En bref:
- Le Royaume‑Uni relance une aide à l’achat pour véhicules électriques (Electric Car Grant) jusqu’à £3 750, avec plafond £37 000 et critères stricts d’empreinte carbone (batterie + assemblage + SBTi).
- Effet immédiat: regain d’intérêt, remises commerciales massives et pression pour relocaliser composants clés ; pour les constructeurs français, Band 2 est accessible, Band 1 exige une décarbonation industrielle.
- Le modèle britannique illustre une piste pour l’UE: aides ciblées conditionnées à l’empreinte, accompagnement industriel et déploiement d’infrastructures pour préserver compétitivité et objectifs climatiques.
Le nouveau gouvernement britannique vient de remettre une subvention directe sur la table pour les voitures électriques. Montant maximal: 3 750 £, ciblée, avec des critères “verts” stricts. Alors que nombre de pays européens ont réduit ou supprimé leurs aides, Londres fait le pari inverse. Coup de pouce conjoncturel… ou modèle à suivre pour l’UE dans la bataille face aux marques chinoises ?
Ce que Londres a décidé, concrètement
- Une Electric Car Grant (ECG) dotée de 650 M£ jusqu’en 2028-2029.
- Plafond de prix: 37 000 £.
- Deux niveaux:
- Band 1: 3 750 £ pour les modèles à plus faible empreinte carbone (production batterie + assemblage + intensité carbone du réseau des pays de fabrication).
- Band 2: 1 500 £ pour les autres modèles éligibles.
- Critère indispensable: constructeur engagé sur des objectifs climat validés (Science Based Targets).
- Remise appliquée automatiquement en concession (pas de paperasse côté client).
📌 À retenir: au-delà du prix, l’empreinte carbone de la chaîne de valeur devient un sésame. C’est un “bonus” qui trie les véhicules.
Les premiers modèles concernés
- Band 1 (3 750 £): Ford Puma Gen‑E et Ford e‑Tourneo Courier. Leur combinaison “assemblage en Europe + groupe motopropulseur électrique produit au Royaume‑Uni” coche les cases de durabilité.
- Band 2 (1 500 £): extensions rapides à des modèles populaires:
- Stellantis: Peugeot e‑308, e‑408; DS 3, DS Nº4; (la gamme Citroën ë‑C3, ë‑C4/ë‑C4 X, ë‑C5 Aircross, ë‑Berlingo avait ouvert le bal)
- Renault: 5 E‑Tech, 4, Mégane, Scenic; Alpine A290
- Vauxhall: Corsa, Mokka, Frontera, Astra (berline et break), Grandland, Combo Life Electric
- Nissan: Micra, Ariya
- Volkswagen: huit déclinaisons d’ID.3
- Cupra: Born (toutes batteries)
Bon à savoir: la nouvelle Nissan Leaf produite à Sunderland est pressentie pour décrocher le Band 1 à son lancement.
Pourquoi relancer une prime maintenant ?
- Le marché britannique souffre d’un ralentissement des ventes aux particuliers (infrastructures jugées insuffisantes, anxiété d’autonomie, décotes lourdes, prix élevés).
- L’ECG veut lever l’obstacle du prix d’achat, au moins en partie, en parallèle d’un objectif réglementaire ambitieux (quotas ZEV par constructeur).
- Effet “signal” et lisibilité: aider le particulier avant l’échéance de l’interdiction des thermiques neuves annoncée par le gouvernement pour la décennie à venir.
Côté demande, les premiers indicateurs sont positifs: les recherches pour les modèles éligibles ont bondi “jusqu’à +80 %” selon Auto Trader. Mais la mise en œuvre au compte‑gouttes (listes validées par vagues) a aussi créé de l’attentisme en concession, plusieurs distributeurs évoquant une “pagaille” passagère.
Un bonus qui fonctionne aussi comme un filtre anti‑carbone
Le critère décisif n’est pas la nationalité du badge mais l’empreinte carbone de la fabrication. Sont favorisés:
- des batteries produites hors des zones à électricité très carbonée,
- un assemblage dans des pays à mix électrique plus “propre”,
- et, bonus, une valeur locale (composants produits au Royaume‑Uni/UE).
Conséquence indirecte: de nombreux modèles fabriqués en Chine — où le charbon pèse encore sur l’électricité — risquent de ne pas se qualifier, et a minima d’être exclus du Band 1. Plusieurs marques chinoises ont d’ailleurs contre‑attaqué avec leurs propres remises commerciales (jusqu’à 3 750 £), quand BYD mise sur cinq ans d’entretien offert et une garantie batterie étendue.
Effets immédiats sur le marché britannique
- Remises privées en cascade: Kia, Hyundai, MG, GWM Ora, Leapmotor, Skywell, Volkswagen, Skoda, Cupra, Fiat, Volvo… multiplient les offres pour s’aligner ou s’anticiper au dispositif.
- Prix d’accès en baisse sur des modèles stratégiques: Puma Gen‑E sous 25 000 £ après prime, e‑Tourneo Courier autour de 28 440 £, Renault 5 et Citroën ë‑C3 autour de 21 500 £ remises incluses.
- Accélération des arbitrages produit: l’inclusion des critères d’empreinte favorise l’européanisation de composants clefs (e‑drives, packs batteries) pour viser le Band 1.
ℹ️ Effet collatéral: la “liste goutte‑à‑goutte” des modèles validés entretient une logique d’attente chez certains acheteurs. Le ministère promet un traitement “premier arrivé, premier servi” et des mises à jour régulières.
Que change l’ECG pour les constructeurs français ?
- Stellantis (Peugeot, DS, Citroën) et Renault obtiennent rapidement le Band 2 (1 500 £) sur des modèles cœur de marché. C’est un atout précieux sur un Royaume‑Uni très compétitif sous les 37 000 £.
- Le Band 1 devient un enjeu industriel: intégrer davantage de valeur européenne (packs batteries, e‑motopropulseurs, chimies hors Chine, énergie “verte” en usine) pour décrocher 3 750 £.
- Renault peut capitaliser sur la 5 E‑Tech et la Scenic, mais devra surveiller l’arrivée probable d’une Leaf Band 1, potentiellement redoutable en coût net d’achat.
- Citroën tire parti de sa gamme électrique d’accès (ë‑C3), renforcée par l’aide. DS bénéficie d’un coup de pouce prix utile pour démocratiser ses nouvelles générations électriques.
🎯 Message industriel: le Royaume‑Uni récompense la “décarbonation” de la supply chain. C’est un incitatif clair à localiser des composants stratégiques en Europe/UK.
L’Europe doit‑elle s’en inspirer ?
Déjà, la France a introduit un “score environnemental” pour son bonus, excluant plusieurs modèles produits en Chine. Mais à l’échelle européenne:
- Plusieurs pays ont réduit/éteint leurs primes (Allemagne), créant un trou d’air sur les ventes particulières.
- L’UE a activé des droits compensateurs provisoires sur certains VE chinois, jouant le bâton plutôt que la carotte.
- Les objectifs CO₂ 2025‑2030 se durcissent: sans relance de la demande privée, l’atteinte des cibles devient coûteuse pour les constructeurs.
Le schéma britannique apporte trois enseignements utiles:
- Cibler l’accessibilité prix sous un plafond strict, là où se joue le volume.
- Bonifier l’empreinte carbone de fabrication pour aligner l’aide publique avec les objectifs climatiques et la souveraineté industrielle.
- Synchroniser l’aide avec des objectifs réglementaires (quotas ZEV/CO₂), pour éviter la “marche” entre contraintes et désirabilité produit.
Comparatif éclair: Royaume‑Uni vs France
- Royaume‑Uni: 3 750 £ (Band 1) ou 1 500 £ (Band 2), plafond 37 000 £, critères de durabilité (batterie + assemblage + SBTi), application auto en concession.
- France: bonus écologique conditionné par un score environnemental, recentré sur les modèles à faible empreinte et les ménages modestes; dispositif de leasing social (suspendu puis révisé), mais budgets contraints.
Trois leviers pour une “réplique” européenne efficace
- Réactiver des aides ciblées et conditionnelles
- Bonus modulé par l’empreinte carbone (fabrication) et le prix, avec plafonds serrés et pérennité pluriannuelle.
- Soutenir l’occasion et abaisser le TCO
- Prime à l’achat/à la conversion sur le VE d’occasion, soutien aux batteries de seconde vie, baisse des coûts de financement et de l’assurance.
- Accélérer l’infrastructure et la fabrication
- Déploiement capillaire des bornes rapides, tarifs de recharge plus lisibles, et soutien à la production locale de batteries/e‑drives (contrats pour différence, énergie décarbonée garantie pour les gigafactories).
📊 Impact attendu: un mix “carotte (prime sélective) + bâton (cadre CO₂ et mesures commerciales) + offre (infrastructures/indus)” pour sécuriser volumes et marges, et contenir l’avantage coût des concurrents chinois.
✅ À retenir
- Londres remet une prime directe et inaugure un filtre par l’empreinte carbone de fabrication.
- Effet marché: regain d’intérêt des acheteurs, mais exécution perfectible à court terme.
- Pour les marques françaises, l’accès au Band 2 est acquis; le Band 1 devient un enjeu industriel.
- L’Europe a tout intérêt à coupler aides ciblées, critères de durabilité et accélération industrielle pour relancer la demande sans subventionner “à l’aveugle”.
En bref, le Royaume‑Uni envoie un signal clair: il est possible de raviver le marché particulier tout en orientant l’industrie vers une chaîne de valeur plus propre. À l’Europe de transformer l’essai avec une boîte à outils cohérente, lisible et durable.