Sénat et “crash” annoncé: et si l’avenir de l’auto française se jouait surtout… dans les garages ?

En bref:

  • Le Sénat sonne l’alarme sur une "crise profonde" de l’industrie automobile française (ventes en recul, délocalisations, risque de disparition d’usines) si rien n’est fait.
  • En contrepoint, l’entretien-réparation (130 000 entreprises, 400 000 emplois) croît et représente une valeur locale et non délocalisable : compétences HV/ADAS, pièces reconditionnées, services et data.
  • Priorités proposées : droit effectif à la réparation et passeport batterie, montée en compétences/ outillage des ateliers, filières de remanufacturing et politiques pour VE petits et abordables.

Le constat est brutal: un rapport du Sénat alerte sur le risque de disparition de l’industrie automobile française si rien ne change rapidement. Ventes en retrait, délocalisations, concurrence chinoise, transition bousculée… Pendant que l’Hexagone doute de ses usines, un autre pan de la filière progresse dans l’ombre: l’entretien, la réparation et la pièce.

Et si, à court terme, la valeur et les emplois les plus défendables ne se trouvaient pas dans l’assemblage des voitures neuves, mais sous les ponts élévateurs des ateliers ? Radiographie d’un basculement déjà à l’œuvre, avec ses promesses… et ses limites.

Ce que dit le Sénat: une “crise profonde et durable”

  • Ventes de voitures neuves toujours -20% par rapport à l’avant-Covid, part de production nationale en chute (une voiture sur cinq vendue en France est fabriquée en France, contre une sur deux au début des années 2000), nombre d’usines divisé par deux en trente ans.
  • 800 000 emplois en jeu (350 000 chez les constructeurs, 450 000 chez les équipementiers et sous-traitants).

“On va vers un crash si rien n’est fait.”
“Interdire la vente des thermiques en 2035 fragilise des acteurs déjà pris en étau.”
— Extraits des sénateurs coauteurs du rapport

Parmi les 18 mesures d’urgence recommandées: relever les droits de douane sur les VE chinois, réexaminer la date 2035, imposer un contenu local élevé (80% hors batterie, objectif 40% de batteries produites localement en 2035), créer un “Airbus du logiciel embarqué”, et surtout relancer des petits véhicules électriques abordables, type kei cars.

Pendant ce temps, les ateliers tournent: la mécanique devient un service

Le quotidien des automobilistes a changé, et vite.

  • 86% des Français estiment ne pas pouvoir réparer eux-mêmes leur voiture; 73% s’en remettent au garage au premier pépin (étude Meyle–OpinionWay, 14 octobre 2025).
  • Le diagnostic électronique pèse désormais plus de 40% du temps d’intervention (contre <20% il y a dix ans).
  • Marché de l’entretien-réparation: plus de 37 Md€ en 2024; chiffre d’affaires des ateliers en hausse (+4,3% sur un an selon la FNA).
  • Un tissu dense: 130 000 entreprises, plus de 400 000 emplois dans la maintenance automobile.
  • Coût d’entretien annuel moyen: 650 € (contre 580 € en 2020).
  • Les réseaux investissent massivement dans la compétence électrique/hybride; les indépendants misent sur la proximité et le conseil.
  • Pièces en ligne: 2,6 Md€ en 2025; 43% des automobilistes ont déjà commandé des pièces sur Internet.

📌 À retenir

  • Le parc vieillit (âge moyen au-delà de 11 ans): plus d’interventions, plus de pièces.
  • Les voitures deviennent des objets numériques: la compétence bascule de la clé plate vers le logiciel.
  • La confiance dans le garagiste reste élevée (60% le voient comme un “spécialiste de confiance”).

Une opportunité nationale: la valeur locale, non délocalisable

L’entretien est par nature territorial, ancré dans les bassins de vie. Sa croissance offre une respiration à la filière:

  • Valeur ajoutée locale, difficile à délocaliser.
  • Montée en gamme technique (haute tension, ADAS, calibrations, mises à jour logicielles).
  • Économie circulaire: pièces remanufacturées, gammes “haute durabilité”, réemploi, recyclage, diagnostic batterie certifié pour l’occasion (recommandé par les sénateurs).
  • E-commerce et “do it yourself” encadré: tutoriels, kits, diagnostics interactifs; un vivier pour les indépendants.

Mais cette dynamique a ses angles morts: pression haussière sur les factures, risque de verrouillage logiciel par les constructeurs, dépendance persistante à des composants électroniques importés, et difficulté pour les plus petites structures à investir dans l’outillage et la formation.

Usines vs garages: le match réel n’oppose pas, il complète

EnjeuFabrication de véhicules neufsEntretien et réparation
Souveraineté/commerceExposé à la concurrence et aux coûts hors d’EuropeValeur locale, maillage national
TechnologieBatteries, électronique de puissance, logiciel embarquéHV, ADAS, cybersécurité atelier, data véhicule
EmploiConcentré, cyclique, capitalistiqueDiffus, résilient, orienté services
ClimatCritique pour décarboner le parc à la sourceProlonge la vie utile; clé pour l’économie circulaire
RisquesDélocalisations, délais d’industrialisation, normesAccès aux données, inflation des coûts, pénurie de compétences

Miser sur l’entretien ne décarbone pas tout seul

Allonger la durée de vie d’un véhicule réduit l’empreinte de fabrication, mais prolonge aussi l’usage de modèles anciens plus émetteurs. Le bon compromis est double:

  • Remplacer en priorité les véhicules les plus polluants par des modèles sobres/électriques abordables.
  • Optimiser l’entretien du parc restant (thermique et électrique) pour en réduire l’empreinte et garantir la sécurité.

Dit autrement: l’avenir ne se joue pas “contre” les usines, mais “avec” des garages plus puissants et mieux outillés, pendant qu’on relocalise ce qui peut l’être et qu’on réoriente l’offre vers des voitures plus légères et plus accessibles.

Pistes concrètes: faire des garages un pilier de souveraineté

  • Droit effectif à la réparation auto: accès standardisé aux données et fonctions des véhicules (ODX/OTA/ADAS) pour les acteurs indépendants, à des conditions équitables.
  • Passeport batterie obligatoire et lisible (SoH certifié) sur le marché de l’occasion, interopérable pour tous les ateliers habilités.
  • Accélérer le remanufacturing et le réemploi: labels de durabilité, traçabilité, filières locales de pièces “HD” et reconditionnées.
  • Plan compétences haute tension/ADAS à grande échelle (ANFA, réseaux, indépendants): habilitations, outillage subventionné, plateformes régionales de formation.
  • Soutenir les solutions de transition: rétrofit électrique ciblé, conversion E85 quand pertinent, packs “sobriété” (pneus basse résistance, géo-réglage, etc.).
  • Normaliser la réparabilité: modules remplaçables, documentation technique, lutte contre l’obsolescence logicielle.
  • Commander local: marchés publics couplant achat responsable et contrats d’entretien avec PME territoriales.
  • Économie numérique de l’atelier: cybersécurité, sauvegarde et traçabilité des opérations, télémétrie utile au diagnostic prédictif.

💡 Conseil d’expert (pour les ateliers)

  • Investir en priorité dans: certification HV, calibration ADAS, outils de diagnostic multi-marques dernière génération, EPI et procédures HV, gestion des données.
  • Nouer des partenariats avec les vendeurs de pièces et plateformes e-commerce pour capter la demande “hybride” (client + pro).
  • Développer l’offre VE: check-up batterie, maintenance freinage/thermique, mise à jour logicielle accompagnée.

Et la production de VE neufs dans tout ça ?

Le rapport vise juste en rappelant l’urgence des petits VE accessibles. Sans véhicules sobres et abordables, la transition cale. Trois leviers à articuler:

  • Un “socle” industriel européen: petites plateformes électrifiées, composants clés relocalisés où c’est réaliste, coopération sur le logiciel embarqué.
  • Une politique de demande cohérente: bonus ciblés classes moyennes, LLD sociales, normes de poids, et calendrier UE pragmatique mais crédible.
  • Un après-vente prêt pour l’électrique: diagnostics batterie, sécurité HV, pièces de rechange disponibles et raisonnablement tarifées.

📢 À méditer

  • L’objectif n’est pas de substituer les garages aux usines, mais de reconnaître que, d’ici 2030, l’essentiel de la valeur défendable est diffus: entretien, services, data, circularité. C’est là que la France peut gagner vite, pendant qu’elle reconstruit des atouts industriels durables.

En creux, le “vrai” pari est double et réaliste: rebasculer l’offre neuve vers des modèles plus légers et abordables tout en professionnalisant l’entretien du parc — thermique comme électrique. Les usines mettront du temps à reprendre l’avantage; les garages, eux, sont déjà en première ligne.

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