En bref:
- La demande BEV progresse en Europe (volumes et parts en hausse) mais de façon inégale et en‑dessous des prévisions : pas d’effondrement généralisé, juste une croissance contrariée.
- Le cas Ford à Cologne reflète surtout des faiblesses de "legacy" (coûts, positionnement produit, exécution), pas une panne de la demande européenne.
- La France décroche (–6,4% H1 BEV) en raison d’aides instables, prix d’accès élevés et d’une demande tirée par les flottes; des aides stables et des VE abordables peuvent inverser la tendance.
Face à l’annonce de Ford de supprimer jusqu’à 1 000 postes supplémentaires à Cologne en invoquant une « demande insuffisante » de voitures électriques, et au moment où le marché français décroche quand l’Europe accélère, une question s’impose : assiste-t-on à une crise de la demande en Europe, ou à des fragilités spécifiques, chez certains constructeurs historiques et sur le marché français ?
Les données du premier semestre 2025 dessinent un tableau moins caricatural qu’il n’y paraît. La demande européenne progresse, mais elle est inégale, inférieure aux prévisions de l’industrie, et met à nu les contradictions d’un continent qui exige d’aller vite, tout en changeant trop souvent les règles du jeu.
Ce que disent les chiffres (et ce qu’ils ne disent pas)
- Europe élargie (UE + UK, Norvège, Suisse, Islande) H1 2025: 1,19 million de BEV, +24,9% vs H1 2024, soit 17,5% de parts de marché (ACEA).
- Union européenne seule H1 2025: 869 000 BEV, 15,6% de parts de marché (ACEA).
- Juillet 2025: 186 440 BEV immatriculés en Europe élargie, +33,6% vs juillet 2024. Allemagne +58%, Espagne +127%, France +14,8% (ACEA).
- France H1 2025: 148 332 BEV, –6,4% vs H1 2024; part de marché BEV 17,6% (ACEA). La hausse de juillet est surtout tirée par les entreprises (+70%), les particuliers reculant (~–15%).
📌 À retenir
- Il n’y a pas d’effondrement européen des VE. Les volumes et la part de marché progressent, mais plus lentement que prévu par l’industrie.
- La France fait figure d’exception négative en 2025, alors même qu’elle reste le 3e marché BEV du continent.
Ford à Cologne : symptôme d’une crise, ou cas d’école d’un malaise « legacy » ?
Ford va réduire à une équipe à partir de janvier 2026 et supprimer jusqu’à 1 000 postes sur son site VE de Cologne (Explorer et Capri, base technique MEB), s’ajoutant aux plusieurs milliers de coupes déjà annoncées en Allemagne (Saarlouis a cessé son activité). Motif avancé par le constructeur américain: la demande de VE en Europe est « bien en deçà des prévisions ».
Analyse critique:
- Demande sous les attentes, pas en chute libre: l’argument de Ford est factuel… si l’on parle de prévisions. En agrégé, le marché progresse. Mais pas assez pour remplir certaines usines au rythme planifié.
- Mix-produit et positionnement: face à Tesla, à l’offensive chinoise et à des modèles européens plus récents, les Explorer/Capri peinent à imposer une proposition de valeur prix/technos/efficience réellement différenciante.
- Coûts et héritage industriel: produire des VE compétitives sur des sites à coûts élevés exige du volume et des plateformes optimisées. Les « legacy » subissent la double peine: marges comprimées et ramp-up trop lent.
- Dépendances externes: le choix d’une base MEB (VW) a accéléré la mise sur le marché, mais ajoute des contraintes techniques et économiques.
Dit autrement, Cologne raconte moins une « panne » de la VE en Europe qu’une difficulté d’exécution et de compétitivité chez un constructeur historique dans un contexte de concurrence dure et de prix volatils.
Pourquoi la France décroche quand l’Europe accélère
La contre-performance française en 2025 n’est pas une fatalité technologique, mais la combinaison de facteurs économiques, politiques et psychologiques.
- Instabilité des aides: coups de rabot, pauses, révisions, retour partiel des dispositifs… Ces zigzags entretiennent l’attentisme des ménages. Les pics liés au leasing social 2024 l’ont montré; la nouvelle vague attendue fin septembre 2025 pourrait relancer ponctuellement, sans régler le fond.
- Prix d’accès encore trop élevés: les citadines à 25–30 000 € et les familiales à 35–40 000 € restent hors de portée d’une large partie des ménages, malgré une baisse tendancielle des coûts batteries.
- Bascule entreprises > particuliers: les flottes, contraintes par la fiscalité et le TCO, tirent la demande. Les particuliers, eux, temporisent.
- Freins d’usage et perceptions: obsession de l’autonomie, crainte de la recharge lors des grands trajets, désinformation sur l’empreinte carbone et la durabilité des batteries, malgré l’essor et la fiabilisation du réseau.
- Hybrides dynamiques: les HEV/HYBRID et PHEV gagnent du terrain en 2025, offrant une « solution de compromis » qui détourne temporairement une partie de la demande.
📊 Chiffres France à mi-année
- 148 332 BEV (–6,4% vs H1 2024)
- Part de marché BEV: 17,6%
- Juillet: +14,8% vs juillet 2024, porté par les entreprises; particuliers en retrait
L’Europe face à ses contradictions
- Objectifs CO₂ vs réalité de marché: pour respecter les cibles 2025–2030, les constructeurs doivent élever fortement le mix bas-carbone. Plusieurs analystes estiment qu’un mix BEV autour de 20% en 2025 facilite la conformité moyenne… L’UE est encore en dessous, créant une pression accrue sur le S2 2025 et 2026.
- Fiscaux nationaux décisifs: là où l’écart de coût total de possession entre thermique et électrique est massif (Danemark, Belgique, pays nordiques), la part BEV explose. Là où l’écart est modeste (France, Italie, Espagne), l’adoption piétine.
- Aides volatiles, messages brouillés: l’UE maintient 2035, mais la valse des primes nationales (Allemagne, Suède…) a provoqué des à-coups. Le consommateur lit l’incertitude… et attend.
- Industrie sous tension: plans d’économies et réductions d’effectifs (Ford, VW, Audi, Porsche, équipementiers) coexistent avec des besoins d’investissement massifs dans plateformes, logiciels, batteries. La compression des marges accentue la prudence commerciale.
- Montée des PHEV: utile pour le CO₂ à court terme, mais pas substitut durable aux BEV, surtout si l’usage électrique réel est faible.
💡 Astuce marché
Pour lisser les à-coups, les pays les plus performants couplent des aides d’achat stables, une fiscalité de détention différenciée, et un cadre clair pour les flottes (qui irriguent ensuite le marché de l’occasion).
Ce qui peut véritablement changer la donne d’ici 2026
- Stabilité pluriannuelle des dispositifs: des règles lisibles au moins sur 24–36 mois pour redonner confiance aux ménages.
- Électrique abordable, de série: generaliser des modèles européens sous 25 000 € bien équipés, efficients, et frugaux en batterie, plutôt que la « course aux kWh ».
- Financement et occasion: booster le leasing social dans la durée, démocratiser la LOA d’occasion avec garanties batterie standardisées et des taux attractifs.
- TCO transparent: factures énergétiques lisibles, tarifs de recharge maîtrisés et interopérables; fiabilité des bornes mieux mesurée et publiée.
- Flottes publiques et privées: accélérer la bascule, car elles alimentent le parc d’occasion abordable 18–36 mois plus tard.
- Compétitivité industrielle: plateformes dédiées petites/moyennes VE, simplification des gammes, accords batteries européens, et baisse des coûts fixes dans les usines historiques.
🔎 À surveiller (S2 2025 – 2026)
- Effet réel de la nouvelle vague de leasing social en France (volumes, mix modèles).
- Intensité des remises et immatriculations tactiques fin d’année.
- Part BEV européenne vs « seuils implicites » de conformité CO₂ 2025–2026.
- Capacité des « legacy » à sortir des VE à 25–30 k€ profitables.
En bref, l’Europe n’est pas en crise de demande électrique généralisée, mais en rattrapage contrarié: la croissance est là, inégale et inférieure aux plans initiaux. Le cas Ford illustre surtout la difficulté des constructeurs historiques à atteindre rapidement la compétitivité-coût et le bon produit-marché. La France, elle, paie l’instabilité de ses signaux et la frilosité des particuliers. Les prochains mois diront si la nouvelle salve d’aides, des offres mieux positionnées et des coûts en baisse suffisent à refermer l’écart avec ses voisins.