2035 sous tension: Stellantis temporise, les équipementiers alertent — l’auto européenne prise en étau

En bref:

  • Antonio Filosa (Stellantis) juge l’interdiction des ventes thermiques en 2035 « pas réaliste » sans flexibilités (incentives au renouvellement, supercrédits, meilleure valorisation des hybrides, report pour VUL), invoquant marché en contraction, parc vieillissant et difficultés des utilitaires.
  • Les équipementiers alertent sur la perte industrielle et les suppressions d’emplois; risque de gel des investissements et de dépendance aux importations si l’UE n’accorde que des assouplissements conditionnés à des contreparties industrielles (BEV abordables produits en Europe, soutien batteries/recharge).

La fracture s’agrandit au sommet de l’automobile européenne. Tandis que le nouveau patron de Stellantis, Antonio Filosa, juge « pas réaliste » l’interdiction des ventes thermiques en 2035 sans « flexibilités », la base industrielle – les équipementiers français via la FIEV – tire la sonnette d’alarme et évoque une filière « quasiment perdue ». Entre calendrier climatique et choc de compétitivité, la transition électrique risque le faux-plat.

Au-delà des postures, une question centrale: comment tenir l’ambition de décarbonation sans casser l’outil industriel ni perdre la bataille du véhicule abordable face à la Chine ? Décryptage, chiffres à l’appui.

Ce que Stellantis demande (et pourquoi)

Dans des entretiens accordés début septembre, Antonio Filosa remet en cause la trajectoire telle que définie:

  • « -55% d’émissions en 2030 » et « 100% zéro émission en 2035 » jugés « irréalistes » sans assouplissements.
  • Priorité à des « leviers de flexibilité »: meilleures incitations au renouvellement du parc (prime à la casse/reconversion), supercrédits pour petites électriques, « meilleure valorisation » des hybrides, et assouplissement de 3 à 5 ans de la trajectoire CO2 des utilitaires légers.

Arguments clés avancés:

  • Marché européen contracté d’environ 18 à <15 millions de VP entre 2019 et 2025: des volumes insuffisants pour amortir la bascule vers l’électrique.
  • Parc vieillissant (âge moyen >12 ans; >250 millions de véhicules anciens en circulation): agir sur le renouvellement rapide aurait plus d’impact climat que de se focaliser uniquement sur les immatriculations neuves 100% BEV.
  • Segment VUL en difficulté, demande pro insuffisante, coûts élevés: risque direct pour des sites comme Hordain (Nord).

📌 Filosa s’aligne avec plusieurs grands acteurs: Ola Källenius (Mercedes/ACEA) juge 2035 « inatteignable », BMW propose de glisser à 2050. Bruxelles ouvre un « dialogue stratégique » avec l’industrie cette semaine, avant la clause de revoyure de 2026.


✅ À retenir

  • Stellantis ne conteste pas l’électrification, mais son rythme et sa rigidité.
  • Les « flexibilités » visent à éviter des pénalités CO2 massives, préserver l’emploi et redonner de la demande.
  • Le point dur immédiat: les utilitaires électriques, loin des volumes requis.

La riposte des équipementiers: « filière quasi perdue »

Côté équipementiers français (FIEV), l’alerte est maximale. Jean‑Louis Pech déplore une perte de vitesse structurelle:

  • Production nationale passée de ~4 millions à <1,5 million de véhicules/an.
  • 10 000 emplois en danger sous deux ans chez les fournisseurs; l’emploi global auto s’est déjà contracté (−38 600 entre 2019 et 2024).
  • Déficit commercial auto cumulé 2019‑2025: ~120 milliards d’euros.
  • Compétitivité dégradée (coûts salariaux/énergie, impôts de production), « le pouvoir n’est plus en France » pour une partie des décisions stratégiques.

Le message est clair: il faut des décisions rapides sur énergie, fiscalité de production, simplification réglementaire, et une véritable stratégie industrielle européenne allant « de la mine au véhicule » à l’image de la Chine.


📊 Chiffres clés de la transition (Europe, 1er semestre 2025)

  • Part des VUL électriques: ~8,2% (objectif implicite ~17% pour éviter des pénalités).
  • Part des voitures 100% électriques: ~15,6% (vs ~25% attendu pour rester dans les clous).
  • Âge moyen du parc: >12 ans.
    Source: échanges sectoriels et positions ACEA/Clepa.

Une ligne de fracture qui menace l’ensemble de la trajectoire

La « flexibilité » est un mot-valise. Elle peut:

  • Aider à passer un cap (lissage du calcul CO2, supercrédits temporaires, incitation au parc récent).
  • Ou, mal calibrée, diluer les incitations à investir dans le 100% électrique européen, alors que la concurrence chinoise monte en gamme et en volume.

Trois risques majeurs si l’incertitude perdure:

  • Geler les investissements industriels (batteries, plateformes, logiciels) faute de visibilité réglementaire.
  • Aggraver la dépendance aux importations sur l’électrique abordable, en particulier sur la batterie et l’électronique de puissance.
  • Éroder davantage la base d’équipementiers européens, déjà fragilisée, au profit d’écosystèmes hors UE.

💬 Citation
« Il faut passer du dialogue stratégique à l’action stratégique. Et vite. »
Antonio Filosa (Stellantis)


2035: que peut décider l’Europe? Quatre scénarios plausibles

  1. Maintien de 2035, avec assouplissements ciblés
  • Lissage renforcé du calcul des émissions (au-delà de 2027), supercrédits BEV petites voitures, mécanismes spécifiques VUL.
  • Ambition intacte, donne de l’air aux industriels
    − Complexité accrue, risque de « gestion de conformité » plutôt que d’investissement productif
  1. Maintien de 2035, mais « neutralité technologique » dans la conformité
  • Prise en compte conditionnelle des PHEV (usage réel), prolongateurs d’autonomie, carburants décarbonés, hydrogène, décarbonation côté chaîne de valeur (acier vert, usines bas carbone) convertie en « tonnes de CO2 évitées ».
  • Réintègre des solutions transitoires, soutient l’emploi
    − Débat méthodologique sensible; risque de relâchement sur le BEV si les métriques sont laxistes
  1. Report de l’échéance (2038–2040, voire 2050)
  • Calme les OEM les plus exposés, aligne le calendrier avec une montée en charge industrielle et réseau de recharge.
  • Prévisibilité industrielle, amortissement des CAPEX
    − Signal politique négatif, risque de décrochage technologique face à la Chine et aux États‑Unis sur le BEV
  1. Trajectoire différenciée par segments
  • Assouplissement dédié aux VUL et usages intensifs, maintien strict pour VP.
  • Cible le point dur (VUL), limite l’aléa pour le VP
    − Fragmentation des règles, complexité pour les groupes multimarques

🧭 Repères calendrier

  • 12 septembre 2025: « Dialogue stratégique » Commission UE–industrie (en marge de l’IAA Munich)
  • 2026: clause de revoyure des normes CO2
  • 2030: jalon –55% d’émissions pour VP/VUL
  • 2035: fin des ventes neuves thermiques (règlement actuel)

Ce qu’il faudrait activer maintenant pour éviter l’impasse

  • Parc et pouvoir d’achat
    • Prime à la casse/reconversion ciblée bas revenus et pros, fléchée vers BEV compacts/VUL électrifiés.
    • Leasing social sanctuarisé et élargi aux véhicules d’occasion récents électriques.
  • Offre industrielle européenne
    • Accélérer les plateformes BEV « low-cost » européennes (<20 000–25 000 € TTC), standardiser, mutualiser.
    • Exigence de contenu européen sur batteries/composants critiques, avec contrats d’énergie longue durée et tarifs compétitifs pour les usines.
    • Accélérer permis et financement des gigafactories, recyclage et raffinage (nickel/lithium) en Europe.
  • Règles du jeu CO2
    • Lissage pluriannuel, supercrédits temporaires et dégressifs pour petites BEV, métriques robustes d’usage réel des PHEV.
    • Piloter par « tonnes de CO2 évitées » sur toute la chaîne de valeur, sans greenwashing.
  • Infrastructures et usages pros
  • Commerce et concurrence
    • Filets anti‑dumping ciblés et proportionnés; clauses de réciprocité d’accès aux marchés publics.
    • Standardisation et cybersécurité: jouer l’atout « norme européenne » pour créer une barrière de qualité.

💡 Conseil d’expert

  • Conditionner toute « flexibilité » à des contreparties: volumes de BEV abordables produits en Europe, investissements industriels vérifiables, et trajectoires d’émissions compatibles avec 2030. La flexibilité ne doit pas devenir une rente de conformité.

🎯 Point de vigilance

  • Reporter sans stratégie alternative claire expose à perdre sur les deux fronts: l’empreinte carbone et la souveraineté industrielle. L’Europe doit sécuriser rapidement un « atterrissage » lisible pour 2030–2035, sinon le brouillard réglementaire gèlera les décisions d’investissement les plus critiques.

En quelques jours, l’UE va poser les bases de sa clause de revoyure. Si l’objectif final ne doit pas vaciller, c’est la qualité du chemin qui fera la différence: calibrer des assouplissements utiles, exiger des contreparties industrielles et rendre l’électrique vraiment accessible. Sans cela, la tenaille se resserrera entre un sommet qui rétro-pédale et une base industrielle qui s’effrite.

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