Robo-taxis à Londres, 24 Heures du Mans en hybride: la double offensive chinoise en Europe

En bref:

  • Baidu s’allie à Uber/Lyft pour lancer des robotaxis Apollo Go à Londres dès 2026 (stratégie asset‑light) — enjeu majeur : périmètre d’utilisation, partage des données et acceptabilité sociale.
  • Chery/Exeed vise une montée en puissance au Mans avec une stratégie hybride PHEV sur cinq ans — défi clé : choix de catégorie (LMGT3 vs Hypercar), règlementation et transfert technologique; ces deux offensives incarnent la double approche chinoise « volume (service) + image (prestige) » en Europe.

La Chine avance ses pions sur deux fronts très visibles en Europe. D’un côté, Baidu s’allie à Uber et Lyft pour lancer des robotaxis au Royaume‑Uni — avec Londres en ligne de mire dès 2026. De l’autre, Chery vise Le Mans via sa marque Exeed, avec un programme de cinq ans qui pourrait faire entrer, pour la première fois, un constructeur chinois dans la course sarthoise. Deux trajectoires différentes mais complémentaires: la ville et le service, l’endurance et le prestige. En toile de fond, une Europe qui assouplit 2035 et un marché bousculé par la vague chinoise.

1) Volet “ville-service”: Baidu, Uber et Lyft visent Londres

L’annonce est tombée ce 22 décembre: Uber et Lyft vont tester des robotaxis au Royaume‑Uni en partenariat avec Baidu. Les véhicules Apollo Go RT6 sont attendus en pilote dès 2026, Londres faisant figure de première vitrine.

  • Ce que cela change

    • Baidu passe du “test en Chine” au “service en Europe”, via des plateformes qui disposent déjà d’une base clients massive.
    • Le Royaume‑Uni a ouvert la voie avec l’Automated Vehicles Act (2024), qui cadre l’arrivée de services sans conducteur à partir de 2026.
    • Stratégie “asset‑light”: Baidu ne monte pas un réseau ex nihilo, il “branche” ses robotaxis sur des acteurs établis (Uber, Lyft).
  • Où en est Baidu

    • Apollo Go revendique une flotte d’environ 1 000 robotaxis et une forte montée en charge domestique.
    • Le groupe multiplie les pilotes internationaux (Suisse fin 2025, Royaume‑Uni et Allemagne en 2026), et se positionne face à Waymo sur le terrain européen.
  • Pourquoi Londres est stratégique

    • Densité urbaine, forte demande de VTC, visibilité médiatique maximale.
    • Si les pilotes aboutissent, l’effet standard peut accélérer l’adoption dans d’autres capitales européennes.

📌 À surveiller

  • Le périmètre des ODD (conditions d’utilisation): tronçons, météo, horaires, vitesses.
  • Le partage de la donnée: sécurité, confidentialité, souveraineté.
  • L’acceptabilité sociale: perception de la sécurité, incidents, articulation avec taxis et VTC.

ℹ️ Bon à savoir

  • La Chine a validé en 2025 des déploiements de conduite autonome de niveau 3 chez plusieurs constructeurs (BAIC, Changan, Li Auto, Xpeng), avec transfert de responsabilité au constructeur dans certains scénarios. Ce matelas réglementaire domestique nourrit la crédibilité technologique à l’export.

2) Volet “prestige-performance”: Chery/Exeed prépare Le Mans

Le 15 décembre, Exeed (marque premium de Chery) a signé un accord stratégique avec l’ACO. “Road to Le Mans” prévoit, sur cinq ans, un parcours structuré: séries locales, Asian Le Mans Series, puis création d’une “Exeed Le Mans Team”. Un circuit certifié Le Mans doit par ailleurs voir le jour à Wuhu, siège de Chery.

  • L’objectif

    • Devenir le premier constructeur chinois officiellement engagé aux 24 Heures du Mans, symbole technologique et médiatique majeur en Europe.
  • La piste technique

    • Chery pousse fort sa techno hybride rechargeable C-DM, avec des configurations dépassant 600 ch cumulés dans la série (batterie ~34 kWh, 3 moteurs électriques possibles).
    • En endurance, l’hybride est pertinent (gestion thermique, rendement, récupération d’énergie). La question spécifique du “rechargeable” (PHEV) en course reste toutefois ouverte.
  • Le point réglementation (essentiel)

    • Aujourd’hui, la catégorie LMGT3 (la porte d’entrée la plus plausible) n’autorise pas l’hybridation. La classe Hypercar, elle, accepte l’hybride mais avec des coûts et des exigences d’un autre ordre. Si Exeed vise un engagement à moyen terme, le choix de la catégorie — et l’éventuelle évolution des règlements — seront décisifs.

💡 Conseil d’expert

  • Au‑delà du “PHEV au Mans”, l’enjeu réel est le transfert: fiabilité des systèmes, optimisation énergétique, logiciels de gestion. C’est exactement ce que l’endurance éprouve et que l’industrie réutilise.

3) Deux jambes, une même marche: volume & image

Ces deux offensives s’inscrivent dans une stratégie chinoise pragmatique face à l’Europe de 2026‑2030.

  • Le service pour le volume

    • Le robotaxi, c’est du kilomètre parcouru, de la donnée, des boucles d’apprentissage logicielles. En s’adossant à Uber/Lyft, Baidu réduit le coût commercial et le temps d’accès au marché.
  • La course pour la crédibilité

    • Le Mans offre une vitrine technologique européenne incomparable. Pour Chery/Exeed, c’est un accélérateur de perception qualitative et de légitimité technique.
  • Un contexte européen opportun

    • 2035 assoupli (objectif 90% de ventes zéro émission au lieu de 100%): fenêtre prolongée pour hybrides et solutions de transition.
    • Droits de douane sur les VE chinois: les marques ont réorienté une part des volumes vers les PHEV (non surtaxés) et accélèrent la localisation (BYD en Hongrie, Chery à Barcelone, Leapmotor avec Stellantis).
    • Discussions UE‑Chine sur un prix minimum à l’import des VE (30 000 € souhaités par Pékin vs ~40 000 € côté Bruxelles): si elles aboutissent, elles redessineront la concurrence sur l’entrée de gamme.

✅ À retenir

  • En novembre 2025, les marques chinoises ont doublé leurs ventes en Europe (78 000 unités, 7,4% de part de marché). BYD et MG mènent la charge; Chery explose; Leapmotor progresse sur les petites citadines.
  • Les constructeurs chinois ont massivement déplacé le mix vers l’hybride rechargeable en Europe, amortissant l’impact douanier tout en installant leurs réseaux.
  • La montée de la conduite autonome en Chine (permis L3) se convertit en atout compétitif pour la robotisation du service en Europe.

4) Forces et angles morts de la stratégie chinoise

  • Atouts

    • Échelle industrielle (batteries, intégration verticale), vélocité de mise au point (time‑to‑market souvent < 24 mois).
    • Capacité à “segmenter fin”: du PHEV compétitif à la berline tech, du service urbain à l’endurance.
    • Alliances locales intelligentes (Uber/Lyft, Magna Steyr pour l’assemblage CKD, réseaux de distribution européens via partenariats).
  • Fragilités/risques

    • Acceptabilité politique et sociale: sécurité, données, cybersécurité, souveraineté industrielle.
    • Volatilité réglementaire: tarifs douaniers, éventuel prix plancher, normes d’homologation AV.
    • Motorsport: coûts, incertitudes réglementaires (hybridation en GT3), ROI image vs résultats sportifs.
    • Consolidation domestique en Chine: fin progressive de certaines subventions, pression sur les marges, faillites possibles des “petits” acteurs.

5) Ce que cela implique pour l’Europe

  • Ne pas se tromper de bataille

    • La concurrence se joue autant dans le logiciel (robotaxi, ADAS, gestion d’énergie) que dans la tôle. Les retards logiciels sont les plus coûteux à rattraper.
  • Accélérer l’ancrage local

    • Usines (BYD, projets Chery, relais Stellantis‑Leapmotor), batteries, mais aussi data centers, maintenance et formation. Sans empreinte locale, le débat sur l’acceptabilité restera défavorable.
  • Clarifier le cap réglementaire

    • AV: cadres d’essais et déploiements lisibles, interopérables, avec exigence forte de transparence.
    • Compétition: si l’Europe veut attirer de nouveaux entrants (dont chinois) au Mans sans trahir l’ADN de l’épreuve, il faudra anticiper les règles d’hybridation des GT et l’équilibre des performances.
    • Commerce: si un prix plancher remplace certaines surtaxes, il devra protéger l’entrée de gamme tout en évitant de faire grimper artificiellement les prix pour les consommateurs.

📊 Feuille de route probable (2026‑2030)

  • 2026: Pilotes robotaxi Baidu à Londres et au Royaume‑Uni; montée en cadence des PHEV chinois en Europe; premières productions locales supplémentaires (Hongrie, Espagne).
  • 2027‑2028: Extension des zones d’opération AV; consolidation de parts de marché PHEV/BEV; clarification des dispositifs tarifaires ou de prix plancher.
  • 2029‑2030: Arrivée potentielle d’Exeed au Mans (selon catégorie et règlements); arbitrage européen final sur l’hybridation vs 100% électrique à l’horizon 2035.

En filigrane, la même équation: des services autonomes qui industrialisent le logiciel, et une vitrine sportive qui crédibilise l’ingénierie. C’est ainsi que la Chine plante ses deux drapeaux en Europe — sur le bitume des villes comme sur celui de la Sarthe.

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