sans aides, la pente serait beaucoup moins raide. Les signaux de dépendance sont clairs:

  • Distorsions prix entre neuf subventionné et occasion récente (certaines R5/ë‑C3 d’occasion plus chères que des neuves éligibles): effet d’aubaine.
  • Taux d’équipement inégal en bornes de recharge, notamment hors grands axes; l’infrastructure demeure le talon d’Achille.
  • Pouvoir d’achat contraint: le soutien public compense partiellement, mais ne règle pas tout (assurance, coût de l’électricité, recharge à domicile).

💡 Conseil d’expert
Si vous achetez un VE, sécurisez l’équation « usage-recharge » AVANT la commande: possibilité de prise domestique dédiée, coût du kWh (heures creuses), accès à la recharge au travail, et solutions en itinérance fiables. C’est la clé d’un TCO maîtrisé.


Flottes, particuliers: la France roule-t-elle à deux rythmes?

  • Les flottes ont accéléré l’électrification depuis début 2025 (plus de 20 % de BEV, et 70 %+ de motorisations électrifiées au sens large); elles structurent l’offre et alimentent le futur marché de l’occasion.
  • En octobre, la vague des particuliers a enfin rattrapé son retard grâce aux aides ciblées: bon pour la diffusion sociale du VE, déterminant pour atteindre l’échelle.

Côté utilitaires, le diesel reste ultra-majoritaire (≈74 % sur 9 mois): la transition est plus lente là où les contraintes d’usage sont plus dures (autonomie, charge utile, disponibilité de la recharge pro).


Politique européenne: cap 2035 et « made in Europe » assumé

  • L’UE maintient l’arrêt des ventes thermiques neufs en 2035, tout en aménageant la trajectoire CO₂ à court terme pour éviter les chocs.
  • Soutiens à la chaîne batteries et aux infrastructures; incitations à la production européenne.
  • La prime française de 1 000 € pour les VE assemblés en Europe (depuis octobre) renforce le signal-prix domestique face à la concurrence mondiale.

🎯 Ce que cela implique

  • Avantage compétitif aux modèles produits/localisés en Europe.
  • Pression sur les prix catalogue à la baisse en 2026–2027, sous l’effet cumulé de volumes, de coûts batteries et de concurrence.

Bulle subventionnée ou transition réussie?

  • Thèse « bulle »: la demande serait artificielle, gonflée par des aides et fragile dès qu’on baisse le curseur. Indices: distorsions VO/neuf, dépendance forte aux dispositifs, marché global toujours mou.
  • Thèse « transition »: l’électrique entre dans la norme prix/usage; l’occasion s’étoffe; la concurrence tire les coûts; les particuliers basculent enfin.

La vérité est entre les deux: la marche est engagée, mais l’allure reste conditionnée par l’État et l’Europe. Sans baisse nette des prix catalogue et sans maillage de recharge plus homogène, un trou d’air en 2026 n’est pas à exclure.


Ce qu’il faut surveiller d’ici 12 à 18 mois

  • Évolution des aides 2026–2027 et critères d’éligibilité
  • Baisse effective des prix catalogue (hors subventions)
  • Déploiement des bornes rapides hors corridors (zones rurales/périurbaines)
  • Marché de l’occasion EV: volumes, décotes, garanties batterie
  • Part des particuliers sans leasing social et fidélisation à la deuxième voiture
  • Localisation industrielle: montée en cadence des sites européens et sécurisation des chaînes batteries

Pour les acheteurs: quelques repères pratiques

  • Profils urbains/périurbains: VE pertinent dès 8 000–12 000 km/an si recharge à domicile/au travail; viser 350–450 km WLTP réels selon usages.
  • Gros rouleurs: comparer TCO sur 4–5 ans (prix d’achat, conso, pneus, assurance, recharge) avec un hybride sobre; tester l’itinérance sur vos trajets types.
  • Occasion EV: viser modèles <3 ans, vérifier SOH batterie, historique de recharge, et privilégier garanties constructeur.
  • Attention aux signaux prix: certains modèles neufs éligibles peuvent rendre les VO récents moins intéressants à court terme.

En octobre, la France confirme sa bascule électrique… mais sous contrainte. La transition avance, les chiffres sont là, et l’offre se densifie. Pour tenir la durée, il faudra désormais transformer l’essai: des prix catalogues plus bas, des bornes partout, et une demande capable de vivre avec moins d’aides. C’est à cette condition que la « France auto à deux vitesses » pourra enfin rouler au même rythme.

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