En bref:
- La VDA propose d’obliger la recharge des PHEV (bridage progressif du thermique si non‑recharge), pour garantir une utilisation électrique réelle face au durcissement des règles UE.
- Faisable techniquement mais source de risques (sécurité, RGPD, accès aux bornes) — mieux vaut agir sur les incitations, exigences techniques (chargeur 11 kW/DC, démarrage EV par défaut) et la fiscalité liée à l’usage réel.
L’idée a de quoi faire lever plus d’un sourcil. Pour sauver les hybrides rechargeables (PHEV) bousculés par Bruxelles et la montée du 100 % électrique, l’industrie automobile allemande propose de… rendre la recharge obligatoire. À la clé, un bridage du moteur thermique si l’utilisateur ne branche pas son véhicule à intervalles réguliers.
Manœuvre désespérée ou redressement utile d’une technologie mal utilisée ? Décryptage, sans œillères.
Ce que propose vraiment la VDA
- La fédération allemande de l’automobile (VDA), présidée par Hildegard Müller, suggère que les futurs PHEV intègrent une contrainte d’usage:- obligation de recharger au moins une fois sur une distance à définir,
- à défaut, réduction automatique des performances du moteur thermique (bridage).
 
- Objectif affiché: “motiver” une conduite réellement électrique au quotidien pour réduire les émissions réelles de CO2 et rassurer Bruxelles.
Important: ce n’est, à ce stade, qu’une proposition industrielle. Ni texte de loi, ni projet réglementaire européen. Et de nombreuses inconnues techniques et juridiques demeurent.
Pourquoi maintenant ? Parce que les chiffres réels rattrapent le discours
- Les PHEV donnent le meilleur d’eux-mêmes… lorsqu’ils sont rechargés. Or, en flotte d’entreprise notamment, ils le sont trop peu.
- Les données d’usage collectées en Europe (OBFCM) et les analyses d’ONG comme Transport & Environment (T&E) convergent:- part de roulage réellement électrique très inférieure aux suppositions d’homologation,
- émissions en conditions réelles très supérieures aux valeurs WLTP, parfois “jusqu’à cinq fois plus” selon T&E.
 
- L’Agence européenne pour l’environnement a publié des écarts marqués (par exemple autour de 139 g/km observés pour des PHEV récents quand le WLTP en annonce en moyenne quelques dizaines de g/km).
- L’UE a déjà commencé à corriger le tir:- renforcement des essais pour PHEV (Euro 6e-bis depuis 2025),
- baisse programmée des “facteurs d’utilité” (la part de roulage supposée en électrique) d’ici 2027/2028 afin d’aligner les chiffres officiels sur la réalité.
 
En langage politique: l’échappatoire PHEV se referme. D’où l’offensive allemande pour prouver la “bonne utilisation” de ces modèles.
📌 À retenir
- Les PHEV ne posent pas problème… s’ils sont rechargés.
- Bruxelles intègre désormais les usages réels; les avantages CO2 des PHEV se réduisent quand ils ne sont pas branchés.
- La proposition allemande cherche à préserver la viabilité réglementaire et commerciale du PHEV après 2027… et jusqu’à l’échéance 2035.
Techniquement faisable… mais à quel prix (et quels risques) ?
- Mise en œuvre probable via logiciel et télématique (calcul de kilomètres depuis la dernière recharge, historique de sessions, etc.).
- Type d’action: plutôt limiter les modes “puissants” (boost, sport), réduire la puissance de crête, voire la vitesse max, que “couper” brutalement — pour des raisons évidentes de sécurité.
- Points sensibles:- sécurité routière: toute réduction doit être progressive, prévisible, abondamment signalée; pas de “coupure” en dépassement,
- contournements: “fausses” recharges très brèves pour lever la contrainte, charge minimale à définir,
- compatibilité usage: longs trajets consécutifs sans accès facile à une borne,
- homologation et responsabilité: qu’implique une limitation de performance “à l’usage” dans le dossier de type-approval ?
- cybersécurité: intégration d’une logique critique pilotée par logiciel et données connectées.
 
Comparaison utile: l’AdBlue sur diesel. Quand le réservoir est vide, le véhicule peut refuser de démarrer. L’esprit est similaire (forcer un comportement vertueux), mais la transposition au PHEV est plus complexe: une “recharge suffisante” n’est pas aussi binaire qu’un plein d’additif.
Données, vie privée, RGPD: la face cachée
Obliger la recharge suppose de tracer:
- kilomètres parcourus entre deux recharges,
- occurrences et durées de charge, éventuellement lieux.
Sous RGPD, c’est un traitement de données potentiellement sensibles (profil d’usage, habitudes de déplacement). Il faudra:
- un fondement légal clair,
- minimiser les données collectées,
- garantir le consentement et la transparence,
- protéger ces données (cybersécurité, durées de conservation, accès).
Qui soutient ? Qui tique ?
- En Allemagne, l’écosystème VDA pousse: les PHEV restent un pilier industriel et commercial. Le pays a vu les ventes grimper fortement en 2025, avec environ 12 % de part de marché en septembre (près de 27 700 immats), alors que la France a reculé sur la période.
- Ailleurs en Europe, les positions divergent:- constructeurs et pays pro-BEV (100 % électrique) jugent la “recharge obligatoire” artificielle et préfèrent accélérer l’électrique,
- certains industriels italiens restent ouverts aux solutions hybrides, mais sans afficher (pour l’instant) un soutien explicite au bridage,
- côté nordique, l’engagement vers le tout-électrique rend la proposition largement inaudible.
 
En clair: l’idée fédère chez ceux qui ont beaucoup investi dans le PHEV; ailleurs, elle est vue comme une rustine.
Impact client et marché: zones grises à clarifier
- Flotte d’entreprise: cœur du sujet. Tant que l’essence est prise en charge et que la recharge ne l’est pas toujours, l’incitation est mauvaise. Le bridage peut créer des frictions sociales et opérationnelles.
- Particuliers: acceptabilité incertaine pour une voiture neuve qui “punit” si l’on n’a pas pu recharger.
- Infrastructures: imposer la recharge sans garantir l’accès (domicile, travail, voirie) serait perçu comme inéquitable.
- Technique produit: nombre de PHEV restent lents à charger (3,7–7,4 kW AC), peu compatibles charge DC. Difficile de “sanctionner” si recharger est lent ou peu pratique.
🛠️ Bon à savoir
- Plusieurs marques affichent déjà des alertes de non-recharge récurrente. La VDA franchit un cap avec une contrainte matérielle sur la performance.
- Des zones à faibles émissions (ZFE) testent ailleurs en Europe des géorepérages “EV only” sur PHEV. Une autre voie, plus ciblée territorialement.
Y a-t-il mieux que le bâton ? Les leviers qui fonctionnent
- Fiscalité entreprise: rembourser l’électricité au même titre que le carburant, obliger la preuve de recharge (borne pro ou domestique certifiée), conditionner les avantages fiscaux à un taux minimal de roulage électrique vérifiable.
- Produit:- imposer un chargeur embarqué AC de 11 kW minimum et, au-delà d’un certain gabarit, une capacité de batterie plus élevée,
- généraliser la compatibilité DC sur PHEV destinés aux flottes,
- forcer le démarrage par défaut en mode EV, verrouiller certains modes thermiques en ville.
 
- Réglementation CO2:- continuer l’alignement sur les données d’usage réelles (OBFCM),
- restreindre les crédits/bonus PHEV si la part électrique constatée reste faible,
- réserver les aides publiques aux PHEV atteignant une part mesurée d’usage EV (au lieu d’un simple “potentiel”).
 
✅ Alternatives plus efficaces que le bridage
- Incitations financières à la recharge vérifiée
- Conditions d’avantages fiscaux indexées sur l’usage EV réel
- Matériel adapté: OBC 11 kW, compatibilité DC, e-range crédible
- Démarrage EV par défaut, géorepérage en zones sensibles
- Ajustement réglementaire continu via données OBFCM
Que peut faire Bruxelles maintenant ?
- Continuer la baisse des “facteurs d’utilité” PHEV et la prise en compte des données d’usage,
- Conditionner plus strictement les avantages (homologation, fiscalité, écobonus) à des critères d’usage réel,
- Exiger des minimums techniques (capacité batterie, puissance de charge) pour l’éligibilité aux aides,
- Clarifier le statut post‑2035 des PHEV (qui, en l’état, ne sont pas autorisés à la vente neuve) afin d’éviter des investissements “piégés”.
Et si vous roulez en PHEV aujourd’hui ?
- Branchez dès que possible: chaque nuit à domicile ou chaque jour au travail change tout (coût et CO2).
- Paramétrez l’EV par défaut, réservez l’hybride/sport aux grands axes.
- Sur long trajet, anticipez une courte recharge intermédiaire si votre modèle accepte au moins 7–11 kW AC.
- Si vous ne pouvez pas recharger régulièrement, un hybride simple efficient ou un diesel récent peut, paradoxalement, consommer moins sur autoroute. Et si l’infrastructure vous le permet, un BEV devient souvent plus pertinent en coût total de possession.
Au fond, l’idée allemande a le mérite de poser la vraie question: un PHEV vaut la peine à condition d’être rechargé. Mais transformer une bonne pratique en obligation punitive risque d’additionner complexité, contentieux et rejet. Mieux vaut corriger les incitations et l’outil industriel pour que la recharge devienne naturelle… et rentable, pour tous.
