En bref:
- Chery (marque Exeed) vise une entrée aux 24 Heures du Mans d’ici 2029 via un programme « Road to Le Mans » pour utiliser l’endurance comme vitrine technologique et accélérateur de crédibilité en Europe, en parallèle d’une usine en Espagne.
- Le pari: capitaliser sur ses PHEV (hybrides rechargeables) — non directement utilisables en course mais dont les briques (gestion énergie, contrôle multi‑moteurs, thermique) sont transférables — avec des risques techniques et industriels importants à maîtriser (catégorie de départ, fiabilité, partenaires, industrialisation).
L’annonce est symbolique et hautement stratégique: via sa marque premium Exeed, Chery vise une entrée officielle aux 24 Heures du Mans d’ici cinq ans. Au-delà de l’exploit sportif, le message est clair: utiliser l’endurance comme laboratoire technologique et, surtout, comme accélérateur de crédibilité pour conquérir l’Europe, en misant sur l’hybride rechargeable plutôt que le 100% électrique.
Reste une question clé: l’hybride “plug-in” est-il le bon cheval de Troie au moment où la transition européenne cherche un nouvel équilibre entre électriques, hybrides et contraintes industrielles?
Ce que Chery a annoncé, concrètement
- Un accord de coopération stratégique signé le 15 décembre 2025 avec l’Automobile Club de l’Ouest (ACO), organisateur des 24 Heures du Mans.
- Un programme “Road to Le Mans” sur 5 ans avec trois étapes:
- Exeed Unified Race (championnats locaux d’endurance, formation des équipes et pilotes),
- Engagement en Asian Le Mans Series (tremplin reconnu),
- Création d’une Exeed Le Mans Team pour viser la Sarthe vers 2029.
- Construction d’un circuit homologué “Le Mans” à Wuhu (siège de Chery), destiné à la compétition et aux développements techniques.
📌 À retenir
- Chery deviendrait le premier constructeur chinois officiellement au départ des 24 Heures du Mans.
- L’ALMS, notamment en LMGT3, servira de marchepied avant un programme manceau d’envergure.
Le Mans, un banc d’essai idéal… mais pas pour un PHEV de série
L’endurance a consacré l’hybride depuis plus d’une décennie. En 2025, les Hypercars (LMH/LMDh) sont encadrées par une Balance of Performance (BoP), un poids minimal commun (1030 kg) et une puissance de référence plafonnée autour de 500 kW. Les systèmes hybrides y sont autorisés et très finement pilotés.
- Hypercar (LMH/LMDh): hybride de compétition (MGU-K, déploiement limité et régulé), sans recharge externe.
- LMGT3: voitures de Grand Tourisme dérivées de série, sans hybridation en WEC/Le Mans.
Important: un PHEV “route” — tel que le système C-DM vu chez Exeed — ne s’applique pas tel quel en course. À la Sarthe, il n’y a pas de recharge sur secteur; l’électrique provient de la récupération (freinage) et de la gestion énergétique. L’intérêt du “plug-in” n’est pas direct en piste, mais les briques techniques (gestion thermique/énergie, contrôle moteur-électrique, stratégie de boîte DHT, synchronisation multi-moteurs) sont parfaitement transférables.
Pourquoi l’hybride (rechargeable) comme vitrine en 2025
Dans l’Europe de 2025, la trajectoire 100% électrique est intacte à long terme, mais l’atterrissage industriel se complexifie: coûts des batteries, tension commerciale sur les BEV importés, réseaux de charge inégaux selon les pays, et consommateurs plus sensibles aux compromis de coût d’usage. L’hybride rechargeable retrouve une pertinence pragmatique, surtout quand:
- Il offre une autonomie électrique réelle au quotidien,
- Il limite l’angoisse d’autonomie (long trajets),
- Il maintient des coûts de fabrication souvent plus maîtrisés que les BEV longue autonomie.
De ce point de vue, positionner l’hybride au Mans, c’est envoyer trois signaux au public européen:
- Maîtrise technique (fiabilité/gestion énergétique en 24h),
- Cohérence produit-image (continuité avec les PHEV de série),
- Sérieux industriel (capacité d’industrialiser et d’entretenir une équipe d’endurance).
Le défi technique: où Chery part de loin, et où il peut surprendre
Côté thermique, Chery n’affiche pas encore un arsenal “course” rassurant: son 2.0 turbo de 257 ch est modeste au regard des exigences d’un prototype moderne. En revanche, sa chaîne PHEV C-DM sur route affiche des cumuls puissants (jusqu’à ~610 ch annoncés sur un Exeed VX à trois moteurs électriques). Ce n’est pas transposable tel quel, mais cela suggère:
- Un savoir-faire croissant en contrôle/gestion multi-moteurs,
- Une expérience sur des boîtes DHT multi-rapports adaptées aux transitions couple/puissance,
- Un travail déjà engagé avec des fournisseurs-batteries de premier plan.
🔎 Le cadre technique au Mans (raccourci)
- Catégorie Hypercar: 1030 kg mini, ~500 kW de puissance totale (BoP), hybride autorisé mais strictement encadré.
- Catégorie LMGT3: pas d’hybride, production de série significative exigée pour l’homologation du modèle de route.
- Pneumatiques uniques (Michelin) et maîtrise des coûts, pour contenir la complexité.
Marketing et industriel: le “plan Europe” derrière Le Mans
L’offensive sportive s’inscrit dans un mouvement plus large: Chery installe une base industrielle en Espagne (Barcelone, ex-sites Nissan), avec un investissement annoncé de l’ordre de 400 M€ et une montée en cadence visée à 150 000 véhicules/an à l’horizon 2029. Deux angles clés:
- Réduire l’exposition aux mesures commerciales sur les véhicules électriques importés,
- Gagner en crédibilité locale (emplois, service, délais, conformité).
Dans ce contexte, l’endurance fait office de mégaphone. Aux côtés de Toyota, Porsche, Ferrari, BMW et autres, se mesurer sur la plus exigeante des épreuves européennes crédibilise une marque encore naissante en Europe. C’est exactement le pari mené par des acteurs historiques pour arrimer image sportive et transfert technologique.
💡 Conseil d’expert
Si Chery choisit d’attaquer d’abord en LMGT3 (plus accessible), l’enjeu sera de concevoir un GT3 convaincant, avec un modèle routier produit en volume et une chaîne technique/équipes au niveau. L’Hypercar hybride, plus visible, impose une marche technologique autrement plus haute: architecture hybride de course, endurance des packs, calibration du déploiement, corrélation piste-banc.
Que peut réellement transférer un PHEV de série vers l’endurance ?
- Gestion thermique intégrée (moteur thermique, e-moteurs, onduleurs, batterie): clé sur 24 heures, par tous les temps.
- Intelligence énergétique: stratégies prédictives (trafic, météo, safety cars) pour optimiser récupération/déploiement.
- Logiciels et contrôle-commande: synchronisation fine thermique/électrique, réponses transitoires, anti-patinage, vectorisation.
- Fiabilité des sous-systèmes de puissance: refroidissement cellulaire, endurance des convertisseurs.
À l’inverse, ce qui ne se transpose pas:
- La “recharge” plug-in elle-même (pas utilisée en course),
- Les grosses batteries route (capacité/masse incompatibles; en Hypercar, l’énergie embarquée est limitée et très encadrée).
Leçons des autres “offensives chinoises” en sport auto
Geely/Lynk & Co a construit sa crédibilité en TCR (titres mondiaux), avec une approche progressive, très processée, et des moyens. La méthode compte autant que l’ambition. Pour Chery, la feuille de route en trois temps et la création d’un écosystème (piste à Wuhu) vont dans le bon sens. Mais la barre du Mans reste haute: corréler R&D, fiabilité, exploitation en course, et pilotage BoP est un art que même des géants mettent des années à maîtriser.
Les points d’attention à surveiller d’ici 2029
- Choix de la catégorie de départ (LMGT3 d’abord, Hypercar ensuite?) et calendrier précis d’homologation.
- Partenaires techniques (châssis, moteurs, hybridation de course, logiciels) et structure d’exploitation.
- Corrélation usine-piste: bancs d’endurance, validation long-run, qualité fournisseurs.
- Articulation avec l’industrialisation européenne (Espagne): image, SAV, délais, homologations, réseau.
- Positionnement produit en Europe: offre PHEV crédible (autonomie électrique réelle, efficience batterie vide), coûts contenus et fiabilité.
📢 À garder en tête
- Le Mans est un accélérateur d’image… mais aussi un révélateur impitoyable. Une voiture rapide qui casse perd. Une voiture fiable mais mal optimisée s’efface. Chery devra réussir les deux.
En filigrane, l’option “hybride rechargeable” comme porte d’entrée en Europe est cohérente avec l’époque: prudente face aux coûts et aux tensions commerciales sur le tout-électrique, et compatible avec une montée en gamme progressive. Reste à prouver sur la piste — et en concessions — que la promesse tient sur 24 heures… et sur plusieurs années.
