L’avenir incertain de l’électrification automobile en Europe

En bref:

  • Le marché de l’électrification automobile en Europe montre des signes de ralentissement, notamment en raison de la fin des aides publiques.
  • La résistance populiste et les défis économiques compliquent la transition vers les véhicules électriques.
  • Les constructeurs cherchent à relancer la demande avec des offres promotionnelles agressives et de nouveaux modèles abordables prévus pour 2025.

Les dernières tendances du marché automobile européen soulèvent des inquiétudes quant à la trajectoire de l’électrification des véhicules. Après une année 2023 marquée par une forte croissance des ventes de voitures électriques, la dynamique semble marquer le pas en ce début d’année 2024, plombée par un cocktail de facteurs économiques, politiques et stratégiques.

Un ralentissement des ventes préoccupant

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en décembre 2023, les ventes de véhicules électriques ont enregistré une hausse de 28,9% par rapport à la même période un an plus tôt. Cependant, leur part de marché a reculé à 11%, contre 14,6% sur l’ensemble de l’année précédente. Ce repli s’est confirmé en janvier 2024, avec seulement 10,9% des nouvelles immatriculations concernant des modèles électriques.

Ce ralentissement intervient dans un contexte économique difficile, marqué par une hausse des taux d’intérêt qui freine l’accès au crédit automobile. De plus, l’inflation galopante a entraîné une augmentation des prix des véhicules neufs de 7% en 2023 par rapport à 2022, selon les données du cabinet AAA. Cette dégradation du pouvoir d’achat des ménages a naturellement pesé sur la demande.

L’impact de la fin des aides publiques

Mais le principal facteur explicatif de ce coup de frein semble être la suppression progressive des aides publiques à l’achat de véhicules électriques dans plusieurs pays européens. En Allemagne, l’arrêt brutal des bonus écologiques le 13 décembre 2023 (jusqu’à 4 500 euros pour les modèles de moins de 40 000 euros) a entraîné un effondrement des ventes de 47% en décembre. Un phénomène qui avait déjà commencé à se manifester avant cette date fatidique.

En Italie, la tendance est similaire avec une chute de 34,4% des immatriculations de véhicules électriques en mars 2024, les consommateurs étant dans l’attente de nouvelles aides à l’achat. A contrario, la France a vu ses ventes progresser de 10,9% le même mois, grâce aux livraisons de véhicules en leasing social bénéficiant encore de subventions.

Ces exemples illustrent à quel point les politiques publiques jouent un rôle déterminant dans l’adoption des véhicules électriques par les consommateurs. Les aides financières, lorsqu’elles sont généreuses et pérennes, constituent un levier puissant pour compenser le surcoût à l’achat de ces modèles par rapport aux thermiques.

Une résistance populiste grandissante

Au-delà des aspects économiques, c’est aussi sur le plan politique que l’électrification semble buter. Dans plusieurs pays européens, l’émergence de mouvements populistes hostiles à la transition énergétique fait peser une menace sur les objectifs de décarbonation des transports.

Carlos Tavares, le directeur général de Stellantis (Peugeot, Citroën, Fiat, etc.), a ainsi critiqué les réglementations anti-CO2 de l’Union européenne, les jugeant motivées par des considérations politiques plutôt qu’industrielles. Selon lui, l’exclusion programmée des moteurs thermiques abordables risque d’exclure une large frange de la population du marché automobile, ne laissant la mobilité individuelle qu’aux ménages aisés.

Ces inquiétudes semblent se matérialiser, à en croire les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie (AIE). Malgré une croissance attendue de 20% des ventes mondiales de véhicules électriques en 2024 (17 millions d’unités), leur part de marché en Europe devrait stagner à 25%, contre 45% en Chine, championne de l’électrification.

Un risque de fracture sociale et environnementale

Cette résistance populiste à la transition énergétique dans les transports fait peser deux risques majeurs :

  • Un risque de fracture sociale, en maintenant une partie de la population captive de véhicules polluants faute de pouvoir se payer les modèles électriques onéreux. Cette situation pourrait alimenter un ressentiment envers les politiques écologiques, vues comme réservées aux classes aisées.
  • Un risque de retard environnemental, en ralentissant le rythme de décarbonation du secteur des transports, principal émetteur de gaz à effet de serre en Europe (27% des émissions totales). Un retard dommageable pour l’atteinte des objectifs climatiques européens.

Certains experts, comme ceux de l’IRIS (Institut de relations internationales et stratégiques), dénoncent d’ailleurs "un programme d’électrification accéléré des véhicules, concocté à Bruxelles, [qui] peut provoquer un désastre industriel" en négligeant les réalités socio-économiques de nombreux pays membres.

Des stratégies de prix agressives pour relancer la demande

Face à ce ralentissement des ventes, les constructeurs automobiles multiplient les offres promotionnelles agressives pour tenter de redynamiser la demande. Tesla a ainsi procédé à plusieurs baisses de prix en 2023, allant jusqu’à réduire le tarif de sa Model 3 de 20% en Europe, aux États-Unis et en Chine.

Volkswagen a emboîté le pas en proposant d’importants rabais, notamment en Allemagne pour compenser l’arrêt des aides publiques. Quant à Stellantis, le groupe a misé sur des offres très avantageuses pour les entreprises afin de regagner des parts de marché sur ce segment en Europe.

Une guerre des prix à double tranchant

Si cette stratégie de prix bas permet de soutenir les volumes, elle s’effectue au détriment de la rentabilité. Les marges se sont en effet considérablement dégradées au premier trimestre 2024 pour la plupart des acteurs, plombées par cette concurrence féroce.

Tesla a ainsi vu son bénéfice net chuter de 55% sur la période, tandis que Mercedes et Volkswagen affichaient respectivement des baisses de 24,6% et 21,6%. Seul Stellantis n’a pas communiqué de chiffres sur ce point, mais son important niveau de stocks aux États-Unis (équivalent à 100 jours de ventes, contre 61 jours chez General Motors) laisse présager d’importants dégagements de stocks à venir, au prix de marges sacrifiées.

Cette dégradation de la rentabilité est d’autant plus préoccupante que les constructeurs généralistes dépendent fortement des ventes de leurs modèles haut de gamme pour financer leurs lourds investissements dans l’électrification. Or, ce segment premium pâtit tout particulièrement du ralentissement actuel.

Le haut de gamme plombé par l’inflation

Chez Mercedes, les livraisons des modèles les plus luxueux et les plus rentables ont ainsi reculé de 27% sur les trois premiers mois de 2024. Même son de cloche chez Stellantis, où les ventes de Maserati (sa marque de luxe) ont été divisées par deux en un an, plombées par la chute de la demande pour ses SUV Grecale et Levante aux États-Unis.

"Les hausses de prix des véhicules premium sont plus fortes sur ce segment que sur les autres. Ces voitures sont donc davantage affectées par la baisse du pouvoir d’achat des ménages", analyse Philippe Houchois, analyste chez Jefferies.

Cette situation met en lumière les défis auxquels sont confrontés les constructeurs généralistes multi-marques. Ceux-ci doivent en effet réussir la transition vers l’électrique sur leurs gammes abordables, tout en préservant la rentabilité de leurs modèles haut de gamme pour financer les investissements colossaux que requiert cette mutation technologique.

Une nouvelle génération de modèles abordables en 2025

Pour relancer durablement la demande de véhicules électriques, les constructeurs misent désormais sur le lancement d’une nouvelle vague de modèles à prix plus accessibles. L’objectif est de faire baisser le ticket d’entrée dans l’électrique en dessous de la barre symbolique des 25 000 euros.

Renault, Stellantis et Volkswagen ont déjà annoncé l’arrivée prochaine de tels modèles sur le marché européen. Tesla a même surpris en avançant le calendrier de sortie de sa future citadine compacte avant la seconde moitié de 2025, soit plus tôt que prévu initialement.

Cette nouvelle génération de véhicules électriques low-cost devrait permettre de démocratiser davantage l’accès à cette technologie auprès des ménages modestes. Mais pour que cette stratégie soit payante, il faudra que les pouvoirs publics maintiennent un niveau d’aides publiques suffisant pour rendre ces modèles réellement abordables.

Car si les ventes d’électriques venaient à marquer durablement le pas, ce sont les ambitions de décarbonation du transport routier qui seraient menacées. Un enjeu de taille pour l’Europe, qui mise sur l’électrification pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 et réduire sa dépendance aux importations d’énergies fossiles.

En définitive, l’avenir de la mobilité électrique en Europe semble intimement lié à l’évolution du contexte économique, politique et réglementaire dans les années à venir. La volonté de poursuivre des politiques publiques ambitieuses en la matière sera déterminante, de même que la capacité des constructeurs à proposer des offres de mobilité réellement accessibles au plus grand nombre.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *