En bref:
- Pékin déclassifie l’électrique, réduit les aides et durcit les standards → surcapacité qui peut provoquer un déstockage export bon marché à court terme, puis consolidation et montée en gamme.
- L’Europe doit répondre vite : réduire le coût voiture complète, sécuriser des chimies batteries efficaces, miser sur le logiciel et l’après‑vente, et calibrer des politiques publiques ciblées.
Le récit dominant s’effrite. Alors que l’Europe s’armait contre un “raz-de-marée” de voitures électriques chinoises, Pékin semble, lui, lever le pied. Selon plusieurs signaux concordants, les véhicules électriques (VE) pourraient perdre leur statut d’“industrie stratégique” dans le prochain plan quinquennal (2026–2030). Un séisme politique qui intervient sur fond de surchauffe du marché intérieur: stocks gonflés, “zéro kilomètre” bradés, guerre des prix sans fin.
Faut-il y voir la fin de la menace chinoise en Europe ? Prudence. À court terme, ce virage pourrait au contraire provoquer une vague d’exportations à bas prix avant un durcissement marqué du secteur en Chine.
Ce que dit Pékin, concrètement
- Retrait des VE de la liste des “industries stratégiques” dans le prochain plan quinquennal 2026–2030, selon des informations publiées le 11 novembre 2025 par Table.Media. Signal politique fort: l’électrique n’est plus “priorité absolue”.
- Fin progressive des soutiens de masse à la demande: l’exonération totale de taxe d’achat s’arrête en 2025; en 2026–2027, l’avantage fiscal serait réduit de moitié et filtré par des critères plus stricts.
- Durcissement des standards techniques: depuis octobre 2025, les PHEV doivent offrir au moins 100 km d’autonomie électrique équivalente pour bénéficier d’allégements, ce qui élimine les modèles “au rabais”.
- Recentrage budgétaire sur les techno de rupture: batteries avancées (dont semi/solide), logiciel/IA embarquée, conduite automatisée, semi-conducteurs, quantique et biotech. Moins de subventions à la production, plus d’argent sur l’innovation.
📌 À noter
- Pékin ne “déserte” pas l’électrique: les objectifs climatiques restent, et l’État pousse la qualité, la sécurité et l’intégration logicielle. Mais la perfusion budgétaire se retire.
Surchauffe en Chine: stocks gonflés, guerre des prix, “zéro km” bradés
Le retournement intervient dans un marché domestique en “involution” (qui se replie sur lui-même) selon les analystes:
- “Ventes” maquillées: des voitures immatriculées par les concessions pour gonfler les volumes, puis revendues comme “occasion 0 km” à prix cassés. Le Quotidien du Peuple a publiquement dénoncé cette pratique, signe d’un malaise systémique.
- Trop d’acteurs, marges étouffées: près d’une cinquantaine de marques se sont lancées; une douzaine dominent désormais, mais la consolidation n’est pas achevée. Xiaomi a débarqué, quand Nio a encore perdu lourd en 2025.
- Soutiens publics hétérogènes: sauvetages locaux d’usines, interventions régionales pour “protéger l’emploi”, et en parallèle une chasse à la “concurrence déloyale” (prix suicidaires, artifices de vente).
- Production hors-sol: en 2024, la Chine a fabriqué plus de 5 fois plus de VE que l’UE et 11 fois plus que les États-Unis. Une capacité qui doit s’écouler… ou fermer.
📊 Chiffres clés
- Environ 231 milliards de dollars de soutiens cumulés aux VE en Chine entre 2009 et 2023.
- Les aides à la filière équivaudraient à près de 3% des recettes budgétaires centrales certaines années selon Rhodium Group — difficilement soutenable à long terme.
- Les importations européennes de VE/hybrides depuis la Chine ont bondi de plus de 800% (2018–2022), d’où les hausses de droits décidées dans plusieurs pays.
Déclassement des VE: ce que cela change en Chine
Effets probables, sans catastrophisme ni naïveté:
- Court terme: pression à l’export. Moins d’aides domestiques + surcapacité = tentation d’écouler au dehors, malgré les barrières. Attendez-vous à des offensives tarifaires d’usine et à des “séries spéciales export”.
- Moyen terme: consolidation. Fermetures/fusions des acteurs les plus fragiles, montée en gamme des survivants, et bascule des ressources vers batteries de nouvelle génération et logiciel (véhicules “software-defined”).
- Long terme: industrie plus exigeante, moins de volumes subventionnés, davantage d’intégration techno. Pékin semble préférer “moins mais mieux”, en phase avec son agenda de souveraineté technologique.
ℹ️ Bon à savoir
- Les objectifs climatiques chinois (part d’énergies non fossiles, déploiement d’infrastructures de charge, électrification des flottes publiques) demeurent. Ce n’est pas un recul climatique, mais un recalibrage industriel.
Europe: menace fantôme… ou choc à retardement ?
L’inquiétude d’un raz-de-marée “dumpé” n’était pas fantasmée — mais elle évolue.
- Scénario 1 (2026–2027): déstockage à l’export. Avant que la consolidation ne fasse son œuvre, des volumes agressifs pourraient viser l’UE, malgré la hausse des droits. Risque: pression extrême sur le segment C–D à 20–35 k€.
- Scénario 2 (2027–2028): montée en gamme chinoise. Moins de “low-spec”, davantage de VE aboutis (logiciel, sécurité fonctionnelle, efficience). La menace change de nature: valeur perçue élevée, pas seulement le prix.
- Scénario 3: “Industrialisation locale”. Pour contourner les droits, les groupes chinois accélèrent l’assemblage en Europe (ou pays tiers associés), avec contenu local progressif. Le risque se déplace de la douane au terrain industriel.
Conséquences pour les acteurs européens
- Constructeurs: le cœur de gamme électrique reste le champ de bataille. Sans rupture de coûts batteries/logiciel, les marges resteront comprimées. L’hybridation (PHEV/HEV efficients) peut jouer l’amortisseur à court terme, mais ne dispense pas d’une VE compétitive dès 25–30 k€.
- Batteries et logiciel: l’écart se joue autant en BMS, efficience et OTA qu’en cathodes. L’avance chinoise sur la LFP et la mise en production de technologies présolide impose d’accélérer en Europe les plateformes 800V et l’efficacité globale.
- Réseau et service: l’avantage tarif ne suffit pas si l’UX, le service et la fiabilité logicielle sont différenciants. Terrain où l’Europe peut reprendre la main.
📌 Rappel contexte commercial
- États-Unis: droits de 100% qui ferment de facto le marché aux VE chinois.
- UE, Canada, Turquie, Mexique: droits relevés et enquêtes anti-subventions. Les flux s’adaptent, mais la pression sur les prix mondiaux demeure.
Les 5 mouvements à engager côté européen (dès 2026)
- Cibler le coût voiture complète, pas seulement la cellule
- Plateformes VE dédiées frugales, chaînes d’assemblage flexibles, intégration verticale raisonnée des packs. Objectif: VE net-net à 25–30 k€ TTC, en respectant les marges.
- Accélérer les chimies “bon ratio coût/autonomie”
- LFP optimisée, sodium-ion pour l’entrée de gamme, packs structurels. Mutualiser les volumes au niveau européen et sécuriser l’accès aux matériaux via le Critical Raw Materials Act.
- Miser sur le logiciel utile
- Efficience, confort, sécurité fonctionnelle et mise à jour OTA fiables. Faire simple et robuste avant le “tout gadget”. L’IA embarquée au service de la consommation réelle et de la durabilité.
- Réparer le maillon après-vente
- Pièces, diagnostic et MAJ logicielles rapides. Un levier majeur d’attractivité face à des offres importées au backoffice parfois plus fragile en Europe.
- Politiques publiques fines, pas massives
- Bonus conditionnés à l’empreinte carbone du cycle de vie, appels d’offres publics favorisant les meilleures intensités CO2, tarification réseau/énergie plus lisible pour l’utilisateur. Calibrer les droits de douane pour protéger sans renchérir inutilement la décarbonation.
💡 Astuce d’expert
- L’arme secrète reste l’efficience. Un VE qui consomme 13–14 kWh/100 km sur autoroute réelle change la donne: pack plus petit, coût moindre, temps de charge réduit — et donc une compétitivité qui résiste mieux aux chocs tarifaires.
À retenir en 30 secondes
- Pékin prépare un déclassement des VE en tant qu’“industrie stratégique” et serre la vis des aides: moins de perfusion, plus d’exigence.
- Le marché chinois est en surchauffe: stocks artificiels, prix cassés, consolidation à venir.
- À court terme, l’Europe pourrait faire face à une poussée d’exportations agressives; à moyen terme, à des VE chinois mieux finis et mieux dotés.
- La bonne réponse européenne: efficacité industrielle, efficience énergétique, logiciel utile et politique publique ciblée. La fenêtre 2026–2028 sera décisive.
En bref, la “menace” n’est ni un mirage ni une fatalité: elle change de forme. À l’Europe de s’ajuster vite — et bien — pour transformer ce choc en aiguillon de compétitivité.
