En bref:
- La mine de lithium d’Echassières en France pourrait devenir l’un des plus importants gisements de lithium en Europe, crucial pour la mobilité électrique.
- Le projet EMILI vise à produire 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium par an à partir de 2028, contribuant à l’indépendance énergétique française.
- Malgré des défis environnementaux et des critiques, le débat public autour du projet soulève des questions essentielles sur notre modèle de mobilité et notre rapport à la voiture.
La transition énergétique est en marche, et la voiture électrique en est l’un des fers de lance. Cependant, cette révolution verte ne peut se faire sans un approvisionnement sécurisé en lithium, ce métal devenu stratégique pour la fabrication des batteries. C’est dans ce contexte qu’un projet d’envergure voit le jour dans l’Allier : la mine d’Echassières, qui pourrait bien devenir l’un des plus importants gisements de lithium en Europe.
Un gisement exceptionnel au cœur de la France
Situé sur la commune d’Echassières, à une heure de route de Clermont-Ferrand, le site de Beauvoir abrite déjà une carrière exploitée par Imerys pour l’extraction de kaolin. Mais les études menées ont révélé la présence d’un gisement de lithium d’une qualité exceptionnelle, enfoui sous cette argile. Un véritable trésor, que le groupe minier français compte bien mettre à profit.
Le projet, baptisé EMILI (Exploitation de MIca LIthinifère), prévoit l’ouverture d’une mine souterraine sur ce site, ainsi que la construction d’une usine de conversion à proximité, probablement dans la région de Montluçon. Au total, ce sont près de 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium qui pourraient être produites chaque année, une fois l’exploitation lancée en 2028.
Un enjeu crucial pour l’indépendance énergétique française
Si ces chiffres peuvent sembler abstraits, ils prennent tout leur sens lorsqu’on les replace dans le contexte de la transition énergétique. Avec une telle production, ce sont près de 700 000 véhicules électriques qui pourraient être équipés en batteries lithium-ion chaque année, et ce pendant au moins 25 ans.
Un apport considérable, à l’heure où l’Union européenne s’apprête à interdire la vente de voitures thermiques neuves à partir de 2035. Une décision forte, qui place le Vieux Continent sur la voie d’une mobilité décarbonée, mais qui nécessite de sécuriser les approvisionnements en métaux critiques comme le lithium.
Car aujourd’hui, l’Europe fait face à une dépendance quasi-totale vis-à-vis de pays tiers, au premier rang desquels la Chine. Un risque géopolitique que le projet EMILI permettrait de réduire, en relocalisant une partie de la chaîne d’approvisionnement sur le sol français.
Des défis environnementaux à relever
Bien que stratégique, l’exploitation minière du lithium n’en soulève pas moins des interrogations légitimes en matière d’impact environnemental. L’extraction de ce métal, que ce soit à partir de saumures ou de roches dures, est en effet réputée énergivore et consommatrice d’eau, une ressource précieuse à préserver.
Face à ces enjeux, Imerys affirme vouloir adopter une "exploitation minière responsable", en se conformant aux normes les plus exigeantes. Le groupe promet ainsi de se plier au standard international IRMA (Initiative for Responsible Mining Assurance), encore en cours d’élaboration, mais visant à encadrer les rejets toxiques et la consommation d’eau.
Des techniques d’extraction directe, permettant de capter le lithium présent dans les saumures sans recourir à l’évaporation, sont également à l’étude. Une piste prometteuse, qui pourrait réduire significativement l’empreinte environnementale de la future mine.
Un projet sous le feu des critiques
Malgré ces engagements, le projet EMILI ne fait pas l’unanimité sur le terrain. Dès l’annonce de son lancement en octobre 2022, des voix se sont élevées pour dénoncer ses potentiels impacts néfastes sur les écosystèmes locaux et la ressource en eau.
Parmi les opposants les plus virulents, on retrouve naturellement les associations de défense de l’environnement. France Nature Environnement (FNE) a ainsi rendu public son rejet du projet, jugeant que "l’opportunité n’est pas avérée" et que "le contexte social et politique ne garantit pas une extraction du lithium qui servira les besoins de la transition écologique".
De son côté, l’historien Jean-Baptiste Fressoz s’interroge sur la pertinence même d’ouvrir de nouvelles mines pour "sauver le climat", alors que "la voiture électrique ne réduit que de 60% les émissions" par rapport à un modèle thermique.
Un débat public houleux
Face à la montée des critiques, un débat public a été organisé du 12 mars au 7 juillet 2024, sous l’égide de la Commission nationale du débat public (CNDP). Un exercice démocratique censé permettre à toutes les parties prenantes de s’exprimer et d’être entendues.
Mais dès les premières réunions, les échanges se sont avérés tendus entre les défenseurs du projet, mettant en avant ses retombées économiques, et ses détracteurs, focalisés sur les risques environnementaux. Un dialogue de sourds, illustrant les divergences profondes entre deux visions de l’écologie.
D’un côté, les acteurs économiques et les élus locaux, séduits par la promesse de création d’emplois et de dynamisation du territoire. De l’autre, les riverains et militants, refusant de sacrifier leur cadre de vie au nom d’un modèle de développement qu’ils jugent obsolète et destructeur.
Vers un nouveau modèle de mobilité ?
Au-delà des arguments techniques et financiers, c’est bien une réflexion de fond sur notre rapport à la voiture qui transparaît dans ce débat houleux. Une remise en cause du "tout-automobile" portée par une frange militante, mais aussi par certains experts.
"Voulons-nous que nos voitures fonctionnent au pétrole, ou à l’électricité du soleil et du vent ?", s’interroge ainsi Cédric Philibert, chercheur associé à l’IFRI. Une question qui en appelle une autre : la voiture électrique, aussi "verte" soit-elle, n’est-elle qu’un pis-aller avant d’repenser en profondeur nos modes de déplacement ?
C’est ce que semblent suggérer les défenseurs d’une "sobriété mobilitaire", prônant la réduction des trajets individuels au profit des transports en commun, du covoiturage, du vélo ou tout simplement de la marche à pied. Un changement de paradigme qui remettrait la voiture, même électrique, à sa juste place : un outil pratique, mais non une fin en soi.
Si elle venait à se concrétiser, cette évolution profonde des mentalités rendrait peut-être caduque le besoin d’exploiter de nouvelles mines de lithium. Mais en attendant, le projet EMILI poursuit son chemin, au gré des débats et des oppositions. Un pari sur l’avenir, dont l’enjeu n’est rien de moins que la reconquête de notre indépendance énergétique.