En bref:
- La suspension du projet de recyclage de batteries d’Eramet à Dunkerque, annoncé le 24 octobre 2024, fragilise la filière automobile électrique en France, en raison d’un marché européen en retard et d’incertitudes sur l’approvisionnement.
- Ce report compromet l’économie circulaire et accroît la dépendance aux importations de métaux critiques aux importations de métaux critiques, affectant la compétitivité des constructeurs français.
- Malgré ces défis, des pistes de collaboration, de soutien public et d’innovation technologique sont nécessaires pour relancer le secteur du recyclage en France.
Dans un contexte de transition énergétique et de course à l’électrification du parc automobile, l’annonce de la suspension du projet de recyclage de batteries d’Eramet à Dunkerque sonne comme un coup de frein inattendu. Cette décision, rendue publique le 24 octobre 2024, soulève de nombreuses questions sur l’avenir de la filière des véhicules électriques en France et en Europe. Analysons les tenants et les aboutissants de cette situation, ainsi que ses implications pour l’industrie automobile hexagonale.
Un projet ambitieux mis en pause
Le groupe minier français Eramet, en partenariat avec Suez, avait pour ambition de créer un complexe industriel de pointe dédié au recyclage des batteries de véhicules électriques. Ce projet, baptisé ReLieVe, visait à établir deux usines complémentaires dans la région de Dunkerque :
- Une première installation destinée au démantèlement, au tri et au broyage des batteries usagées ou des rebuts de production.
- Une seconde unité chargée de la séparation des matériaux, permettant d’extraire des métaux stratégiques tels que le lithium, le nickel et le cobalt.
L’objectif était ambitieux : créer une véritable "mine urbaine" capable de répondre aux besoins croissants en matières premières de l’industrie automobile électrique, tout en s’inscrivant dans une logique d’économie circulaire.
Les raisons d’un report
Christel Bories, PDG d’Eramet, a évoqué plusieurs facteurs ayant conduit à la suspension du projet :
- Un marché européen en retard : La montée en puissance des usines de batteries et de leurs composants en Europe s’avère plus lente que prévu.
- Des incertitudes sur l’approvisionnement : Le manque de visibilité sur les volumes de batteries à recycler pose problème.
- L’absence de débouchés locaux : Aucun projet de précurseur de cathode européen n’a été confirmé, limitant les opportunités de vente des métaux recyclés sur le continent.
- Un contexte économique défavorable : La crise de l’acier en Chine et le ralentissement des ventes de véhicules électriques en Europe ont pesé sur la décision.
Impact sur la filière automobile française
Cette suspension n’est pas sans conséquences pour l’industrie automobile hexagonale :
Fragilisation de la chaîne de valeur
Le projet ReLieVe devait s’intégrer dans la "vallée européenne de la batterie" en développement dans le nord de la France. Son report fragilise cette initiative stratégique et pourrait avoir un effet domino sur d’autres projets connexes.
Dépendance accrue aux importations
Sans capacité de recyclage locale, la France risque de demeurer dépendante des importations de métaux critiques, essentiels à la fabrication des batteries. Cette situation pourrait affecter la compétitivité des constructeurs français sur le marché des véhicules électriques.
Retard dans l’économie circulaire
La suspension du projet repousse la mise en place d’une véritable filière de recyclage des batteries en France. Cela pourrait compromettre les objectifs environnementaux du pays et sa capacité à répondre aux futures réglementations européennes en matière de recyclage.
Un symptôme d’une transition énergétique complexe
L’annonce d’Eramet s’inscrit dans un contexte plus large de difficultés rencontrées par la filière électrique :
- En septembre 2024, Stellantis avait déjà renoncé à un projet similaire de recyclage en partenariat avec Orano.
- Les ventes de véhicules électriques en Europe ont connu un ralentissement après trois années de forte croissance.
- Les constructeurs font face à des défis technologiques et économiques pour proposer des véhicules électriques abordables et performants.
Perspectives et enjeux pour l’avenir
Malgré ce revers, l’industrie automobile française ne peut faire l’impasse sur le recyclage des batteries. Plusieurs pistes se dessinent :
- Consolidation des acteurs : Une collaboration renforcée entre les différents projets de recyclage pourrait émerger, comme le suggère l’ouverture de Suez à discuter avec d’autres acteurs.
- Soutien public : Un accompagnement plus marqué des pouvoirs publics pourrait être nécessaire pour sécuriser ces investissements stratégiques.
- Innovation technologique : Le développement de nouvelles méthodes de recyclage plus efficaces et économiques reste crucial.
- Adaptation du cadre réglementaire : Une évolution des normes pourrait favoriser l’émergence d’une filière de recyclage viable économiquement.
Le paradoxe du lithium argentin
Parallèlement à la suspension de son projet de recyclage, Eramet a renforcé sa position dans l’extraction de lithium en Argentine. Le groupe a acquis la pleine propriété du gisement de Centenario pour 699 millions de dollars, avec un potentiel de production pouvant atteindre 75 000 tonnes de carbonate de lithium par an.
Cette stratégie souligne un paradoxe : alors que le recyclage peine à décoller en Europe, les investissements dans l’extraction primaire se poursuivent. Cela pose la question de l’équilibre entre approvisionnement en matières premières vierges et développement d’une économie circulaire.
La suspension du projet de recyclage d’Eramet met en lumière les défis complexes auxquels fait face l’industrie automobile française dans sa transition vers l’électrique. Entre ambitions environnementales et réalités économiques, le chemin vers une mobilité durable s’annonce sinueux. L’avenir de la filière dépendra de la capacité des acteurs industriels et politiques à coordonner leurs efforts pour surmonter ces obstacles et construire un écosystème robuste et pérenne.