En bref:
- L’EREV (hybride série) est une voiture « électrique d’abord » dont un petit moteur thermique génère de l’électricité pour prolonger l’autonomie ; les constructeurs chinois en font une offensive compétitive (Leapmotor, Luxeed, Ford Bronco New Energy) à bas prix pour l’Europe.
- Pertinent comme transition si l’utilisateur recharge systématiquement (domicile/travail) ; sinon, poids et consommation une fois la batterie vide annulent les bénéfices, d’autant que l’UE durcit les règles et les aides à partir de 2025–2026.
La Chine a trouvé sa voie médiane entre hybride rechargeable et 100 % électrique: l’EREV, pour Extended Range Electric Vehicle, autrement dit le prolongateur d’autonomie. Une approche pragmatique qui explose chez les constructeurs chinois et gagne déjà les showrooms européens. Pendant que l’Europe oppose encore hybrides classiques et BEV, cette solution “électrique d’abord, thermique en appoint” peut-elle devenir la vraie transition douce — et rebattre les cartes industrielles, jusqu’à voir un Ford Bronco “New Energy” assemblé en Chine ?
EREV, mode d’emploi: l’hybride… qui roule toujours en électrique
Dans un EREV, seul le moteur électrique entraîne les roues. Un petit moteur thermique n’a qu’un rôle: produire de l’électricité quand la batterie baisse, comme un groupe électrogène embarqué. C’est une architecture dite “hybride série”, différente des PHEV où le thermique peut aussi tracter le véhicule.
- Ce que cela promet:
- conduite 100 % électrique au quotidien (silence, couple instantané, freinage régénératif)
- fin de l’angoisse de la borne sur les grands trajets (le générateur prend le relais)
- Les points techniques à surveiller:
- efficacité réelle du groupe électrogène (régime optimal, gestion thermique, bruit/vibrations)
- surpoids et complexité (batterie + moteur + réservoir + échappement)
- calibrage de la batterie: trop petite = recours fréquent au thermique; trop grande = poids/cout proches d’un BEV… auquel on ajoute un moteur essence
📌 À retenir
- Un EREV est d’abord une voiture électrique. Le thermique ne sert qu’à recharger.
- Le bénéfice dépend énormément de la discipline de recharge et du bon dimensionnement de la batterie.
Chine: l’enthousiasme, les chiffres et des modèles “passe-frontières”
Le segment EREV a bondi de 79 % en 2024 en Chine, pour atteindre environ 1,2 million d’unités. Trois leviers: aides, discours rassurant sur l’autonomie, et maillage de recharge hétérogène selon les régions.
- Exemples marquants:
- Leapmotor C10 REEV: batterie ~28,4 kWh, prix annoncé en Europe à partir de 37 400 €, autonomie combinée WLTP > 970 km et 10 g/km de CO2, recharge rapide 50 % en 18 min. Premiers essais presse rassurants sur l’efficience et l’agrément.
- Luxeed R7, IM LS9: autonomies “combinées” annoncées jusqu’à ~950 km… mais communication souvent floue entre kilomètres 100 % électriques et kilomètres “assistés” par le générateur. L’IM LS9 pousse le curseur avec une batterie de 66 kWh (proche d’un BEV) et un 1.5 turbo en générateur: cumul des contraintes des deux mondes.
- Ford Bronco New Energy (Chine): deux versions, un BEV LFP 105,4 kWh (CLTC ~650 km) et un EREV avec 43,7 kWh (CLTC ~220 km électriques, ~1220 km combinés). Un emblème américain électrifié et fabriqué en Chine: signal fort des bascules en cours.
ℹ️ Attention aux cycles d’homologation
- Les autonomies chinoises (CLTC) sont plus optimistes que les WLTP européens. Comparez toujours à protocole égal.
Le revers des promesses: quand la batterie est vide
Les données de terrain convergent: l’autonomie électrique réelle des EREV se situe souvent sous les 200 km. Une analyse récente de Transport & Environment pointe une moyenne autour de 185 km; une fois la batterie déchargée, la consommation grimpe vers 6,4 l/100 km, comparable à un SUV essence.
Ce que cela implique:
- Si l’utilisateur recharge peu, l’EREV devient un “thermique déguisé” aux émissions réelles élevées.
- Le double système (batterie + générateur) alourdit le véhicule. Sans recharge régulière, le gain environnemental s’efface.
🗣️ Esprit critique
- L’EREV tient ses promesses si la recharge à domicile ou au travail est systématique. Sinon, on empile complexité et CO₂.
EREV vs BEV vs PHEV: qui fait quoi, à quel coût ?
Critère clé | EREV moderne (Chine) | BEV récent (Europe) | PHEV (Europe) |
---|---|---|---|
Propulsion | 100 % électrique, générateur thermique | 100 % électrique | Électrique + thermique sur les roues |
Autonomie électrique typique | ~150–220 km (réel: ~120–190) | 350–600 km WLTP | 50–80 km WLTP |
Conso quand batterie vide | ~6–7 l/100 | 0 l/100 | 5–8 l/100 |
Complexité technique | Élevée | Modérée | Très élevée |
Poids | Élevé (double système) | Modéré à élevé | Très élevé |
Prix moyen constaté | Souvent inférieur (offensive chinoise) | Plus élevé en Europe | Élevé |
Usage idéal | Quotidien électrique + grands trajets sans planifier les charges | Tout usage avec bonne infra de recharge | Flottes et trajets courts rechargés systématiquement |
Source: analyses marché 2024–2025 et retours d’essais; ordres de grandeur.
💡 Conseil d’expert
- Oubliez l’“autonomie combinée” marketing. Regardez:
- capacité batterie utile (kWh)
- vitesse de recharge DC (puissance et courbe)
- consommation du générateur à 110–130 km/h
- niveau sonore du groupe électrogène en charge soutenue
Régulation européenne: cap resserré sur les émissions réelles
Depuis 2025, l’Europe serre la vis:
- Nouvelles exigences d’essais (Euro 6e-bis, WLTP actualisé) avec distances simulées plus longues et plus de conditions climatiques: les CO₂ “officiels” des PHEV/EREV remontent, reflétant mieux les usages.
- À partir de 2026, le seuil d’éligibilité aux avantages fiscaux se durcit (barèmes CO₂ plus stricts). De nombreux PHEV/EREV perdront leurs exonérations, surtout si l’autonomie électrique utile est courte.
- L’UE maintient une “neutralité technologique” de principe vers 2035, mais l’esprit de la politique publique reste: privilégier les kilomètres réellement électriques.
Conséquence: un EREV mal rechargé devient fiscalement et écologiquement pénalisant. À l’inverse, un EREV bien dimensionné et régulièrement branché peut rester pertinent pour des profils précis.
Stratégies des constructeurs: suivre, bifurquer… ou accélérer le 100 % électrique
Face à l’avancée chinoise, l’Europe joue sur plusieurs tableaux:
- Développer leurs propres EREV sur des segments ciblés (ex. projets de pickups et gros SUV, US d’abord), pour rassurer une clientèle encore méfiante vis-à-vis de la borne.
- Nouer des alliances moteur/plateforme (ex. Renault–Geely pour des groupes générateurs) afin d’aller vite sur l’hybride série sans repartir d’une feuille blanche.
- Accélérer le BEV et le digital embarqué pour combler l’écart d’expérience utilisateur face aux marques chinoises.
- Localiser la production en Europe (y compris pour les marques chinoises: BYD en Hongrie, Chery en Espagne) pour contourner droits et sécuriser l’accès aux aides.
Côté marché, l’offensive EREV débarque concrètement: Leapmotor C10 ouvre la marche à 37 400 € avec une proposition TCO agressive. Reste la question du réseau après-vente et de la valeur résiduelle, déterminantes pour les flottes.
L’équation industrielle et écologique: la bonne “transition douce” ?
- Arguments pro-EREV:
- batterie plus petite qu’un gros BEV = moindre tension sur certains matériaux critiques
- polyvalence d’usage sans dépendance totale au réseau de recharge
- coût d’accès compétitif (effet d’échelle Chine) et confort d’une propulsion électrique
- Limites structurelles:
- duplication des organes = complexité, maintenance, risques de pannes croisées
- efficacité inférieure à un BEV sur longs trajets (pertes conversion élec → méca → élec)
- incitation potentielle à sous-recharger si la fiscalité et l’usage ne cadrent pas
Autrement dit, l’EREV peut être une transition… si elle est réellement utilisée comme une électrique. À défaut, c’est un détour coûteux.
Pour qui l’EREV a vraiment du sens en Europe en 2025 ?
- Conducteurs avec recharge quasi quotidienne à domicile/entreprise, mais qui font 5–10 grands trajets/an sans vouloir planifier les recharges.
- Professionnels ruraux ou périurbains avec bornes rares et trajets variables, à condition d’optimiser la part électrique.
- Flottes soumises à des politiques CO₂ strictes, prêtes à contrôler la recharge (télématique, remboursements d’énergie, incitations internes).
Pour les autres, un BEV récent à 500–600 km WLTP, une planification minimale des arrêts rapides et un réseau en densification constante restent souvent plus sobres, plus simples et… plus cohérents avec les objectifs climatiques.
✅ Check-list avant d’acheter un EREV
- Autonomie électrique réelle sur votre trajet type (hiver inclus)
- Possibilités de recharge à domicile/travail (puissance, coût kWh)
- Conso du générateur sur autoroute et niveau sonore
- Fiscalité locale (bonus/malus, TVS, LLD) à partir de 2026
- Valeur résiduelle estimée et maillage après-vente de la marque
En filigrane, le succès chinois de l’EREV révèle surtout un pragmatisme: répondre à l’usage ici et maintenant. À l’Europe de décider si cette voie médiane est un appui temporaire… ou une distraction face à l’essentiel: des kilomètres réellement électriques, simples et abordables.