Flottes: l’éco-score et les AEN grippent le marché pro — au risque de freiner l’électrique

En bref:

  • La combinaison éco-score + durcissement des AEN réduit les choix pour les voitures de fonction, augmente le coût pour salariés et employeurs et risque d’assécher le marché de l’occasion électrique à moyen terme.
  • Mesures proposées: période transitoire ou découplage partiel AEN/éco-score et cadrage pluriannuel pour préserver les volumes flottes et la filière VO.

Le paradoxe français se durcit. Pensée pour orienter la demande vers des véhicules plus vertueux, la combinaison de l’éco-score et de la réforme des Avantages en Nature (AEN) déstabilise le marché des voitures de fonction. Résultat: des choix restreints pour les gestionnaires de parc, des coûts en hausse pour les salariés, et un risque très réel d’assécher le futur marché de l’occasion électrique.

À l’heure où les entreprises sont le moteur de l’électrification en France, la fiscalité pourrait, sans recalibrage, casser la dynamique.

Ce qui a changé depuis l’hiver 2025

  • Avantage en nature plus lourd: le barème forfaitaire a été relevé en 2025 (de 30 % à 50 % de la valeur hors « carburant » selon les cas), ce qui renchérit l’AEN imposable pour les collaborateurs et les charges sociales pour l’employeur.
  • Abattement spécifique VE désormais conditionné: l’abattement sur l’AEN des véhicules 100 % électriques est porté à 70 % avec un plafond (4 582 €) mais uniquement si le modèle est éligible à l’éco-score. Dans le cas contraire, l’abattement est de facto supprimé.
  • Effet car policy immédiat: les parcs doivent exclure de leurs listes de véhicules de fonction des modèles pourtant compétitifs en TCO, mais non « éco-scorés ».

📌 À retenir

  • L’éco-score n’est pas qu’un filtre bonus: il conditionne aussi l’abattement AEN et l’accès au leasing social qui démarre le 30 septembre 2025.
  • Les véhicules assemblés hors UE, ou dotés de grosses batteries à empreinte élevée, sont les premiers exclus.

Rappel express: l’éco-score, à quoi sert-il?

  • Calculé par l’ADEME, il intègre l’empreinte carbone « du berceau à la distribution » (matériaux, batterie, énergie de production, transport, réparabilité).
  • Objectif: privilégier la production européenne décarbonée et limiter les importations à forte intensité carbone.
  • Seuils et liste évolutifs: la liste des modèles éligibles est mise à jour régulièrement, mais demeure volatile pour les directions de flotte.

💡 Bon à savoir
Le même score ouvre droit au bonus écologique et au leasing social; il s’impose donc comme un verrou unique pour les volumes.

Premiers effets visibles côté B2B

  • Les flottes tirent l’électrique: en juillet 2025, elles ont pesé 40,3 % des immatriculations électriques en France (part historique), avec une nette accélération depuis le début de l’année.
  • Août contrasté: si les loueurs de courte durée ont dopé les volumes totaux, le canal B2B a reculé (-6,3 %), signe d’une prudence accrue.
  • BEV en entreprise: selon AAA Data, en août, l’électrique représente environ un quart des immatriculations sur le canal flotte, avec des volumes en forte hausse sur un an (+57 %), mais en deçà des dynamiques observées en Allemagne ou en Espagne.

🎯 Ce que disent les acteurs

  • Des constructeurs (européens et asiatiques) alertent: la France est la seule à mêler éco-score, AEN conditionnel et durcissements successifs, créant une complexité qui fige les décisions d’achat.
  • Des voix appellent à rouvrir l’abattement AEN à tous les VE, le temps d’un palier transitoire, pour éviter un trou d’air.

Pourquoi ça grippe: les cinq maillons faibles

  1. Choix de modèles restreint
  • Exclusions des VE non « éco-scorés » (assemblage hors UE, chaîne batterie/carbone défavorable).
  • Car policy sous contrainte: downgrades d’usage, arbitrages subis sur l’autonomie et l’équipement.
  1. Coût social et fiscal en hausse
  • Barème forfaitaire relevé: AEN imposable plus élevé pour les salariés, charges patronales accrues; tensions RH possibles sur le véhicule de fonction, avantage statutaire clé.
  1. Incertitude résiduelle et valeurs futures
  • Listes d’éligibilité mouvantes, rendant difficile la planification à 36–48 mois d’un parc et la projection des valeurs résiduelles.
  1. Frictions réglementaires multiples
  • Superposition de règles (éco-score, AEN, autres dispositifs comme taxe au poids selon configurations) brouille la lisibilité et allonge les cycles d’achat.
  1. Ralentissement des renouvellements
  • Attentisme: maintien des thermiques/PHEV existants, reports d’appels d’offres, arbitrages vers des segments inférieurs ou vers l’hybride non rechargeable.

📢 Point de vigilance marché
La France reste un marché stratégique européen pour l’électrique. Une contraction des flottes y aurait un effet cascade sur les volumes continentaux et les plans industriels.

Effet domino: le risque sur l’occasion électrique

  • Les flottes alimentent le VO: l’essentiel du stock électrique de seconde main provient des retours de LLD/LOA à 36–48 mois.
  • Si les volumes 2025–2026 s’étiolent, le marché VO 2027–2029 sera « sec »: choix réduit, prix plus fermes, démocratisation retardée.
  • L’image de valeur: l’incertitude actuelle peut dégrader les valeurs résiduelles, renchérissant encore les loyers neufs.

ℹ️ Impact consommateur
Moins de VO électriques abordables = frein supplémentaire pour les ménages hors périmètre du leasing social.

Constructeurs: qui est exposé?

  • Importés hors UE: forte exposition à l’éco-score; plusieurs gammes corporate deviennent inéligibles à l’abattement AEN.
  • Européens pas épargnés: certains modèles (batteries lourdes, chaînes d’approvisionnement carbonées) sont sous pression.
  • Stratégies d’adaptation: relocalisations en cours (ex. nouvelles capacités en Europe centrale), et reconfiguration batteries pour baisser l’empreinte.
  • Risque de concentration: car policies recentrées sur quelques modèles « éco-scorés » domestiques = moins de concurrence, moins de remises, TCO en hausse.

Comparaison rapide Europe: pourquoi l’Allemagne et l’Espagne vont mieux

  • Allemagne: cadre plus simple et lisible (exonérations de taxe de circulation sur 10 ans pour les VE immatriculés à temps), peu de filtres « fabrication »; environnement stable pour les flottes.
  • Espagne: primes d’achat généreuses et dispositifs musclés de renouvellement; élan plus net sur le BEV.
  • France: palette d’incitations forte sur le papier (exonérations TVS, aides ciblées), mais « filtre » éco-score/AEN ajoute une complexité qui bride le choix et la vitesse d’exécution.

Quelles sorties de crise? Trois options politiques concrètes

  1. Instaurer une période transitoire éco-score pour les flottes
  • 12 à 18 mois d’éligibilité AEN pour tous les VE, le temps d’aligner production et batteries sur les seuils, sans casser les volumes.
  1. Décorréler partiellement AEN et éco-score
  • Maintenir l’éco-score pour le bonus/leasing social, mais rouvrir l’abattement AEN aux VE non éligibles, avec un abattement réduit et plafonné, afin de préserver le TCO flotte.
  1. Donner de la visibilité pluriannuelle
  • Cadre fixé sur 3–4 ans (seuils, barèmes, taxes), mécanisme de « clause de grand-père » pour les commandes lancées, et trajectoire connue de baisse progressive des avantages.

Alternative débattue par la filière

  • Baisser la TVA sur tous les VE (ex. 5,5 %) en simplifiant le reste. Mesure efficace sur le TCO, mais budgétairement lourde: à arbitrer.

Conseils pratiques aux gestionnaires de flotte

  • Modélisez finement l’AEN: comparez barème forfaitaire et calcul au réel; pour des profils très roulants pro, le « réel » peut réduire sensiblement l’assiette imposable.
  • Recalibrez le TCO: intégrez la perte d’abattement AEN, la fiscalité locale, et les nouvelles valeurs résiduelles dans vos appels d’offres.
  • Priorisez des VE « éco-scorés » à forte liquidité VO: sécurisez la revente à 36–48 mois.
  • Négociez les loyers sur la base de VR prudentes et d’engagements de disponibilité (risque de délais).
  • Anticipez la recharge: mix domicile/entreprise/public optimisé, pour limiter le coût d’usage et l’insatisfaction des collaborateurs.

✅ À retenir

  • Sans ajustement rapide, la réforme éco-score + AEN risque de ralentir l’électrification des parcs, tout en renchérissant le coût social du véhicule de fonction.
  • Un relâchement transitoire et une meilleure lisibilité suffiraient à remettre les flottes en ordre de marche, condition sine qua non d’un marché VO électrique abondant et abordable demain.

En creux, le message est simple: la France a besoin de flottes fortes pour réussir son virage électrique; l’arbitrage fiscal doit les aider à avancer, pas les faire caler au démarrage.

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