En bref:
- La transition électrique des ferries transmanche est un défi majeur pour réduire l’empreinte environnementale du transport maritime.
- Des initiatives concrètes, telles que l’électrification des ferries hybrides et la construction de navires zéro émission, sont en cours pour atteindre cet objectif d’ici 2030.
- Les défis technologiques et logistiques, ainsi que la nécessité de renforcer les infrastructures portuaires, sont des enjeux à surmonter pour réussir cette transition.
La décarbonation du transport maritime est un enjeu majeur pour réduire l’empreinte environnementale de ce secteur. Dans cette optique, l’électrification des ferries assurant les liaisons transmanche entre la France et le Royaume-Uni est une piste prometteuse, mais qui soulève de nombreux défis techniques et logistiques.
Un corridor maritime stratégique
Le détroit du Pas-de-Calais, qui sépare la France et le Royaume-Uni sur une distance d’environ 50 km, constitue un couloir maritime d’une importance stratégique. Chaque année, ce sont près d’un tiers des échanges commerciaux entre les deux pays qui transitent par cette voie maritime très fréquentée. Les principaux ports impliqués sont Calais et Dunkerque côté français, et Douvres de l’autre côté de la Manche.
Avec des rotations incessantes de ferries transportant voyageurs et marchandises, ce corridor maritime est également une source importante d’émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi les acteurs concernés se mobilisent pour accélérer la transition vers des solutions de transport plus respectueuses de l’environnement.
Des initiatives concrètes pour l’électrification
Depuis 2023, les premières initiatives concrètes ont vu le jour avec la mise en service de ferries hybrides diesel-électriques par les compagnies P&O et DFDS. Ces navires de nouvelle génération, tels que le Pioneer et le Liberté, permettent déjà de réduire significativement la consommation de carburant fossile grâce à leur propulsion électrique.
Mais l’objectif affiché est d’aller plus loin en déployant d’ici 2030 une flotte de ferries 100% électriques sur le transmanche. DFDS, un acteur majeur sur cette ligne, a ainsi annoncé la construction de six nouveaux navires zéro émission, dont deux maxi-catamarans électriques dédiés au détroit de Calais.
Un défi d’infrastructures portuaires
Pour permettre l’exploitation de ces ferries électriques, un défi de taille se pose au niveau des infrastructures portuaires. Il faudra en effet mettre en place des installations de recharge de très haute puissance, capables de recharger rapidement les batteries des navires pendant leurs escales de 45 minutes.
Le port de Calais prévoit ainsi d’installer d’ici quelques années six prises de recharge de 20 mégawatts chacune, soit une puissance totale de 120 MW, quarante fois supérieure à sa consommation actuelle aux heures de pointe. Un investissement colossal qui nécessitera également de renforcer les réseaux électriques alimentant les ports.
L’atout de la proximité avec des centrales nucléaires
Sur ce point, le port de Calais-Boulogne bénéficie d’un avantage non négligeable : sa proximité avec la centrale nucléaire de Gravelines, la plus puissante d’Europe de l’Ouest. Cette source d’électricité décarbonée facilitera l’approvisionnement en énergie nécessaire à la recharge des futurs ferries électriques.
Le port de Douvres, de l’autre côté de la Manche, ne dispose pas de cet atout et devra prévoir d’importants travaux pour créer des lignes très haute tension capables d’acheminer l’électricité requise.
Des défis technologiques à surmonter
Au-delà des infrastructures portuaires, l’électrification des ferries transmanche soulève également des défis technologiques de taille. La principale limite actuelle réside dans la densité énergétique des batteries, encore trop faible pour permettre des traversées de longue distance avec une charge utile importante.
Comme le souligne Pierre-Michel Guilcher, chercheur en hydrodynamique navale à l’ENSTA Bretagne, "le gasoil fournit 25 fois plus d’énergie par kilo transporté que les batteries lithium-ion actuelles". Selon lui, pour généraliser l’électrique sur de longues distances, "des innovations importantes seront nécessaires", comme le développement de systèmes hybrides combinant l’électrique et la propulsion vélique.
D’autres pistes technologiques sont également à l’étude, telles que l’utilisation de l’ammoniac ou du méthanol comme vecteurs énergétiques. Mais quel que soit le chemin emprunté, le défi de la décarbonation du transport maritime sur le long cours reste entier.
Une dynamique à l’échelle européenne
Si le transmanche constitue un banc d’essai privilégié pour l’électrification des ferries, en raison des courtes distances impliquées, cette dynamique s’inscrit dans un mouvement plus large à l’échelle européenne.
Dès 2021, lors de la COP26 à Glasgow, la déclaration de Clydebank appelait à la création de corridors maritimes verts, avec pour objectif la décarbonation du transport maritime. D’autres routes courtes et fréquentées, comme le détroit de Gibraltar, sont ainsi appelées à suivre l’exemple du transmanche.
En parallèle, l’Union européenne renforce la pression réglementaire sur le secteur maritime pour accélérer sa transition énergétique. La hausse prévue de la taxe carbone d’ici 2026 renforcera l’intérêt économique des solutions bas carbone comme l’électrification.
Mais au-delà des aspects réglementaires et financiers, c’est une véritable prise de conscience collective qui semble s’opérer au sein du secteur maritime. La décarbonation n’est plus seulement perçue comme une contrainte, mais comme une opportunité de se réinventer et d’inscrire durablement son activité dans un modèle de développement respectueux de l’environnement.