Rivian mise tout sur l’IA : les constructeurs préparent-ils un futur avec moins de voitures ?

En bref:

  • Rivian mise sur une stratégie “de bout en bout” centrée sur l’IA et la conduite autonome (soft‑ et hardware propriétaires, multicapteurs), illustrant la bascule des constructeurs vers un modèle tech.
  • La valeur se déplace des volumes de tôle vers les revenus récurrents (abonnements, services, données, robotique) — succès conditionné par sécurité, réglementation, cybersécurité, acceptabilité client et bilan climatique.

L’annonce est symbolique en cette fin 2025 : après Tesla, Rivian bascule à son tour dans une stratégie centrée sur l’intelligence artificielle et la conduite autonome, jusque dans la conception de ses propres puces. Un pari technologique… et économique. Au-delà du cas Rivian, une question s’impose : l’avenir des groupes auto se joue-t-il désormais moins dans la vente de “tôle” que dans les services, la donnée et le logiciel ?

Derrière l’effet d’annonce, se dessine une transformation plus profonde d’une industrie aux volumes fragilisés, aux marges sous pression et à l’équation climatique de plus en plus contraignante.

À retenir

  • Les ventes stagnent et le capital se dirige vers l’IA et les data centers : les constructeurs se repositionnent en “entreprises de tech”.
  • Rivian intègre verticalement logiciel et matériel (jusqu’aux puces), à contre-courant du modèle “fournisseurs” classique.
  • Le business modèle se déplace vers les revenus récurrents (abonnements, services connectés, données, robotique).
  • Le chemin est long : sécurité, réglementation, cybersécurité, gouvernance des données et acceptabilité client conditionnent la réussite.

Rivian, signal faible ou bascule d’époque ?

Rivian a refondu sa plateforme de conduite automatisée, avec une approche “de bout en bout” nourrie par les données de sa flotte. Particularité notable face au tout-vision de Tesla : un choix multicapteurs (caméras, radars et LiDAR à terme) pour renforcer la robustesse de perception. Les premières fonctions “mains libres” sur autoroute commencent à être activées par mise à jour à distance en Amérique du Nord. On reste loin du niveau 4, mais l’ambition est claire : maîtriser toute la pile, jusqu’aux puces maison, pour gagner en performance et en cadence.

Pourquoi maintenant ? Parce que, sous contrainte financière et industrielle, Rivian estime qu’être dépendant de briques génériques ou de fournisseurs l’exposerait à un décrochage. En filigrane, le message est sans détour : investir massivement dans l’IA… ou perdre pied.

Pourquoi les patrons auto parlent-ils tous “tech” ?

  • Les marchés boursiers surpondèrent l’IA. Les “Magnificent Seven” pèsent plus d’un tiers du S&P 500, quand les valorisations auto piétinent malgré des volumes colossaux.
  • L’écart R&D est abyssal. Ordres de grandeur 2024 (montants annuels, indicatifs) :
    • Alphabet ~45,6 Md€
    • Meta ~40,5 Md€
    • Apple ~29,0 Md€
    • Microsoft ~27,3 Md€
    • Samsung ~23,7 Md€
    • Huawei ~23,1 Md€
    • Volkswagen ~21,0 Md€
  • Résultat : alliances à marche forcée (Google/Renault, Xpeng/Volkswagen…), investissements dans les semi-conducteurs, et “keynotes” où IA, robotique et logiciels deviennent la nouvelle grammaire du secteur.

En Chine, l’État réoriente ses priorités vers l’IA et la robotique. Même des dirigeants de groupes dynamiques anticipent qu’à horizon 10 ans, l’automobile stricto sensu ne sera plus qu’une moitié de leur activité. De l’autre côté, Apple a renoncé à sa voiture, préférant la place de fournisseur ou de plateforme. Le signal est clair.

Moins de tôle, plus de code : le véhicule “software-defined”

Pour passer d’un prototype brillant à un service fiable, l’IA embarquée exige:

  • Une architecture électrique/électronique centralisée, des réseaux Ethernet, et des calculateurs reconfigurables.
  • Une chaîne de données maîtrisée (captation embarquée, curations intelligentes, entraînement, optimisation des modèles, déploiement OTA).
  • Un fonctionnement “dégradé” hors réseau, pour réduire la latence et garantir la sûreté.
  • Une normalisation des signaux (initiatives type COVESA) pour éviter les “dialectes” propres à chaque marque.
  • Une cybersécurité et une gestion des mises à jour conformes aux règlements (UN R155/R156), plus la conformité IA (cadre européen à venir).

Note utile: aujourd’hui, l’essentiel du calcul IA reste dans le cloud ou en mode hybride; amener de l’IA réellement embarquée est un chantier technique… et d’industrialisation.

Monétiser autrement que par la vente d’une voiture

  • Abonnements et fonctions à la demande
    • Activation payante de fonctionnalités (aide à la conduite avancée, confort, performance), mises à jour logicielles à la Tesla.
    • Expérience client personnalisée et évolutive, mais débat sur l’acceptabilité de payer après l’achat.
  • Services connectés et données
    • Maintenance prédictive, assurance à l’usage, optimisation énergétique, gestion de flotte. Les taux de conversion en après-vente progressent quand les campagnes sont pilotées par la donnée.
    • Des estimations sectorielles voient, d’ici 2030, plusieurs centaines de milliards de dollars de revenus potentiels dans les services connectés.
  • Robotaxi et robotique
    • Waymo garde de l’avance en robotaxi, Tesla poursuit son FSD et pousse la robotique humanoïde. Les calendriers restent incertains, mais le signal aux marchés est puissant.

📌 Bon à savoir

  • La réussite économique passera par un TCO crédible pour le client (particulier et flotte), pas seulement par des promesses technologiques.
  • La perception d’équité (ne pas faire payer deux fois la même “option”) et la transparence sur la donnée seront décisives.

Et si on vendait… moins de voitures ?

Les projections académiques et publiques convergent: plus d’autopartage, davantage de transports collectifs et de micro-mobilités dans les zones denses, contraintes budgétaires persistantes. On ne parle pas d’une “fin de l’auto”, mais d’un recul structurel de la voiture individuelle dans certains territoires et usages. Dans ce scénario, la valeur se déplace vers:

  • La disponibilité à la demande (véhicules autonomes géo-fencés).
  • Les plateformes de mobilité multimodale et la facturation à l’usage.
  • La longévité et la re-fabrication (re-use, rétrofit, seconde vie batterie), pilotées par la donnée.

Reste un point clé pour la transition climatique: la voiture moins utilisée et mieux remplie émet moins par passager-km, mais l’empreinte de l’IA (data centers, électronique) et la fabrication de flottes autonomes devront être intégrées au bilan carbone.

Les angles morts à ne pas ignorer

  • Sécurité et responsabilité: la promesse d’autonomie engage des obligations de résultats et des chaînes de responsabilité complexes.
  • Réglementation: homologations progressives, cadre IA européen, règles de mise à jour et de cybersécurité.
  • Vie privée et souveraineté: où sont stockées les données, qui y accède et à quelles fins ?
  • Droit à la réparation et durabilité: ouvrir l’accès, allonger les cycles de vie, limiter l’obsolescence logicielle.

Feuille de route pragmatique pour un constructeur

  • Choisir ses domaines de maîtrise (perception, planification, UX, énergie) et accepter des partenariats ailleurs.
  • Construire une plateforme donnée/logiciel robuste et réutilisable gamme après gamme.
  • Déployer des fonctions utiles d’abord sur des cas d’usage bien cadrés (autoroute, flotte, logistique).
  • Concevoir des offres claires et lisibles: packs transparents, prix stables, option d’achat “à vie”.
  • Mesurer l’impact énergétique et climat du numérique déployé (modèles sobres, calcul local quand pertinent).
  • Investir dans la sécurité active/passive et la cybersécurité au même niveau que le marketing.

Concrètement, à quoi s’attendre en 2026–2027 pour l’automobiliste ?

  • Des aides à la conduite plus fluides et plus contextualisées sur voies rapides.
  • Une planification d’itinéraires et de charges plus intelligente et personnalisée.
  • Une maintenance prédictive plus fine, des passages atelier mieux anticipés.
  • Des interfaces vocales plus utiles… mais pas magiques.
  • Et des incitations à s’abonner: à accepter si elles apportent une vraie valeur, à refuser si elles segmentent artificiellement.

Au fond, Rivian ne fait qu’expliciter un mouvement général: le constructeur “pur produit” laisse place à une entreprise de mobilité, de logiciels et de données. Les voitures ne disparaîtront pas demain, mais elles ne suffiront plus à faire tourner le modèle économique. L’enjeu, désormais, est de tenir la promesse de sécurité, de sobriété et de transparence – sans quoi l’IA restera un slogan de keynote, pas un progrès pour la mobilité.

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