En bref:
- L’Italie remet en cause certaines mesures favorisant le véhicule électrique, ralentissant ainsi la transition énergétique européenne et fragilisant l’ambition du Green Deal.
- Ce recul, couplé à une baisse des ventes de véhicules électriques en 2024, crée des tensions sur la compétitivité industrielle et la coopération franco-italienne.
- La France doit adapter sa stratégie en renforçant les infrastructures et en proposant des modèles électriques plus accessibles pour préserver son leadership dans la mobilité propre.
Alors que l’Europe peine à redynamiser sa transition énergétique, l’Italie semble amorcer un virage à contre-courant. Supprimant certaines taxes et remettant en question le tout-électrique, nos voisins transalpins sèment le trouble parmi les défenseurs de la décarbonation. Quelles pourraient être les conséquences de cette stratégie sur la France et sur l’ambition européenne d’une mobilité plus verte ?
L’Italie et ses nouvelles mesures : quel cap pour Rome ?
Le gouvernement italien, porté par Matteo Salvini, ministre des Transports, projette deux changements majeurs qui tranchent avec les positions défendues jusqu’alors dans le cadre du Green Deal européen :
- Suppression progressive du "Superbollo" : instaurée en 2011, cette taxe grève les véhicules de plus de 185 kW (environ 252 ch), poussant de nombreux constructeurs à revoir leurs gammes pour respecter les règles fiscales en vigueur. Aujourd’hui, cette taxe apparaît comme une anomalie aux yeux du gouvernement italien, pénalisant indirectement certains modèles électriques dont la puissance dépasse aisément ce seuil.
- Révision des avantages en nature associés aux véhicules électriques : longtemps privilégiées par les entreprises à travers ces incitations fiscales, les flottes électriques subissent aujourd’hui un revers de taille, Matteo Salvini ayant admis publiquement une "erreur stratégique" de son gouvernement sur la question.
Ces annonces n’interviennent pas isolément. Elles traduisent une volonté plus large des dirigeants italiens de remettre en cause un Green Deal jugé trop idéologique, nuisible à l’industrie automobile européenne et, surtout, incapable de tenir compte des réalités industrielles et économiques des États membres.
📌 À retenir : Rome adopte désormais une posture critique envers Bruxelles, ce qui ne manquera pas de peser sur les débats européens relatifs à l’avenir de l’électrification du parc automobile continental.
Quels obstacles rencontre la stratégie électrique européenne ?
L’orientation italienne intervient dans un contexte particulier : après une décennie de forte croissance, le marché européen du véhicule électrique connaît un ralentissement marqué depuis 2024. Cette stagnation inattendue inquiète à l’heure où l’électrification occupe une place centrale dans les objectifs climatiques de l’Europe :
- En 2024, les ventes européennes de voitures électriques ont reculé de 5,9%, renvoyant les autorités européennes à la dure réalité d’une adoption moins linéaire qu’espérée.
- En France, la situation est similaire : les ventes de véhicules électriques neufs ont diminué de 2,6% sur un an en 2024. Bien qu’elles représentent aujourd’hui environ 17% des ventes annuelles, un pallier semble atteint. Cela s’explique notamment par une acceptation difficile d’une clientèle encore largement attachée aux modèles traditionnels et, notamment, aux SUV thermiques.
📊 Le chiffre à surveiller : Seuls 27 % des Français soutiennent aujourd’hui l’objectif européen d’interdire la commercialisation de véhicules thermiques dès 2035 (source : CSA, 2025). Un chiffre inquiétant pour les ambitions d’une adoption rapide et généralisée de l’électrique.
Les impacts potentiels en France : compétitivité, coopération industrielle et climat
Face à ce nouveau positionnement italien, quelles pourraient être les répercussions en France ?
Une perte de dynamique industrielle ?
À court terme, les impacts directs d’un ralentissement italien seraient certes limités pour les industriels français. Cependant, à moyen terme, l’Italie fait figure de marché pivot au sein de l’Europe du sud, et une moindre adoption italienne pourrait entraver la massification attendue des technologies électriques, essentielle à la compétitivité globale des constructeurs européens tels que Renault ou Stellantis.
Luca de Meo (Renault) et John Elkann (Stellantis) alertaient récemment l’Europe sur les risques de déclin industriel lié à une transition jugée trop abrupte ou mal accompagnée : d’après eux, les réglementations européennes deviennent de plus en plus complexes, poussant vers des automobiles trop coûteuses, éloignées des attentes des consommateurs,
💡 Conseil d’expert : Face à cette situation, les industriels français pourraient choisir de renforcer leurs actions vers l’innovation produit (citadines électriques plus abordables, diversification technologique) qui correspondrait mieux aux capacités financières du plus grand nombre.
Coopération franco-italienne mise à rude épreuve
Historiquement proches et complémentaires dans leurs approches industrielles, notamment à travers Stellantis, la divergence politique actuelle pourrait-elle freiner cette bonne dynamique ? Cela soulève également des inquiétudes quant à de futurs projets conjoints dans les batteries électriques ou encore les infrastructures de recharge.
La France a aujourd’hui les moyens de jouer un rôle moteur dans l’infrastructure : avec déjà 160 000 bornes installées sur son territoire (sur 600 000 dans toute l’Europe), elle pourrait renforcer son leadership européen sur ce segment crucial pour rassurer les consommateurs sur la praticabilité quotidienne des véhicules électriques.
Quel avenir à moyen terme pour l’Europe et la France ?
La position italienne pourrait encourager d’autres pays européens hésitants à remettre en question leurs engagements à court terme. D’autant que les difficultés économiques ressenties par les marchés automobiles nationaux rendent la remise en question de ces politiques séduisantes, au-delà même des enjeux strictement industriels ou environnementaux.
En France, maintenir une dynamique de transition électrique nécessitera donc de repenser des solutions pragmatiques :
- Renforcement des infrastructures de recharge ;
- Soutien plus important à l’achat, spécifiquement ciblé sur les populations les moins aisées ;
- Offre accrue de modèles accessibles financièrement, à l’image des futures Renault R5 ou de la nouvelle Citroën C3 électrique.
ℹ️ Note : Si la France réussit à maintenir le cap malgré ces turbulences européennes, cela pourrait lui permettre de gagner un avantage concurrentiel, tant industriel que climatique.
La remise en cause italienne des politiques électriques marque donc bien plus qu’un simple ajustement fiscal. Elle ouvre un profond débat sur la viabilité et l’acceptabilité d’une transition énergétique qui s’accélère tout en se fragilisant. Face à ce constat, l’Europe, et notamment la France, auront pour défi majeur de maintenir leur cap vers une mobilité propre tout en prenant mieux en compte les attentes économiques et sociétales du continent. Un délicat équilibre à trouver pour que les objectifs environnementaux ne se heurtent pas frontalement aux réalités quotidiennes des usagers européens.