En bref:
- Stellantis retarde sa plateforme STLA Small et repousse les nouvelles 208/Corsa/2008 (été 2027–2028), contraint d’adapter une base BEV à des motorisations hybrides, au prix de délais et de complexité industrielle.
- Changan (30 M véhicules) accélère en Europe avec Deepal/Avatr/Nevo, intégration verticale (CATL/Huawei), ambitions L3/L4 et robotique, visant volume, réseau et production locale pour concurrencer à grande échelle.
L’Europe s’interroge, la Chine déroule. Alors que Stellantis revoit sa copie et accumule les décalages sur ses petites électriques, Changan célèbre son 30 millionième véhicule et affiche une feuille de route technologique où robotique, conduite autonome et aviation légère s’entremêlent. Ce grand écart dit beaucoup de la guerre industrielle en cours.
Stellantis: STLA Small en panne de tempo, 208 repoussée
Stellantis traverse une zone de turbulences. Changement de direction en juin 2025 (Antonio Filosa), plan produit repoussé à mi-2026, pivots successifs vers l’hybride… et désormais une plateforme STLA Small contrainte d’évoluer en urgence.
- Calendrier bousculé
- Peugeot 208 (nouvelle génération, STLA Small): entre été 2027 et été 2028 selon les sources. Les Échos évoquent été 2028; d’autres (Frandroid, 09/12/2025) parlent d’été 2027.
- Opel Corsa: début 2028.
- Peugeot 2008: mai 2028.
- Gels et arbitrages: développement de STLA Small suspendu entre septembre 2024 et mars 2025 pour des raisons budgétaires, selon plusieurs sources internes citées par la presse économique.
- Changement d’architecture: pensée 100 % électrique et très efficiente (objectif annoncé proche de 10 kWh/100 km), STLA Small doit désormais accepter des motorisations thermiques et hybrides. L’adaptation réclamerait près de deux ans de travail supplémentaires.
- Effets industriels en chaîne: risque sur les productions prévues (ex. Pomigliano d’Arco pour un modèle Opel et un Alfa Romeo), échos des décalages déjà observés sur STLA Large (Cassino).
Côté produit, l’ambition technique reste élevée: cellule-batterie structurelle (cell-to-body) inspirée du concept Polygon, direction « steer-by-wire » avec volant Hypersquare. Mais l’équation industrielle est devenue plus complexe: répondre à une demande européenne hybride sans sacrifier les promesses d’efficience d’une base BEV-native.
📌 À noter
- Le virage vers davantage d’hybrides en Europe a été officialisé courant 2025, Stellantis jugeant inatteignable une gamme 100 % électrique dès 2030 dans le contexte actuel (prix, infrastructures, demande).
Changan: 30 millions de véhicules et une stratégie « en Europe, pour l’Europe »
Le 11 décembre 2025, Changan a fêté son 30 millionième véhicule (AVATR 12 Édition Quad‑Laser, usine de Chongqing). Au-delà du symbole, le groupe d’État chinois déroule une stratégie européenne méthodique.
- Offensive multi‑marques
- Deepal (déjà présente en Europe), Avatr (premium, co‑développement batteries CATL et systèmes embarqués Huawei), Nevo (gamme large pour particuliers et flottes).
- Déploiement en Europe
- 10 marchés européens d’ici fin 2025, dont la France; couverture continentale visée d’ici 2028.
- Plus de 1 000 points de vente et de service à l’horizon 2028/2030; premier hub pièces en Europe du Nord; recrutements locaux.
- Étude d’une production européenne pour éviter les droits anti‑subventions (jusqu’à 30,7 % sur certains imports chinois) et raccourcir les délais.
- Produits et technologies
- Avatr 06: versions 100 % électrique et prolongateur d’autonomie; batterie LFP ~73 kWh; autonomie annoncée 650 km CLTC (≈533 km WLTP estimés en propulsion).
- Nevo E07: architecture 800 V, recharge rapide; 520–650 km CLTC (≈426–533 km WLTP).
- Prix attendus en Europe: grosso modo 35 000 à 70 000 € selon tailles/équipements.
- Conduite autonome et… robots
- Changan vise un système « full‑scénarios » L3 en 2026 puis L4 en 2028 (objectif qui ouvrirait la porte à des services de type robotaxi, sous réserves réglementaires et de validation sécurité).
- Diversification robotique: investissement dans une filiale de robots humanoïdes (capacité de production visée à l’horizon 2028).
- Mobilité « basse altitude »: plan de voiture volante en 2026, avec industrialisation visée en 2028.
En clair: volumes, verticalisation (CATL/Huawei), réseaux, et implantation locale pour amortir les barrières commerciales. Une démonstration d’exécution industrielle autant que de narration technologique.
Deux stratégies qui se croisent sans se rejoindre
- Cadence vs prudence
- Changan déroule lancements, réseau et ambitions techno avec une exécution rapide.
- Stellantis privilégie l’optionnalité (multi‑énergies) pour coller à la demande réelle et aux normes CO2, au prix d’un décalage temporel sur sa base BEV small.
- Architecture produit
- Chine: plateformes BEV natives, 800 V, batterie LFP/LFP‑M3P, prolongateurs d’autonomie quand utile, AD/ADAS dopés par un écosystème local de capteurs et de compute.
- Europe: compromis multi‑énergies pour réduire le risque marché et tenir les objectifs CAFE, mais perte d’agilité sur l’efficience pure.
- Chaîne de valeur
- Chine: coûts batterie compétitifs, intégration locale des composants (incluant une substitution accélérée des puces), échelle domestique gigantesque.
- Europe: inflation des coûts, normes strictes, dépendances résiduelles sur certains maillons, mais expertise sécurité et industrialisation éprouvée.
- Barrières et contre‑vents
- Changan doit composer avec droits à l’import, enquêtes anti‑subventions et exigences européennes (sécurité, cybersécurité, données, réparabilité).
- Stellantis affronte la volatilité réglementaire, la normalisation de la demande VE et la pression des prix chinois… tout en cherchant l’équilibre financier.
💬 Esprit critique
- Le « L4 en 2028 » est un jalon ambitieux, pas la garantie d’un service robotaxi commercial large. Il manque toujours des preuves robustes de sécurité à grande échelle, et la régulation européenne demeure plus prudente que celle de certaines métropoles chinoises.
- L’arrivée d’Avatr/Nevo en Europe devra franchir l’obstacle de la notoriété et du réseau, même si l’effort annoncé (>1 000 points) est significatif.
- À l’inverse, Stellantis dispose d’atouts non négligeables: marques fortes, base client, maillage après‑vente, et un partenariat avec Leapmotor qui peut paradoxalement accélérer l’accès à des technologies chinoises compétitives.
À retenir
- STLA Small en retard: 208 nouvelle génération repoussée (été 2027 à été 2028 selon les sources), Corsa début 2028, 2008 en mai 2028; adaptation coûteuse pour intégrer l’hybride dans une base initialement BEV.
- Changan franchit 30 millions de véhicules et accélère en Europe via Deepal/Avatr/Nevo, une production locale à l’étude et un réseau très ambitieux.
- Cap autonome: Changan vise le L4 en 2028 (pré‑requis pour du robotaxi), tout en investissant dans les robots humanoïdes et la mobilité aérienne légère.
- Le contraste illustre la bataille industrielle: d’un côté, exécution et verticalisation chinoises; de l’autre, prudence européenne, contraintes réglementaires et arbitrages financiers.
💡 Bon à savoir
- L3/L4: le L3 autorise une délégation de conduite sous conditions; le L4 vise une automatisation complète sur des zones/scénarios définis (indispensable pour des robotaxis déployés à grande échelle).
- CLTC vs WLTP: le cycle chinois CLTC est plus permissif; convertir grossièrement vers WLTP implique une baisse notable de l’autonomie annoncée.
- Cell‑to‑body: l’intégration structurelle du pack batterie allège la voiture et améliore l’habitabilité, mais complique la réparabilité et les coûts d’assurance en cas de choc.
Et pour l’automobiliste français, maintenant?
- L’actuelle 208 va prolonger sa carrière, probablement via séries spéciales/remises. Renault occupera le terrain dès 2026 avec la Clio VI et une offre hybride musclée.
- Côté show‑room, attendez‑vous à voir débarquer davantage de modèles chinois électriques/hybrides entre 2026 et 2028, à tarifs agressifs et équipements généreux, mais avec des inconnues sur la décote et le réseau après‑vente local.
- Les bonus/malus et droits à l’import resteront des variables clefs du prix final; l’éventuelle production européenne de Changan pourrait rebattre les cartes.
Au-delà des symboles, le duel du moment oppose une Europe qui réapprend la vitesse sur un terrain mouvant, et une Chine qui pose ses pions à grande échelle; l’issue se jouera autant sur les usines et les batteries que sur la capacité à convaincre les conducteurs… et les régulateurs.
