En bref:
- Le ratio 1:6:90 (une BEV 60 kWh = 6 PHEV 10 kWh = ≈90 HEV ≈0,6–0,7 kWh) montre qu’en termes de CO₂ évité par kWh de batterie, les hybrides simples dominent à court terme (avec ≈225–450 tCO₂ évitées si on alloue 60 kWh à des HEV vs ≈10–16 t pour 1 BEV).
- Conclusion politique : arbitrer 2025–2030 avec pragmatisme — favoriser les BEV là où ils sont optimaux (urbain, forts kilométrages), encadrer les PHEV pour garantir leur efficacité réelle, et massifier les HEV pour des gains immédiats tout en accélérant décarbonation du mix, recharge et recyclage pour la transition durable.
L’embellie du marché européen se confirme, portée par les hybrides et les électriques. Mais une équation anglo-saxonne fait grincer des dents: avec la même quantité de batteries, construire une seule voiture 100% électrique ou… 6 hybrides rechargeables ou… 90 hybrides simples. Derrière ce 1:6:90 popularisé par Toyota, une vraie question d’efficacité carbone à court terme se pose.
Et si, obsédée par le “tout électrique”, l’Europe passait à côté du meilleur rendement climatique immédiat de ses matières premières critiques ? Plutôt que des slogans, voici les chiffres, les limites et les implications stratégiques.
Où en est vraiment le marché européen
- Sur janvier–septembre 2025, l’UE repasse dans le vert: +0,9% vs 2024 (≈8,06 M de VP). Septembre seul: +10% (≈889 000 immats), selon l’ACEA.
- Les hybrides non rechargeables dominent: 34,7% de parts, ≈2,8 M d’unités (+16,4%).
- Les hybrides rechargeables remontent: 9% de parts (≈+31%).
- Les 100% électriques progressent à 16,1% (≈1,3 M, +24%). L’Allemagne tire la croissance, la France repart en septembre.
Message clé: l’appétit européen est très réel pour les motorisations électrifiées, mais il n’est pas monolithique. Les hybrides “classiques” tiennent aujourd’hui le haut du pavé.
D’où vient le ratio 1:6:90, et que vaut-il ?
Ce ratio vient d’une logique simple: une batterie de 60 kWh (typique d’une compacte électrique) peut, en ordre de grandeur:
- faire 1 BEV de 60 kWh,
- ou 6 PHEV de 10 kWh,
- ou ≈90 hybrides légers avec ≈0,6–0,7 kWh.
C’est un raisonnement d’allocation de ressources: à quantité donnée de lithium, nickel/graphite, cuivre… combien de véhicules électrifiés peut-on mettre sur la route ? Et quel impact carbone total obtient-on, à conduite et durée de vie égales ?
⚠️ Ce n’est pas un verdict pro/anti BEV: c’est une boussole “rendement par kWh de batterie” utile dans une phase temporaire de contraintes d’approvisionnement. Elle ne traite ni la pollution urbaine, ni le verrouillage fossile, ni le potentiel long terme du 100% électrique.
CO₂: combien “rapporte” 1 kWh de batterie selon la techno ?
Pour comparer proprement, on regarde l’économie de CO₂ sur l’usage, rapportée à la capacité batterie mobilisée.
📌 Hypothèses de calcul (prudentes et transparentes)
- Cycle de vie d’usage: 150 000 km (moyenne européenne).
- Référence thermique essence “réaliste”: 170–190 gCO₂/km (route + ville).
- Consommation BEV: 16–18 kWh/100 km. Électricité UE en baisse tendancielle (mix ≈ bas carbone croissant). Intensité moyenne retenue: 200–300 gCO₂/kWh selon pays/période.
- Surplus d’émissions à la fabrication d’un BEV vs thermique: +3,5 à +6 tCO₂ (batterie incluse), en baisse avec la décarbonation des usines.
- PHEV en usage réel: très sensible à la recharge. Scénario médian: gain 30–60 gCO₂/km vs thermique. Hybride non rechargeable (HEV/MHEV): gain 10–20%.
✅ Résultats ordre de grandeur
- 1 BEV 60 kWh:
- économie à l’échappement vs thermique: 100–130 g/km ⇒ 15–20 tCO₂ sur 150 000 km
- moins le surcroît de fabrication: net ≈ 10–16 tCO₂ évitées
- “rendement” par kWh de batterie: ≈ 170–270 kgCO₂ évités/kWh
- 1 PHEV 10 kWh (usage moyen réellement branché):
- 30–60 g/km ⇒ 4,5–9 tCO₂ évitées
- rendement ≈ 450–900 kgCO₂/kWh
- 1 hybride simple ≈0,6–0,7 kWh:
- 10–20% de gain ⇒ 2,5–5 tCO₂ évitées
- rendement ≈ 3 500–7 500 kgCO₂/kWh
En clair: par kWh de batterie “consommé”, l’hybride simple est imbattable à court terme, le PHEV suit, le BEV ferme la marche. Mais attention: ce métrique favorise mécaniquement les très petites batteries… et il ignore d’autres dimensions clés.
🔎 Calcul express “60 kWh disponibles”
- Option A — 1 BEV 60 kWh: ≈ 10–16 tCO₂ évitées sur vie.
- Option B — 6 PHEV (6×10 kWh): ≈ 27–54 tCO₂.
- Option C — 90 hybrides simples (90×0,67 kWh): ≈ 225–450 tCO₂.
Si le but est de maximiser la baisse de CO₂ 2025–2030 avec des matériaux limités, la massification des hybrides “rend” objectivement plus de tonnes évitées. C’est le cœur du paradoxe 1:6:90.
Les grands “mais” que le ratio ne voit pas
- Qualité de l’air en ville: les BEV ont zéro émission au pot d’échappement (NOx/PM), les hybrides restent des fossiles en usage urbain.
- Verrouillage fossile: multiplier les hybrides prolonge l’usage d’essence jusqu’aux années 2040. Risque d’actifs échoués et d’inertie industrielle contraire au cap 2035 (fin des ventes thermiques neuves dans l’UE, hors carburants synthétiques très spécifiques).
- Réalité PHEV: sans recharge systématique (flottes, particuliers sans prise), l’économie réelle s’effondre; certains roulent proche d’un thermique.
- Décarbonation de l’électricité: plus le mix baisse en CO₂, plus le BEV “gagne” chaque année en émissions évitées, sans modifier le véhicule.
- Chimies de batteries: la bascule vers le LFP (peu/nickel, zéro cobalt) et la baisse de l’intensité carbone des gigafactories diminuent l’empreinte amont des BEV.
- Ressources et éthique: hybrides et BEV utilisent lithium/graphite/cuivre (moins en HEV), avec des enjeux sociaux et environnementaux similaires; le recyclage change l’équation après 2030.
📌 Bon à savoir
- Le règlement batteries de l’UE impose des taux de collecte, d’efficacité de recyclage et des teneurs minimales en contenu recyclé, accélérant un “bouclage” des matériaux.
- Les capacités de recyclage (Europe/États-Unis/Asie) montent en puissance; elles réduiront la pression minière et l’empreinte amont des BEV et PHEV au fil de la décennie.
Europe: se tromperait-on d’arbitrage ?
L’Europe n’a pas rejeté les hybrides: le marché en raffole en 2025, et les objectifs CO₂ des flottes 2025–2030 ont laissé une place aux PHEV/HEV. Mais l’architecture réglementaire (cap 2035, normes de pollution urbaines, fiscalité) vise clairement la destination BEV.
La vraie question est séquentielle: comment orchestrer 2025–2030 pour maximiser les tonnes de CO₂ évitées tout en préparant un parc largement électrique durablement ?
Une stratégie de transition “mixte” et testable
- Cibler les BEV là où ils sont déjà optimaux
- Urbain/périurbain avec recharge domestique/pro: bénéfice air local + TCO compétitif.
- Forts kilométrages (VTC, livraisons, taxis): effet volume d’usage, amortit la fabrication.
- Encadrer les PHEV pour délivrer leurs promesses
- Bonus/malus et avantages fiscaux conditionnés à des kilomètres électriques réels (télémétrie anonymisée), géorepérage “zéro émission” en zones à faibles émissions, révision des Utility Factors.
- Massifier l’hybride non rechargeable sur les remplacements à court terme
- Remise à niveau rapide du parc ancien, surtout là où la prise est absente. Gains sûrs de 10–20% sans contrainte d’usage.
- Piloter la “matière” comme une ressource stratégique
- Indicateur officiel d’abattement CO₂ par kWh batterie allouée dans les politiques publiques 2025–2030, pour arbitrer finement les soutiens.
- Accélérer les facteurs systémiques
- Recharge publique fiable et dense, surtout AC au travail et en copropriété.
- Décarbonation du mix électrique (plus elle s’accélère, plus les BEV surperforment).
- Recyclage/traçabilité: exigences et soutien industriel pour sécuriser l’offre et l’éthique.
💡 Astuce de lecture des annonces constructeurs
- Regardez la chimie (LFP vs NMC), la taille de batterie, et la consommation homologuée/réelle: trois leviers qui changent l’empreinte sans changer la carrosserie.
Risques à surveiller
- Verdissement de façade: PHEV mal utilisés dans les flottes, hybrides puissants à gains faibles.
- Effets prix: si l’aide publique se concentre trop sur BEV haut de gamme, le renouvellement du parc ralentit, dégradant le bilan court terme.
- Goulots d’électrons: la stagnation du réseau ou des raccordements peut freiner l’usage BEV et dégrader le bilan si la recharge reste carbonée localement.
À retenir
- Par “kWh de batterie”, les hybrides simples offrent aujourd’hui le meilleur rendement CO₂; les PHEV suivent; les BEV ferment la marche dans ce métrique précis.
- En “tonnes absolues” par véhicule et en qualité de l’air, le BEV est devant, et son avantage croît avec la décarbonation du mix et la baisse de l’empreinte de fabrication.
- La bonne réponse européenne n’est pas binaire: un pilotage fin 2025–2030 peut concilier efficience immédiate (hybrides) et trajectoire structurelle (BEV), sans perdre de vue le verrouillage fossile et la santé publique.
En somme, le 1:6:90 est un rappel utile: la batterie est une ressource stratégique. À l’Europe de la répartir intelligemment, sans confondre rendement à court terme et destination finale.
