La transition électrique, un défi existentiel pour les équipementiers automobiles

En bref:

  • La chute des ventes de véhicules électriques en Europe, notamment en Allemagne et en France, fragilise l’ensemble de la chaîne de valeur automobile, menaçant les emplois des équipementiers.
  • L’électrification des véhicules réduit la valeur ajoutée des composants fournis par les équipementiers, les poussant à investir massivement dans de nouvelles technologies pour survivre.
  • Les industriels appellent à une transition plus progressive vers la neutralité carbone, face à des défis tels que le manque d'infrastructures de recharge et la concurrence accrue des fabricants chinois.

La révolution électrique qui secoue l’industrie automobile ne fait pas que des heureux. Si les constructeurs doivent s’adapter à marche forcée, les équipementiers se retrouvent en première ligne face à une mutation qui menace leur existence même. Entre effondrement des ventes, perte de valeur ajoutée et nécessité d’investissements massifs, le secteur traverse une zone de fortes turbulences qui pourrait bien se solder par une hécatombe sociale. Plongée au cœur d’une filière en plein bouleversement.

Un marché en berne qui fragilise toute la chaîne de valeur

Des ventes en chute libre

L’été 2024 a marqué un tournant pour le marché européen des véhicules électriques. Après des années de croissance soutenue, les ventes se sont effondrées de manière spectaculaire. En août, les immatriculations de voitures 100% électriques ont chuté de 43,9% par rapport à la même période en 2023, avec seulement 92 627 unités écoulées contre 165 204 un an plus tôt.

Cette dégringolade s’explique en grande partie par l’effondrement des deux principaux marchés : l’Allemagne (-68,8%) et la France (-33,1%). Même si certains pays comme les Pays-Bas ou la Belgique ont connu une légère hausse, cela n’a pas suffi à compenser la chute des poids lourds du secteur.

Des causes multiples

Plusieurs facteurs expliquent ce brutal coup de frein :

  • La réduction des aides gouvernementales, notamment en Allemagne, qui a rendu les véhicules électriques moins attractifs financièrement
  • La hausse du coût de l’électricité, qui rogne l’avantage économique à l’usage par rapport aux motorisations thermiques
  • Les inquiétudes persistantes sur l’autonomie et le réseau de recharge
  • L’arrivée de concurrents chinois proposant des modèles moins chers
  • Un contexte économique incertain qui pousse les consommateurs à reporter leurs achats

Un impact en cascade sur toute la filière

Cette chute des ventes a des répercussions immédiates sur l’ensemble de la chaîne de production. Les constructeurs réduisent leurs volumes, ce qui se traduit par une baisse des commandes pour les équipementiers. Certaines usines tournent déjà au ralenti, voire sont menacées de fermeture.

Jean-Louis Pech, président de la Fédération des industries des équipements pour véhicules (Fiev), tire la sonnette d’alarme : "Si le niveau d’activité reste le même, il n’est pas exagéré de penser que le nombre d’emplois sera divisé par deux au cours des cinq prochaines années en France."

Une transition qui bouleverse les modèles économiques

La perte de valeur ajoutée, talon d’Achille des équipementiers

Au-delà de la baisse des volumes, c’est toute l’architecture des véhicules qui est remise en cause par l’électrification. Or, cette mutation n’est pas favorable aux équipementiers traditionnels.

Dans un véhicule thermique, les fournisseurs apportent entre 50% et 55% de la valeur ajoutée. Pour un véhicule électrique, cette part tombe à 35-40%. De nombreux composants deviennent tout simplement obsolètes : systèmes d’échappement, boîtes de vitesses complexes, réservoirs de carburant…

Cette perte de valeur ajoutée fragilise considérablement le modèle économique des équipementiers, qui doivent maintenir leurs marges avec moins de composants à forte valeur.

La nécessité d’investissements massifs

Pour rester dans la course, les équipementiers n’ont d’autre choix que d’investir massivement dans les nouvelles technologies : électronique de puissance, logiciels embarqués, batteries… Autant de domaines qui nécessitent des compétences pointues et des investissements colossaux.

Mais tous n’ont pas les reins assez solides pour financer cette transition. Les plus petits acteurs, déjà fragilisés par la crise du Covid et les pénuries de composants, risquent de ne pas survivre à cette mutation forcée.

Un appel à l’aide des industriels

La demande d’un assouplissement réglementaire

Face à ces défis, l’industrie automobile européenne monte au créneau. L’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA) a récemment appelé la Commission européenne à revoir ses objectifs de réduction des émissions de CO2 pour 2025.

Luca de Meo, président de l’ACEA, estime que les conditions ne sont pas réunies pour atteindre ces objectifs : "Nous sommes prêts à discuter d’un ensemble d’allégements à court terme pour les objectifs de CO2 de 2025 pour les voitures et les camionnettes, ainsi que d’une révision rapide, complète et rigoureuse des réglementations."

Un plaidoyer pour une transition plus progressive

Les industriels ne remettent pas en cause l’objectif final de neutralité carbone, mais plaident pour une transition plus progressive. Ils pointent notamment :

  • Le manque d’infrastructures de recharge
  • Le coût élevé de l’énergie en Europe
  • Les difficultés d’approvisionnement en matières premières
  • La nécessité de maintenir la compétitivité face aux concurrents chinois

Leur crainte : que l’industrie européenne ne soit sacrifiée sur l’autel d’objectifs environnementaux trop ambitieux, au profit de concurrents étrangers moins contraints.

Des stratégies d’adaptation variées

Face à ces défis, les équipementiers tentent de s’adapter, avec plus ou moins de succès :

La diversification des activités

Certains misent sur une diversification de leurs activités. C’est le cas de Dana Inc., qui réoriente sa production des arbres de transmission vers les composants pour véhicules électriques.

L’intégration verticale

D’autres optent pour une intégration verticale, en investissant directement dans la production de batteries ou l’extraction de lithium. Une stratégie risquée mais qui peut s’avérer payante à long terme.

La spécialisation dans le sur-mesure

Face à la standardisation croissante des composants, certains équipementiers se positionnent sur le créneau du sur-mesure et de la flexibilité. Ils proposent des solutions d’ingénierie personnalisées, tant pour les véhicules électriques que thermiques.

Les partenariats stratégiques

Enfin, de nombreux acteurs nouent des partenariats stratégiques pour mutualiser les coûts de R&D et accéder à de nouvelles technologies. Une approche qui permet de rester dans la course sans supporter seul le poids des investissements.

La transition vers l’électrique représente un défi existentiel pour les équipementiers automobiles. Entre chute des ventes, perte de valeur ajoutée et nécessité d’investissements massifs, le secteur traverse une zone de fortes turbulences. Si certains acteurs parviendront à tirer leur épingle du jeu, une restructuration douloureuse de la filière semble inévitable. L’avenir dira si l’industrie européenne aura su préserver ses atouts dans cette révolution technologique sans précédent.

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