Népal : l’inattendu champion mondial de l’électrique – Un laboratoire grandeur nature pour la transition automobile

En bref:

  • Le Népal s’impose comme un leader mondial de la mobilité électrique grâce à un mix énergétique renouvelable abondant, une fiscalité pro-VE et une offre principalement chinoise compétitive.
  • Ce modèle expérimental révèle à la fois le potentiel d’une transition rapide et les fragilités liées à l’instabilité politique, la qualité des importations et les infrastructures encore inégales.
  • Pour l’Europe, l’exemple népalais souligne l’importance d’une stratégie globale, stable et qualitative pour réussir la décarbonation du transport.

De Katmandou à Lalitpur, difficile d’ignorer les silhouettes silencieuses des véhicules électriques qui se multiplient au cœur du trafic népalais. Avec 76 % de parts de marché pour les véhicules électriques (VE) neufs en 2025, le Népal s’impose, contre toute attente, comme un leader mondial de la mobilité décarbonée. Entre choix énergétiques historiques, stratégie industrielle chinoise et état de laboratoire vivant pour la transition automobile, voici une analyse complète d’un modèle dont la France et l’Europe peuvent tirer bien des enseignements.

🌊 Hydropower : la clé de voûte du modèle népalais

Le Népal dispose d’un atout naturel exceptionnel : une capacité hydroélectrique estimée entre 72 000 et 83 000 MW grâce à ses puissantes rivières. Si le parc installé n’atteint encore qu’environ 2 800 MW, le pays produit déjà plus d’électricité qu’il n’en consomme à certaines périodes, et la quasi-totalité de l’électricité est d’origine hydraulique — donc décarbonée et peu coûteuse.

📌 À retenir

  • Près de 100 % du mix électrique népalais est renouvelable.
  • L’électricité domestique bon marché permet un coût d’usage des VE jusqu’à 15 fois inférieur à celui d’un véhicule thermique comparable.

🚗 Des politiques publiques ciblées et un effet boule de neige

Le décollage du VE au Népal n’est pas le fruit du hasard. À partir de 2021, le gouvernement adopte une politique ambitieuse :

  • Fiscalité différenciée : droits de douane et taxes excise plafonnés à 40 % pour les VE, contre 180 % pour les véhicules thermiques.
  • Subventions et financements : contraintes de crédit allégées, tarifs compétitifs pour la recharge, gratuité des transformateurs pour les opérateurs de bornes.
  • Déploiement des infrastructures : plus de 1 200 points de recharge ouverts en quelques années, dont 62 publics mis en place par l’État, générant un écosystème entrepreneurial autour des stations-service électriques (cafés, restauration, etc.).

Info Box – Ce qui fait la différence :

  • Un VE polyvalent (SUV) est vendu moins cher que sa version essence, malgré un niveau d’équipement supérieur.
  • Les taxis, bus et petits utilitaires électriques bénéficient d’un TCO (coût total d’utilisation) imbattable.

🇨🇳 L’offensive chinoise : un marché structuré sous influence

La domination des véhicules chinois, qui représentent de 70 à 95 % des importations, fait du Népal un avant-poste de la conquête de l’Asie du Sud par les industriels de l’ex-Empire du Milieu.

  • Prix agressifs : les modèles chinois concurrencent leurs équivalents indiens ou même occidentaux à prix quasi-divisés par deux — parfois au niveau d’un scooter thermique haut-de-gamme.
  • Offre pléthorique : de la citadine à l’utilitaire en passant par le bus, l’écosystème est alimenté par plus d’une dizaine de constructeurs.
  • Partenariats structurants : la Chine investit massivement dans l’électrification des transports collectifs, offrant notamment une centaine de bus électriques à Katmandou.

Citation

“Vous parlez de modèles aussi performants qu’une Tesla, mais à moitié prix. Pour le consommateur, c’est gagnant-gagnant.”
— Karan Kumar Chaudhary, Automobiles Association of Nepal

🧐 Un modèle exemplaire… mais fragile sur plusieurs fronts

Malgré des chiffres impressionnants, les défis structurels sont nombreux :

⚖️ Instabilité politique et volatilité de la politique publique

  • Trois chefs de gouvernement en cinq ans : autant de revirements ou menaces sur les incitations.
  • Tentation de relever les taxes sur les VE pour compenser la chute des recettes fiscales, générant de l’incertitude pour professionnels et particuliers.

📉 Qualité des importations et fiabilité des services

  • Prolifération de petits fabricants chinois sans suivi après-vente : disponibilité des pièces, garanties, formation à la maintenance… autant de défis à relever pour éviter des retours de bâton en termes d’image.
  • Le gouvernement tente de réagir via des standards d’importation (durée minimale de batterie, contrôle thermique…), mais le marché reste encore très hétérogène.

⛑️ Infrastructures et main-d’œuvre

  • Croissance du réseau de recharge, mais couverture encore très inégale, notamment hors des axes principaux.
  • Manque de techniciens qualifiés pour l’entretien spécifique des VE.
  • Routes sinueuses et vulnérables aux épisodes de mousson : les utilisateurs restent prudents sur la robustesse et la sécurité des véhicules.
LeviersAtout népalaisFaiblesse ou attention
ÉlectricitéHydro renouvelablePotentiel sous-utilisé, dépendance aux investissements futurs
Fiscalité VEAvantage décisifRisque d’instabilité et d’effets de bord budgétaires
Accès à l’offreOffres abordablesQualité variable, SAV aléatoire, dépendance à la Chine
InfrastructuresRéseau en essorReste à densifier, manque de professionnels
Acceptabilité socialeFaible TCOReste centrée sur la voiture particulière, transports en commun moins avancés

🚦 Quelles leçons pour la France et l’Europe ?

Le cas népalais prouve que la transition automobile peut s’accélérer brutalement quand trois conditions sont réunies : une électricité peu carbonée, une fiscalité résolument pro-électrique et un accès à des véhicules abordables. Pour autant, certains écueils doivent alerter les décideurs européens :

💡 Conseil d’expert

  • Le “prix bas” ne fait pas tout : les standards de qualité, la robustesse des infrastructures de recharge, et la sécurisation des filières de maintenance sont tout aussi déterminants pour un succès pérenne.
  • L’électromobilité impose une vision de long terme : le moindre recul sur les aides ou la normalisation entraîne une chute de confiance.
  • La dimension géopolitique derrière la diffusion des véhicules électriques — en particulier la domination industrielle chinoise — interroge sur la souveraineté et la diversification des approvisionnements.

📢 Le VE n’est pas une fin, mais un outil. La réussite népalaise montre qu’un écosystème électrique performant nécessite une vision cohérente, une stabilité politique et un engagement sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

En somme, si le Népal illustre de façon spectaculaire la faisabilité d’une bascule rapide vers l’électrique, il pose aussi, en miroir, les conditions indispensables à réunir – et les risques systémiques à anticiper – pour que la transition réussisse sur le long terme.

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