En bref:
- Stellantis, dirigé par Carlos Tavares, s’oppose fermement à un report des normes CO2, affirmant avoir anticipé les contraintes réglementaires et investi massivement dans l’électrification de sa gamme.
- Malgré une stratégie ambitieuse pour réduire ses émissions et un engagement envers l’électrification, Stellantis fait face à des défis majeurs, notamment un marché des véhicules électriques en ralentissement et une concurrence accrue des constructeurs chinois.
Dans un contexte de transition énergétique accélérée, le secteur automobile européen se trouve à la croisée des chemins. Les constructeurs doivent jongler entre les exigences réglementaires toujours plus strictes en matière d’émissions de CO2 et les réalités d’un marché des véhicules électriques qui peine encore à décoller. Au cœur de ces enjeux, Stellantis, le géant franco-italo-américain né de la fusion entre PSA et FCA, adopte une position singulière qui mérite une analyse approfondie.
Une position ferme face aux demandes de report des normes CO2
Alors que certains acteurs majeurs du secteur plaident pour un assouplissement du calendrier réglementaire, Carlos Tavares, le PDG de Stellantis, a surpris les observateurs en s’opposant fermement à tout report des objectifs européens en matière d’émissions de CO2. Lors du prestigieux Concours d’Élégance de Chantilly le 15 septembre 2024, le dirigeant portugais a déclaré sans ambages qu’il serait "surréaliste de changer maintenant les règles".
Cette prise de position tranche avec celle de l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles), dont Stellantis s’est retiré fin 2022. Le lobby, qui représente encore des poids lourds comme Volkswagen ou Renault, a récemment demandé à la Commission européenne d’activer une procédure d’urgence pour repousser de deux ans l’application des normes renforcées prévues pour 2025.
Les raisons de cette opposition
Plusieurs facteurs expliquent la position de Stellantis :
- Une préparation anticipée : Le groupe affirme avoir anticipé ces contraintes réglementaires et adapté sa stratégie en conséquence. "Tout le monde connaît les règles depuis longtemps, tout le monde a eu le temps de se préparer", a souligné Carlos Tavares.
- Un investissement massif dans l’électrification : Stellantis a consenti d’importants efforts pour électrifier sa gamme. Le groupe prévoit de lancer pas moins de 30 modèles hybrides d’ici fin 2024, en plus de sa gamme électrique en pleine expansion.
- Une volonté de maintenir l’avantage concurrentiel : En s’opposant à un report, Stellantis cherche à capitaliser sur ses investissements et à ne pas perdre l’avance qu’il estime avoir prise sur certains concurrents.
- Une approche éthique revendiquée : Le groupe "s’est imposé d’un point de vue éthique de ne pas acheter de crédits" CO2, contrairement à d’autres constructeurs qui compensent leurs émissions excessives en s’alliant avec des acteurs moins polluants comme Tesla.
Les défis du marché électrique européen
Malgré cette position ferme, Stellantis n’est pas à l’abri des difficultés que rencontre le marché des véhicules électriques en Europe. La suspension temporaire de la production de la Fiat 500e à l’usine de Turin, annoncée pour une durée d’un mois à partir du 13 septembre 2024, en est une illustration frappante.
Un contexte de marché difficile
Plusieurs facteurs contribuent à freiner l’essor des véhicules électriques :
- Ralentissement des ventes : Les immatriculations de voitures électriques en Europe ont connu un net ralentissement, avec une baisse de 33% en août 2024, marquant le mois le plus faible depuis janvier 2023.
- Incertitudes sur les incitations : Le manque de visibilité sur les aides à l’achat et leur pérennité dissuade de nombreux consommateurs potentiels.
- Valeurs résiduelles faibles : Les véhicules électriques souffrent encore d’une dépréciation plus rapide que leurs homologues thermiques, ce qui pèse sur le coût total de possession.
- Infrastructure de recharge insuffisante : Malgré les efforts déployés, le réseau de bornes de recharge reste insuffisant pour rassurer pleinement les acheteurs potentiels.
Le cas emblématique de la Fiat 500e
La suspension de la production de la Fiat 500e à Turin est symptomatique de ces difficultés. Malgré son statut d’icône et son positionnement sur le segment porteur des citadines électriques, le modèle peine à trouver son public :
- En Europe, les ventes de la Fiat 500 (toutes motorisations confondues) ont chuté de 24% entre janvier et juillet 2024 par rapport à la même période en 2023, avec seulement 74 885 unités écoulées.
- Aux États-Unis, marché où la 500 n’a jamais vraiment percé, seules 204 unités de la version électrique ont été vendues depuis le début de l’année, malgré un stock conséquent de 904 véhicules dans les concessions.
Face à cette situation, Stellantis a annoncé un investissement de 100 millions d'euros pour doter la 500e d’une "nouvelle batterie haute puissance" et "intensifier sa production". Le groupe mise également sur l’introduction de la 500 Ibrida, une version hybride légère, pour soutenir les ventes pendant cette période de transition.
La stratégie de Stellantis face aux défis de l’électrification
Malgré ces difficultés conjoncturelles, Stellantis maintient le cap sur sa stratégie d’électrification, articulée autour de plusieurs axes :
Des objectifs ambitieux de réduction des émissions
Dans le cadre de son plan stratégique "Dare Forward 2030", Stellantis s’est fixé des objectifs ambitieux :
- Réduire de moitié ses émissions de carbone d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2021.
- Atteindre la neutralité carbone d’ici 2038, avec une compensation limitée à un pourcentage à un chiffre pour les émissions résiduelles.
Ces objectifs s’inscrivent dans le cadre des réglementations européennes qui prévoient :
- Une réduction de 15% des émissions moyennes de la flotte entre 2025 et 2029 (par rapport à 2021)
- Une réduction de 50% entre 2030 et 2034
- Une réduction de 100% à partir de 2035, équivalant à une interdiction de facto des moteurs thermiques pour les véhicules neufs
Une approche globale de la décarbonation
La stratégie de Stellantis ne se limite pas aux seuls véhicules, mais englobe l’ensemble de sa chaîne de valeur :
- Réduction des émissions directes : Le groupe vise une diminution de 75% de ses émissions de scope 1 et 2 (liées à la production) d’ici 2030.
- Travail sur la chaîne d’approvisionnement : L’objectif est de réduire de 50% l’intensité des émissions de scope 3 (liées à l’utilisation des véhicules et à la chaîne d’approvisionnement) sur la même période.
- Innovation technologique : Stellantis investit massivement dans le développement de nouvelles technologies de batteries, de moteurs électriques plus efficients et de systèmes de propulsion alternatifs.
- Diversification de l’offre : Le groupe mise sur une gamme diversifiée incluant des véhicules électriques, hybrides et à hydrogène pour répondre à différents usages et marchés.
Une performance environnementale déjà reconnue
Stellantis peut s’appuyer sur des résultats encourageants en matière d’émissions :
- En 2022, le groupe affichait les émissions moyennes de CO2 les plus faibles parmi les grands constructeurs de véhicules utilitaires dans l’UE, avec une moyenne de 164g CO2/km.
- Aucun des constructeurs de véhicules utilitaires du groupe n’a dépassé ses objectifs d’émissions, évitant ainsi les pénalités financières associées.
Les défis à relever pour Stellantis et l’industrie automobile européenne
Malgré sa position affirmée et ses efforts d’adaptation, Stellantis, comme l’ensemble du secteur automobile européen, doit faire face à plusieurs défis majeurs :
1. La compétitivité face aux constructeurs chinois
L’arrivée massive de constructeurs chinois sur le marché européen des véhicules électriques constitue une menace sérieuse. Ces acteurs, comme BYD, Nio ou Geely, proposent des modèles électriques 25% à 30% moins chers que leurs concurrents européens, bénéficiant notamment de coûts de production plus faibles et d’un accès privilégié aux matières premières stratégiques.
2. L’adaptation de l’outil industriel et de l’emploi
La transition vers l’électrique implique une restructuration profonde de l’appareil productif :
- La production de véhicules électriques nécessite moins de main-d’œuvre que celle des véhicules thermiques, ce qui pourrait entraîner des suppressions d’emplois significatives dans le secteur.
- La reconversion des usines et la formation des salariés aux nouvelles technologies représentent un défi organisationnel et financier considérable.
3. Le développement de l’infrastructure de recharge
Malgré les objectifs ambitieux de l’UE (1 million de points de charge publics d’ici 2025, 3 millions d’ici 2030), le déploiement de l’infrastructure de recharge reste insuffisant et inégal selon les pays. Cette situation freine l’adoption massive des véhicules électriques par les consommateurs.
4. L’approvisionnement en matières premières critiques
La sécurisation de l’approvisionnement en matériaux essentiels pour les batteries (lithium, cobalt, nickel) constitue un enjeu stratégique majeur. Stellantis devra renforcer ses partenariats et diversifier ses sources d’approvisionnement pour garantir sa capacité de production à long terme.
5. L’acceptabilité sociale et économique de la transition
Le coût élevé des véhicules électriques reste un frein important à leur adoption massive. Stellantis devra trouver le moyen de réduire les coûts de production tout en maintenant des marges suffisantes, dans un contexte où les aides publiques à l’achat tendent à se réduire dans plusieurs pays européens.
Perspectives et enjeux pour l’avenir
La position de Stellantis en faveur du maintien des objectifs CO2 européens s’inscrit dans une vision à long terme de la transition énergétique du secteur automobile. Cette approche comporte des risques, notamment en termes de parts de marché à court terme si la demande pour les véhicules électriques ne décolle pas aussi rapidement que prévu. Cependant, elle pourrait également positionner le groupe favorablement pour l’avenir, en lui permettant de prendre une avance technologique et industrielle sur ses concurrents.
Pour réussir ce pari, Stellantis devra relever plusieurs défis cruciaux :
- Accélérer la réduction des coûts de production des véhicules électriques pour les rendre accessibles à un plus large public.
- Continuer à innover dans les technologies de batteries pour améliorer l’autonomie et réduire les temps de recharge.
- Adapter son offre aux spécificités des différents marchés européens, en tenant compte des disparités en termes d’infrastructure de recharge et de pouvoir d’achat.
- Maintenir un dialogue constructif avec les autorités européennes et nationales pour assurer un cadre réglementaire stable et prévisible.
- Gérer la transition sociale au sein du groupe, en accompagnant la reconversion des salariés et en préservant l’emploi autant que possible.
La réussite de Stellantis dans cette transition vers une mobilité décarbonée aura des implications majeures non seulement pour le groupe, mais aussi pour l’ensemble de l’industrie automobile européenne et son avenir face à la concurrence internationale croissante.