Poids des électriques : pourquoi Volvo réinvente la sécurité à l’ère des batteries

En bref:

  • Les VE sont 20–30 % plus lourds, donc plus d’énergie à dissiper et un risque de mauvaise compatibilité en collision.
  • Volvo repense l’architecture: la batterie devient partie intégrante de la cage de sécurité (caisson central, chemins de charge, front réinventé) — démontré sur l’EX90.
  • Les protocoles de crash doivent évoluer (scénarios variés, compatibilité, intégrité batterie) pour que l’industrie conçoive des voitures « crash‑first » plutôt que plus lourdes.

L’électrique a réglé le problème des émissions au pot d’échappement, pas celui… des kilos. Au moment où les packs batteries gonflent l’autonomie, ils alourdissent aussi dangereusement les voitures. Chez Volvo, la patronne du centre de sécurité, Åsa Haglund, l’assume : il faut « repenser » la sécurité des VE en profondeur. Que signifie concrètement cette réinvention, pour Volvo et pour toute l’industrie, du crash-test à l’architecture des carrosseries ?

Le poids, un défi d’ingénierie… et de physique

Plus de masse, c’est plus d’énergie à dissiper en cas de choc (E = 1/2 m v²). Or, une voiture électrique équivalente pèse typiquement 20 à 30 % de plus qu’une thermique. Exemple parlant cité par Volvo: l’EX90 est environ 25 % plus lourd que le XC90 de taille proche. Les raisons sont connues:

  • batteries logées dans le plancher (densité énergétique encore limitée)
  • renforts structurels pour protéger la batterie
  • pneus et freins dimensionnés en conséquence

Ce surpoids a deux implications majeures:

  • compatibilité de choc: un véhicule lourd expose davantage un véhicule plus léger en face-à-face
  • gestion d’énergie: la structure doit proposer plus de « chemins de charge » pour absorber et détourner l’effort sans intrusion dans l’habitacle ni atteinte au pack batterie

Åsa Haglund: intégrer la batterie au cœur de la « cage de sécurité »

La ligne directrice de Volvo est claire: faire de la batterie un élément de la cage de sécurité, pas un point faible.

  • Batterie intégrée au caisson central: rigidité accrue, protection contre intrusion et débris
  • Avant repensé: l’absence de gros moteur n’offre plus le « bloc » qui absorbait naturellement l’effort. Il faut créer des longerons et boîtes de crash capables de s’activer selon des obstacles variés (véhicule, poteau, rebord…)
  • Multiplication des chemins de charge: la face avant ne vise plus seulement le test « barrière plate », mais des géométries réelles et complexes
  • Avantage annexe: plus de réservoir essence à l’arrière, donc moins de risques de fuite/embrasement post-choc

« Notre métier est de rendre chaque voiture sûre », résume Haglund. Sur un VE, c’est d’abord une affaire d’architecture.

Ce que Volvo a déjà changé (et montré)

Volvo a orchestré une démonstration publique inédite: une séquence de trois crashs avec des EX90 électriques. D’abord, un freinage automatique a évité un premier impact à 50 km/h. Puis une autre EX90 a violemment percuté latéralement le véhicule à l’arrêt, à 55 km/h, en plein centre d’habitacle. Les mesures sur mannequins concluent à l’absence de blessures graves probables, grâce:

  • à une cage de sécurité qui détourne et absorbe l’effort latéral
  • aux airbags latéraux et rideaux déclenchés instantanément
  • à la gestion d’énergie latérale renforcée, dimensionnée pour des masses élevées

Objectif affiché: dépasser les exigences réglementaires en s’alignant sur des accidents « du monde réel », pas uniquement sur les scénarios standardisés.

Crash-tests: pourquoi les protocoles doivent évoluer

Les organismes de notation ont, eux aussi, commencé à s’adapter à l’évolution du parc (SUV plus lourds, électriques).

  • IIHS (États-Unis): depuis 2021, le test de choc latéral a été durci avec une barrière mobile plus massive (~1 900 kg) lancée plus vite (60 km/h), pour mieux mimer l’impact d’un SUV moderne. Plusieurs modèles ont d’abord peiné avant de se hisser au niveau.
  • Euro NCAP (Europe): la barrière mobile déformable progressive (MPDB) introduite en 2020 évalue mieux la « compatibilité » entre véhicules, c’est-à-dire la manière dont la masse/rigidité de l’un affecte l’autre. Euro NCAP a aussi ajouté le « far-side » (protection côté opposé) et renforce progressivement les critères ADAS.

Prochaine étape logique? Intégrer davantage de scénarios multi-impacts, d’angles variés, et des évaluations spécifiques aux risques batterie (intégrité du pack, coupure HV, maîtrise thermique), déjà pris en compte par les constructeurs rigoureux, mais encore trop partiellement normés côté consommateur.

📌 À retenir

  • Le surpoids des VE change l’équation sécuritaire: plus d’énergie à dissiper, compatibilité de choc clé.
  • Les structures doivent multiplier les « chemins de charge » et protéger la batterie comme un organe critique.
  • Les protocoles de tests évoluent, mais l’écart se réduit lentement avec la complexité des accidents réels.

Les chantiers techniques ouverts par l’électrique

  • Structure et matériaux: généralisation d’aciers à très haute résistance et d’alliages d’aluminium, traverses « crash boxes » multi-étagées, traversées de plancher renforcées autour du pack.
  • Intégration batterie: caissons étanches et rigidifiés, fixations anti-arrachement, surveillance électronique (coupure HV automatique), séparation thermique des modules.
  • Face avant sans moteur: besoin de longerons et renforts calibrés pour déclencher l’absorption avec des obstacles variés (bordures, poteaux, chocs décalés).
  • Habitacle: airbags centraux et ceintures à prétensionneurs multi-étages pour contenir le déplacement des occupants dans les chocs latéraux et « far-side ».
  • Aides actives: capteurs (caméra, radar, LiDAR) pour éviter/atténuer le choc. La meilleure énergie à dissiper, c’est celle qu’on n’a pas accumulée.

💡 Conseil d’expert
Ne jugez pas la sécurité d’un VE à sa seule note « étoiles ». Surveillez les sous-notes de choc latéral durci, de compatibilité, la présence d’airbag central, et la robustesse de l’assistance active (AEB piétons/cyclistes, carrefours).

Le poids n’est pas qu’une histoire de batterie

Les VE ne sont pas seuls en cause: la montée en taille/hauteur des SUV, la quête d’équipements et de confort alourdissent tout le marché. Mais la batterie fixe une « assiette » de masse élevée, centrée dans le plancher, qui:

  • abaisse le centre de gravité (bon pour l’évitement)
  • rigidifie le plancher (bon pour l’intégrité)
  • exige une excellence en gestion d’énergie crash (sinon, risque d’intrusion/endomagement du pack)

À moyen terme, l’industrie mise sur des packs plus denses (cell-to-pack, chimies NMC/LMFP optimisées, puis semi‑solide/solide) pour réduire la masse à autonomie constante, et sur l’optimisation logicielle (ADAS) pour éviter les scénarios les plus sévères.

Ce que cela change pour toute l’industrie

  • Conception: les VE modernes doivent être dessinés « crash-first » autour de la batterie, avec des faces avant polyvalentes et des caissons centraux extrêmement rigides.
  • Essais: vers des matrices de tests enrichies (angles, multi-impacts, vitesses plus élevées) et des critères batterie explicites côté consommateurs.
  • Marché: la sécurité ne doit pas reposer sur la masse. La « compatibilité » entre véhicules de tailles différentes doit devenir un indicateur clé, au risque sinon d’une spirale du « toujours plus lourd ».

✅ Chiffres-clés

  • +20 à +30 %: surpoids typique d’un VE vs thermique équivalent
  • ~1 900 kg et 60 km/h: barrière et vitesse du nouveau choc latéral IIHS
  • 55 km/h: vitesse du choc latéral démonstrateur EX90 (séquence à trois véhicules)

En filigrane, l’électrique oblige à remettre les fondamentaux sur la table: répartir, guider et dissiper l’énergie d’un choc avec des structures « intelligentes », sans se contenter d’un bon bulletin aux tests historiques. Volvo en fait une doctrine; le reste du marché devra suivre, protocole après protocole.

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