En bref:
- La guerre des prix en Chine élimine la majorité des acteurs et forme une poignée de champions (Xiaomi, Leapmotor, Xpeng, BYD…) qui optimisent coûts, logiciel et chaînes — puis exportent et produisent localement pour contourner barrières, menaçant les segments B/C européens.
- L’Europe doit accélérer le "design‑to‑cost", sécuriser l’accès aux cellules et l’énergie, industrialiser les architectures logicielles/OTA et renforcer mesures industrielles et de financement pour préserver compétitivité et TCO.
Dans la tempête chinoise des véhicules électriques, beaucoup voient un chaos destructeur. C’est une erreur de lecture. La consolidation forcée qui s’opère, dopée par une guerre des prix d’une rare violence, est en train de forger une poignée d’acteurs ultra-compétitifs. Une fois l’orage passé, ces survivants – Xiaomi, Leapmotor, mais aussi Xpeng, Seres/Huawei, sans oublier BYD – auront affûté leurs coûts, leur logiciel et leurs chaînes d’approvisionnement. Et c’est en Europe que cette nouvelle génération pourrait porter l’estocade.
Le PDG de Mercedes, Ola Källenius, prévient: « dix des 130 marques chinoises survivront »… et « deviendront des champions de la productivité ». En clair, le pire pour l’industrie européenne n’est peut‑être pas la vague actuelle, mais celle d’après : des concurrents aguerris, capitalisés, et prêts à produire localement pour contourner les barrières.
À retenir
- ⚔️ La guerre des prix en Chine élimine les faibles et muscle les meilleurs: baisse de coûts, discipline d’exécution, logiciel en avance.
- 🧭 Les survivants pivotent vers l’export, investissent et produisent localement (Europe, ASEAN) pour déjouer les droits de douane.
- 🚨 Le risque pour l’Europe est systémique: pression durable sur les prix et les marges, surtout sur les segments B/C électriques.
Une consolidation qui renforce la Chine, pas l’inverse
- Surcapacité, stocks et marges laminées: Pékin a appelé à mettre fin aux baisses « irrationnelles » et durcit les règles (notamment sécurité batteries), accélérant la sélection naturelle.
- Le constat de Källenius (Handelsblatt): seules « environ dix » marques sur 130 passeront le cap. Celles-là dominent déjà l’optimisation des coûts, l’intégration verticale et le time‑to‑market.
- En parallèle, les groupes chinois déplacent le centre de gravité hors du pays: selon Rhodium Group, pour la première fois en 2024, les investissements à l’étranger (≈16 Md$) ont dépassé l’investissement domestique (≈15 Md$), surtout dans les batteries et les sites d’assemblage.
📌 Chiffres clés 1er semestre 2025 (sources sectorielles, Breakingviews)
- Leapmotor: premier bénéfice semestriel (≈30 M RMB), part de marché VE en Chine ≈3,7% (x2 vs 2022).
- Xiaomi Auto: près de 160 000 ventes H1; perte opérationnelle ramenée à ≈300 M RMB au T2; bascule dans le vert possible fin 2025.
- Xpeng: perte nette divisée par deux (≈1,1 Md RMB); R&D ≈12% du CA (contre ≈6–7% pour des géants plus établis).
- BYD: toujours n°1 en Chine, mais part de marché VE retombée sous 30% récemment (≈33,8% un an plus tôt).
Xiaomi, Leapmotor, Xpeng: ce qu’ils font mieux aujourd’hui
- Logiciel et électronique grand public:
- Xiaomi capitalise son écosystème (OS, services, IA, UX) et une base clients massive; la voiture devient un « device » OTA, fidélisé et monétisé.
- Xpeng pousse l’ADAS propriétaire et vend sa techno à d’autres (licence à Volkswagen).
- Leapmotor développe en interne et « productise » sa tech pour Stellantis (plateformes, E/E, logiciel).
- Intensité R&D et cadence produit: +8 à 12% du CA en R&D pour certains « mid‑caps » chinois; cycles de mise à jour rapprochés; conception « design-to-cost » (cell-to-pack, LFP/LMFP, giga‑casting, E/E simplifiée).
- Go‑to‑market hybride: retail technologique (Huawei), réseaux partenaires (Stellantis pour Leapmotor), vente directe digitalisée et coûts marketing optimisés.
- Monétisation au-delà du prix d’achat: packs logiciels, services connectés, écosystèmes d’apps. Résultat: pas besoin d’écraser éternellement les prix pour attirer.
Après la guerre, l’export: la nouvelle doctrine
- Diversification géographique agressive: l’ASEAN est déjà une tête de pont (ventes VE +79% H1 2025; plus de 57% du marché régional pour les marques chinoises) avec remises ciblées et usines locales (Thaïlande, Indonésie).
- Europe: montée en puissance des sites et des accords industriels (usine BYD en Hongrie; Chery en Espagne; distribution/production Leapmotor avec Stellantis en Europe). Objectif: neutraliser les droits anti‑subventions en produisant sur place et sécuriser les délais/logistique.
- Financement et résiduel: offres de leasing agressives, garanties batterie, OTA valorisées – autant d’armes pour abaisser le TCO et « casser » la barrière psychologique du prix.
💡 Bon à savoir
Selon des analystes, les marques chinoises règlent leur stratégie de prix à la granularité hebdomadaire, par ville et par canal, en s’appuyant sur des data de vente et d’usage. Cette « micro‑tarification » est encore rare en Europe.
Pourquoi l’Europe est plus exposée qu’elle ne le croit
- Coûts fixes hérités du thermique, plateformes multi‑énergies et E/E fragmentées pèsent sur le coût complet des BEV européens.
- Accès aux cellules et à l’énergie: électricité industrielle encore chère dans plusieurs pays; dépendance extérieure sur LFP/LMFP; plusieurs gigafactories retardées.
- Logiciel et OTA: le différentiel d’intégration logiciel et d’architecture électronique reste un angle mort pour une partie des généralistes.
- Segments les plus vulnérables: B/C à 25–35 000 € (après aides), là où la valeur perçue/logiciel peut faire basculer l’achat. Les droits additionnels en Europe amortissent le choc prix, mais pas l’écart de cadence produit-coût-logiciel à moyen terme.
Ce que l’Europe peut faire maintenant (mesures concrètes)
- Industrialiser le « design-to-cost » des BEV:
- Généraliser LFP/LMFP sur l’entrée/milieu de gamme; passer au cell-to-pack; standardiser l’E/E et les contrôleurs; simplifier carrosserie et options.
- Contracter des volumes fermes de cellules pour sécuriser les prix; accords long terme sur matériaux.
- Faire baisser le TCO côté client:
- Leasing social pérenne et neutre par origine; garanties résiduelles publiques ciblées; packages assurance/énergie; infrastructures de recharge fiables et abordables.
- Accélérer le logiciel:
- Architectures OTA unifiées, priorisation ADAS de « valeur d’usage », réduction des dépendances fournisseurs; mutualisation open‑source sur des briques non différenciantes.
- Politique industrielle et énergie:
- Contrats d’électricité compétitifs pour sites BEV/batteries; fast‑track permis/usines; conditionnalités CO2/empreinte batterie dans les achats publics; accompagnement des reconversions d’usines thermiques.
- Coopérations intelligentes:
- Licences technos réciproques (comme Volkswagen‑Xpeng, Stellantis‑Leapmotor), co‑développement ciblé sur des plateformes ou logiciels non stratégiques pour gagner 24–36 mois.
Trois scénarios 2026–2028
- Base case: droits européens maintenus; production locale chinoise en Europe monte en cadence; prix sous pression, marges diluées sur B/C, premium plus résilient.
- Protectionniste: durcissement des règles d’origine/empreinte; montée du « local content » batterie; décalage de 12–18 mois de la pression prix, mais rattrapage via implantation locale.
- Déferlante ciblée: survivants chinois profitables imposent un « corridor de prix » Européen avec leasing agressif et offres logicielles; certains généralistes réallouent massivement vers hybrides pour défendre les volumes, au risque d’un retard BEV long.
Signaux faibles à surveiller dès maintenant
- Xiaomi Auto publie un trimestre bénéficiaire sur l’auto seule (hors smartphones).
- Démarrage effectif d’assemblage Leapmotor en Europe via Stellantis, puis montée en cadence.
- Écart de loyers mensuels en LOA/LLD entre un C‑SUV chinois produit localement et son équivalent européen.
- Scores Euro NCAP et nouveaux standards batterie: si les modèles chinois conservent 5 étoiles en série, le levier « sécurité perçue » s’effondre.
- Réplication de deals de licence tech (logiciel/plateformes) entre acteurs chinois et européens au-delà des partenariats déjà annoncés.
En Chine, la guerre des prix ne détruit pas l’écosystème: elle le recompose. Quand la poussière retombera, l’Europe fera face non à une myriade d’assaillants dispersés, mais à une poignée de champions aguerris, efficaces et… déjà chez nous. Le temps est compté pour transformer nos coûts, nos plateformes et notre logiciel en avantages compétitifs tangibles.