En bref:
- Une alliance se forme entre constructeurs automobiles et États membres, dont la France, pour assouplir les normes européennes sur les émissions de CO2, prévues pour 2025.
- Le secteur automobile pourrait perdre jusqu’à 16 milliards d’euros d’investissement si les pénalités ne sont pas ajustées, freinant ainsi l’électrification.
- La Commission européenne reste ferme sur ses objectifs, malgré une baisse des ventes de véhicules électriques et les inquiétudes des États membres.
Face aux normes européennes d’émissions de CO2 qui se durcissent en 2025, une alliance inédite se dessine entre constructeurs automobiles et États membres pour assouplir les sanctions financières prévues. Cette contestation, qui prend de l’ampleur, soulève des questions cruciales sur l’avenir de l’électrification du parc automobile français et la stratégie environnementale européenne.
Une industrie sous pression face aux nouvelles exigences
Le durcissement prévu pour janvier 2025 impose aux constructeurs de respecter une moyenne d’émissions de 81g CO2/km sur l’ensemble de leurs ventes en Europe, contre 95g/km actuellement. Cette réduction drastique intervient dans un contexte particulièrement délicat pour l’industrie automobile européenne, confrontée à une concurrence chinoise aggressive sur le marché électrique et des ventes en deçà des attentes.
L’ACEA, par la voix de son président Luca de Meo, avance des chiffres alarmants : le secteur pourrait perdre jusqu’à 16 milliards d’euros de capacité d’investissement si les règles ne sont pas assouplies. Cette somme considérable représenterait soit le paiement d’amendes (95€ par gramme excédentaire multiplié par chaque véhicule vendu), soit des pertes liées à la vente forcée de véhicules électriques sous leur coût de production pour respecter les quotas.
Une mobilisation politique sans précédent
La France a pris la tête d’un mouvement de contestation qui s’élargit progressivement. Après avoir inscrit ce sujet à l’ordre du jour d’une récente réunion des ministres de l’Environnement de l’UE, elle a été rejointe par l’Italie, la République tchèque et la Slovénie. Ces pays ne remettent pas en cause les objectifs environnementaux mais plaident pour des "flexibilités et ajustements" afin de préserver la compétitivité de l’industrie européenne.
La position française, portée par Agnès Pannier-Runacher, considère que les pénalités constituent une "approche contre-productive" qui risque de freiner plutôt qu’accélérer l’électrification du parc automobile. L’argument central repose sur le fait que des amendes massives priveraient les constructeurs de ressources essentielles pour investir dans leur transformation.
Un marché électrique qui peine à décoller
Les chiffres récents du marché européen illustrent les difficultés actuelles. En octobre 2024, les ventes de véhicules électriques ont marqué le pas sur les principaux marchés, notamment en Allemagne, France et Italie. Seuls quelques pays déjà fortement électrifiés comme les Pays-Bas, le Danemark et la Belgique maintiennent leur dynamique.
Plusieurs facteurs expliquent cette situation :
- Le coût élevé de l’énergie qui impacte l’attractivité économique des véhicules électriques
- La réduction progressive des aides à l’achat dans plusieurs pays
- Un réseau de recharge encore insuffisant qui alimente "l’angoisse de l’autonomie"
- Un contexte économique incertain qui freine les investissements des ménages
La Commission européenne reste inflexible
Face à cette mobilisation, la position de Bruxelles demeure ferme. Wopke Hoekstra, commissaire européen au climat, a catégoriquement rejeté toute modification des objectifs 2025, considérant que la stabilité réglementaire est essentielle pour garantir les investissements à long terme.
Cette inflexibilité s’appuie notamment sur l’expérience des précédentes échéances réglementaires : en 2020, malgré des inquiétudes similaires, les constructeurs avaient finalement réussi à respecter les objectifs fixés, moyennant des amendes bien inférieures aux prévisions alarmistes.
Des alternatives en discussion
Face à cette impasse, plusieurs pistes sont explorées :
- L’introduction d’un calcul basé sur une moyenne triennale (2025-2027) pour évaluer la conformité aux objectifs
- Le renforcement des dispositifs de soutien à la demande au niveau national
- La création d’un "paquet législatif" européen pour accompagner l’industrie, promis pour le premier semestre 2025
- Le développement accéléré des infrastructures de recharge via des financements publics renforcés
L’issue de ce bras de fer entre industriels, États membres et Commission européenne s’annonce déterminante pour l’avenir de la mobilité électrique en France. Si l’objectif de décarbonation du transport routier fait consensus, c’est désormais le rythme et les modalités de cette transition qui cristallisent les tensions, dans un contexte où l’industrie automobile européenne joue sa survie face à la concurrence internationale.